Baptiste Castets Patience
Fresh Sound New Talent
Cet album serait-il passé sous les radars de la critique en cette fin d’année? Ce serait vraiment regrettable tant il nous semble avoir des qualités. Tâchons de rattraper l’affaire...
Point de fougue et d’énergie survoltées mais un sens du rythme qui fait dresser l’oreille. Normal, c’est Patience le premier album en leader du batteur percussionniste Baptiste Castets (sorti chez Fresh Sound New Talent) qui eut le temps ou le prit du moins pendant la pandémie pour composer une partition à la mesure des musiciens qu’il avait réunis autour de lui. Il entraîne son groupe avec un sens réel de la cohésion dans dix titres qui prennent le temps de se déplier, enchaînant sans effort des compositions ouvertes, libres. Une “musique de chambre” d’une grande clarté dans l’articulation que peaufinent des perfectionnistes du trait, habiles à rester dans ces paysages introspectifs en variant dans un même morceau dynamiques et couleurs.
La séduction est immédiate avec une attention constante à la qualité des timbres qui jouent entre eux avec élégance. Une musique plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord tant l’une des qualités de cet album est de se laisser prendre par la mélodie. On découvre ensuite les harmonies subtiles, combinaisons raffinées, délicats contrepoints entre sax ténor et trombone, échappées libres du contrebassiste sur Histoire de mélancolie avant que le trombone ne prenne la main.
Une légereté soutenue et insistante, une respiration continue dans l’espace de jeu : sur l’assise installée par une rythmique discrète mais solide, les soufflants qu’ils soient à l’unisson, solistes ou qu’ils alternent les rôles, s’épaulant l’un l’autre font assurément pencher l’équilibre de l’ensemble en leur faveur. On aime retrouver le timbre au ténor et au soprano de Frédéric Borey, la découpe élaborée de son phrasé. Patience exactement au mitan de l’album est peut être l’acme du disque. Quant au tromboniste Sebastien Llado, il se refuse à sonner trop cuivré, ce qu’il sait faire par ailleurs. Il y a quelque chose de retenu, de ténébreux, de velouté dans ce Mille Nuits lascif et chaloupé qui nous raconte une histoire, le piano en osmose avec la batterie avec les soufflants qui viennent se lover dans la chair musicale de la pièce. Offensifs sans être jamais agressifs, ils se livrent avec une intensité délicieusement tempérée, en frémissements contrôlés, comme en liberté surveillée.
Ce jazz sans aucun esbroufe sait être tendre et fort, mélodique et incisif, chantant et désirant. Le compositeur laisse ses partenaires suffisamment libres jusque dans la fragilité même assumée comme une délicatesse. Baptiste Castets sait jouer des combinaisons qui se dégagent de la formule du sextet. Quand sax et trombone se taisent, le piano reprend ses droits et s’écoute alors un “classique” trio jazz, ce qui n’est pas non plus pour nous déplaire.
On remarque des ruptures de rythme, césures, reprises de thème souvent élégiaque au sein d’une même composition qui flotte alors fantasque ou entraîne dans une transe hypnotique. Une dramaturgie dénuée de pathos mais non d’émotion soulignant l‘ambiguité de ces heures alors indécises. Une singulière façon de raconter la fugacité de l’instant, la précarité de la période où exaltation et mélancolie s’imbriquèrent profondément. Une rêverie épurée, en apesanteur jusque dans le dernier Adios qui appelle le silence et pourtant semble se complaire dans l’inachèvement.
Sophie Chambon