« Je ne voulais ressembler à personne. » Martial Solal, qui est décédé le 12 décembre dans l’après-midi à l’hôpital de Versailles à l’âge de 97 ans, avait fait cette confidence dans « Mon siècle de jazz *», son autobiographie publiée l’été dernier (Frémeaux & Associés).
Un défi relevé avec brio tout au long d’une carrière de sept décennies entamée dans l’orchestre de danse du casino à Alger (sa ville de naissance le 27 août 1927) et achevée publiquement par un concert à la salle Gaveau le 23 janvier 2019 : des centaines de compositions (pour petites formations, big bands de jazz, orchestres symphoniques), des milliers de concerts dans le monde, des dizaines de disques, trente musiques de films (dont « A Bout de Souffle » de Jean-Luc Godard qui lui assura la gloire dans le monde du cinéma) , et même un tube à l’époque du « yé-yé », « Twist à Saint-Tropez » sous le pseudonyme de Jo Jaguar.
Sa musique n’a cessé de dérouter. Trop brillante pour les uns, trop sévère pour les autres. Autodidacte, recalé au conservatoire, Martial Solal aura toujours surpris. « Je crois que je ne suis à l’aise que dans les situations compliquées ». Le pianiste s’en sortait par une technique qui, disait-il, lui « permettait de tout faire, y compris tous les excès ». L’improvisation c’était son domaine. « Martial Solal, une vie à l’improviste** », titrait justement un roman graphique de Vincent Sorel paru cet automne (Editions du Layeur).
Dans les standards les plus connus, il trouvait en permanence le moyen de surprendre son auditeur. En 2018, le pianiste avait accepté le jeu proposé par le producteur Jean-Marie Salhani en improvisant 19 pièces assez courtes inspirées par un nom ou quelques mots inscrits sur 52 petits carrés de papier contenus dans un chapeau. (Martial Solal. Histoires improvisées, paroles et musiques. JMS). On y retrouve le Solal singulier et pluriel, l’encyclopédiste curieux, brillant, pétri d’humour et de swing. « Ses acrobaties ahurissantes sont uniques dans le jazz », salue un confrère pianiste et son contemporain René Urtreger.
Le compositeur de « Suite en ré bémol pour quartette de jazz » et de « l’allée Thiers et le poteau laid » aura toujours conservé une forme de dérision et de modestie. « Je ne m’attribue aucun mérite, le hasard, encore le hasard, et toujours le hasard, associé à mon utopie », confiait-il en conclusion de son autobiographie.
En 2022, recevant le Grand Prix de l’Académie du Jazz pour « COMING YESTERDAY -Live at Salle Gaveau 2019 » (Challenge/DistrArt Musique), le pianiste, prix Django Reinhardt de la même académie en 1955, avait adressé ce message : « Cette récompense me touche. Elle est la preuve que j’ai fait correctement mon travail, un travail difficile, un métier de passion mais aussi de compétition, d’embûches, de critiques ».
Jean-Louis Lemarchand.
*MARTIAL SOLAL, MON SIÈCLE DE JAZZ
Éditions FRÉMEAUX & ASSOCIÉS (2024)
ISBN : 978-2-84468-985-6.
Paru en août 2024.
**Vincent SOREL, MARTIAL SOLAL, UNE VIE A L'IMPROVISTE.
Éditions du Layeur. 2024.
ISBN : 978-2-38378-065-6.
Paru le 10 octobre 2024.
*°Autres ouvrages :
Ma Vie Sur Un Tabouret : Autobiographie.
Martial Solal et Franck Médioni, Actes Sud, (2008).
ISBN : 978-2-7427-7618-4
Martial Solal, Compositeur De L'Instant. Entretiens.
Martial Solal et Xavier Prévost, Éditions Michel de Maule (2006).
ISBN : 978-2-8762-3170-2
©photo-dessin Maurice Henry et X. (D.R.)