Sweet Dog On The Moon
C’est le dernier opus de ce trio jusqu’alors parfaitement équilatéral Sweet Dog créé en 2015 par des personnalités affirmées, le saxophoniste ténor Julien Soro membre de Ping Machine et par là même du dernier ONJ de Fred Maurin, le batteur Ariel Tessier ( du quintet Lennie’s, Charlie Rose trio entre autre, PJ5 où il retrouve le guitariste Paul Jarret à la tête du grand format ALE (Acoustic Large Ensemble).
L’originalité de ce nouvel album est d’avoir élargi le groupe, enrichissant les textures avec de nouveaux timbres dont celui du cor de basset de la grande clarinettiste Catherine Delaunay. Sans oublier la voix et le chant très personnel d’Emilie Lesbros. Un choix qui ne doit rien au hasard puisque ces deux musiciennes mettent l’improvisation au coeur de leur pratique et que le trio très masculin souhaitait approfondir cette démarche. Leur aventure musicale se poursuit donc à cinq en suivant la thématique de l’espace qui ouvre grand l’imaginaire : la musique décolle littéralement se projetant dans l’espace Sur les chemins vers la lune dans la nostalgie de la découverte spatiale, de ces rêves de fuite en apesanteur, entre Gravity et Interstellar.
Le titre de l’album est clair, explicitant le projet car à l’écoute des dix titres improvisés collectivement d’En Orbite jusqu’au Black Hole final qui n’engloutira pas le groupe, on ressent la puissance de cette musique expérimentale sur le vif, déchaînée, explorant l’inconscient avec ce curieux Sub Conscious S qui ne renvoie pas à Lee mais à Steve Lehman avec lequel a joué Julien Soro dans le dernier ONJ. Avec un drumming comme décalé, on est envoyé ad astra et qu’importe l’alunissage. Les nombreux effets électroniques plus ou moins débridés ( claviers de Julien Soro) confèrent un groove et un son parasite très particulier, sale parfois, grésillant, noisy. Brouillage sur fonds de cliquetis de baguettes, effervescence de The Great Battle, titre punk enregistré au Triton en juin 2023, au son gras dans l’énergie pure de la prise en direct. Le groupe alors en résidence pour quatre jours a sélectionné les morceaux les plus marquants pour l’enregistrement.
Certains interludes plus délicats alternent tel le tranquille Windmills of the moon résolument folk avec une guitare apaisée. Plus surprenant Les gens, une sorte de “sprechgesang” proféré avec une certaine ironie tranquille, étrangement distanciée sur un arrière-plan brossé par une guitare aux doux gratouillis et couics du sax. Quel est le rythme qui semble frappé à la main de ce Life is about dancing? Il s’agit en fait d’une batterie "préparée", les peaux étouffées avec des draps, ce qui confère un son très sec, étouffé, aux cymbales sans résonance.
Dans l’espace ainsi créé le groupe organise son travail précis sur les textures et les sons plus ou moins bruts dans une matière sonore musicale complexe qui tend à une certaine abstraction. Boucles, sinusoïdes d’une guitare électrifiée, drive permanent de la batterie en tension, chants du sax ténor ou soprano, de la clarinette parfois comme désaccordés, mêlés au souffle de la voix. On n’écoute plus tellement le son pour ce qu’il est mais comme une forme musicale expressive dans une démarche intuitive et libre. On se laisse embarquer dans cette expédition vers des terres non défrichées encore. Si la destination importe compte plus encore le voyage éphémère qui reste poétique.
Sophie Chambon