Mon final à Djazz Nevers
le final du final : la soirée à La Maison
Sauvage, 20h30.
Sauvage est le nom de la création grand format (Le Maxiphone) inspirée des pièces pour clavecin de Jean-Philippe Rameau qui se joue ce vendredi 15 novembre, à 20 h 30 à La Maison.
Voilà une œuvre originale du clarinettiste Fred Pouget, attiré par le répertoire baroque et le talent si particulier de Jean-Philippe Rameau, grand mélodiste, précurseur dans certains domaines de la musique classique, symphonique, avec une vision audacieuse de l’opéra à la française, organiste et claveciniste , auteur de “tubes” dans Les Indes galantes (1735) ou Castor et Pollux(1737).
Dans une interview au Journal du Centre, Gilles Pouget avoue que le clavecin n’ayant pas de résonance longue, contrairement au piano, il fut obligé d’égrener les accords pour laisser entendre l’harmonie qui est la verticalité de la musique… Dans le morceau Les Cyclopes, la basse fait vraiment penser à un groupe de rock. Quand on réécoute les originaux, avec les suites harmoniques, on se dit que Rameau fut l’inventeur de la pop!
Gilles Pouget s’est imprégné de l’écriture du maître en deux ans et trois versions dans une lecture très personnelle, retravaillée sous l’angle des musiques de son orchestre hybride, sous le regard attentif et l’impulsion de Daniel Yvinek, toujours attiré par ce type de projets. Il ne voulait surtout pas recréer ce que les classiques appelaient un “tombeau”, adapter et transposer son hommage à ce grand baroque. Mais il a tenté d’en restituer l’invention mélodique et il a surtout réussi dans sa recherche des couleurs orchestrales et de timbres nouveaux ( avec notamment l'emploi de flûte et saxophone les plus graves).
Fred Pouget a donc sorti le grand jeu avec un orchestre imposant de dix musiciens mêlant acoustique, électrique et électronique composé de Fred Pouget (clarinettes, direction artistique), Guillaume Schmidt (saxophones-effets), Anne Colas (flûtes), Benoît Michaud (vielle à roue), Jean-Louis Pommier (trombone), Maarten Decombel (guitares-mandoline), Maïlys Maronne (claviers-piano), Janick Martin (accordéon diatonique), Ömer Sarigedik (basse-machines électroniques) et Adrien Chennebault (batterie-percussions).
L’instrumentarium est impressionnant et sans doute l’un des points délicats de cette écriture qui mériterait d’être resserrée, avec des transitions plus explicites entre les différents tableaux, marqués par des ruptures de rythme, des fins abruptes, des changements de décors (des fonds de nature et de forêt vierge).
Question de proportions et d’équilibre à trouver, de tensions et de détentes à contrôler, de discontinuités à composer dans le grand ensemble de la forme. Même s’il faut reconnaître que les passions violentes, exacerbées de Rameau sont rendues par les solos du saxophoniste, volontiers dissonants qui saluent les fureurs du personnage. D’autres passages accrocheurs, unissons instrumentaux et chantés dans lesquels on s’immergerait plus longuement, les effets électros de la claviériste, les oppositions entre musiciens chambristes et folk.
Mon voisin a regretté de ne pas entendre assez les ornements de la vielle à roue et les dynamiques de l’accordéon diatonique qui apportaient leurs couleurs. J’ai aimé pour ma part le guitariste mandoliniste, relevé les interventions de la flûtiste. Délicat de donner plus la parole à tous ces passionnants musiciens, seul le tromboniste eut les faveurs en tant qu’invité-remplaçant, d’un solo longuement élaboré.
Il n’est certes pas facile de faire le pont entre des musiques si diverses et a priori incompatibles et on ne peut que penser à l’ombre de Sclavis déjà ancienne (1996) dans ses Violences de Rameau en sextet où il revisitait les standards de l’époque baroque qui avaient alors pour nom gavotte, chaconne, contredanse et rondeau...
Les Métanuits d’Emile Parisien et Roberto Negro
La Maison… fin de partie
Projet ambitieux ? Sans doute mais à la mesure du talent de ces deux formidables musiciens à l’enthousiasme et à la vitalité rares.
Une révélation pour moi qui me demande comment j’ai pu passer à côté de cette prodigieuse adaptation des Métamorphoses nocturnes de György Ligeti, quatuor à cordes devenu duo piano ( et piano préparé )-saxophone soprano. Sobriété de la formule pour une musique déjantée et spirituelle, avant tout respectueuse du maître hongrois. Une réécriture savante et singulière, qui ne sera jamais copiée, qui «marche à la fois dedans, à côté, au-delà et entre les lignes de l’original.» On ne saurait mieux dire que Roberto Negro…
Le duo rend l’intensité et la tension rythmique de l’œuvre composée en 1953. Il faudrait d’ailleurs écouter les deux en miroir... A la fin du concert le pianiste me confiera qu’ils ont déjà réussi ce "coup" au festival Ravel avec le quatuor Bela qui, dans ce programme jouait cette pièce en même temps que du Bartok.
Le saxophoniste et le pianiste partagent ce goût prononcé pour les expériences transgressives stylistiques qu’ils ne s’interdisent jamais, faisant tomber toutes les barrières avec autant de rigueur dans l’écriture que de virtuosité dans l’interprétation. Et de générosité dans leur exigence.
Les vingt minutes du quatuor original, mélodie ascendante précédant la tombée de la nuit, se muent en cinquante pour le duo qui transforme en onze mouvements les quatre de la partition de Ligeti en se répartissant tous les rôles. Une nuit qui remue en tous les cas et on vit très bien cette intensité rythmique sans pause, ses “soli sauvages” jamais agressifs. L’une des plus douces violences jamais subies, à laquelle on s’abandonne tout en retenant son souffle, séduits par le lyrisme vigoureux, leur gestuelle originale. Parler d’engagement physique est une facilité mais comment rendre ce corps-à-corps, maîtrisé pourtant chez le saxophoniste qui se juche sur un tabouret au début du concert? Et quelle élégance dans le geste de Roberto préparant son piano avec seulement quatre fourchettes qu’il retire enfin avec une certaine sprezzatura.
Véritable final de mon Djazz Nevers 38, ces Métanuits sont une réussite qui rend justice à toutes les tentatives de décloisonner les frontières, avec une musique qui s’abreuve à la source chambriste européenne en suivant les pulsions irrépressibles d’un jazz vif.
Le concert s'achève après cette course d'endurance physique et mentale étourdissante...et il n'y aura évidemment pas de rappel.
Sophie Chambon
Merci à Maxime François, le photographe du festival, d'une rare efficacité.