Précoce, prolifique, protéiforme. Tel était Quincy Jones, compositeur - arrangeur - producteur - interprète, disparu le 3 novembre à Los Angeles à 91 ans.
Son nom restera associé à des œuvres marquantes de l’histoire de la musique afro-américaine sans frontières, signées Ray Charles, Franck Sinatra, Michael Jackson, Miles Davis.
Dès l’âge de 16 ans, Quincy Delight Jr Jones, né à Chicago le 14 mars 1932, livre ses premières compositions. Rejoignant en 1951, le grand orchestre de Lionel Hampton, le jeune trompettiste va découvrir l’Europe et spécialement la France où il revient en 1957 pour suivre l’enseignement de Nadia Boulanger, qui comptera également parmi ses élèves un autre polyvalent des notes, Michel Legrand. « J’ai toujours ressenti une connivence presque cosmique avec la France », confiait-il en 1990 à Télérama, peu après avoir reçu des mains de Jacques Chirac la cravate de commandeur de la Légion d’honneur.
Directeur artistique du label Barclay dans les années 60, il allait œuvrer dans les studios parisiens avec notamment Jacques Brel ou Henri Salvador. A Paris, le musicien put mesurer sa popularité lors d’un concert-hommage organisé le 27 juin 2019 à l’Accor-Arena où Quincy (Mr Q pour les gens du spectacle) assis sur un canapé sur scène vit-et entendit-son œuvre titanesque interprétée par un grand orchestre dirigé par Jules Buckley et quelques stars (Selah Sue, Richard Bona, Marcus Miller…).
Entre les cours de composition de Nadia Boulanger et l’hommage du public parisien, plus de 60 ans d’une carrière foisonnante. A ses débuts, « This is how I feel about jazz* » (ABC Paramount) enregistré en 1957 en big band (Art Farmer, Phil Woods, Clark Terry…), “The genius of Ray Charles**” (Atlantic) en 1959, toujours avec grand orchestre (y compris une section de cordes).
*https://www.youtube.com/watch?v=W9wiizRzyLk&list=PLBJenJIJrq0zehq8tKd8teZiOSjk2bBG2
**https://www.youtube.com/watch?v=wraJLUuaHG8
Arrive alors sa période hollywoodienne, où Quincy va travailler pour les studios, et imprimer sa patte aux musiques pour la télévision et le cinéma (plus de 30 films dont « In The Heat of the Night » de Norman Jewison en 1967).
Opéré du cerveau après une rupture d’anévrisme en août 1974, il ralentit à peine le rythme. Création de sa maison de disques, Qwest Records en 1975, et –ce qui allait lui donner une renommée planétaire- découverte d’un jeune chanteur-danseur Michael Jackson qui se traduira par trois albums, Off the Wall, Thriller (1982, 8 Grammy Awards) et Bad.
Producteur à succès, chef d’entreprise -il accéda en 1964 à la vice-présidence du label Mercury, premier noir à détenir un poste à si haute responsabilité dans l’industrie du disque- Quincy Jones n’aura jamais oublié le jazz. En 1991, il devait réaliser un vieux rêve, rejouer la musique de Gil Evans avec Miles Davis (4 albums gravés à la fin des années 50, Miles Ahead, Porgy & Bess, Sketches of Spain, Quiet Nights). L’évènement se déroule sur la scène à Montreux le 8 juillet. Miles n’a plus que quelques semaines à vivre (il décède le 28 septembre à Los Angeles) mais, se souvenait Quincy Jones, « Miles fit le plus large sourire que j’ai jamais vu de ma vie ». Tel était aussi Quincy Jones, un virtuose au grand cœur.
Jean-Louis Lemarchand.
©Damon Winter /The New York Times & X. (R.D).