JJJJ ONJ : « Electrique »
Le Chant du Monde/ Harmonia mundi
Electrique est le nom du dernier album de l’ONJ Franck Tortiller et il est réussi, plus électrisant encore qu’électrique. Après le succès mérité de Close to Heaven, dédié au flamboyant et mythique Led Zep
anglais, Franck Tortiller et ses hommes ne délaissent pas la période des seventies (« décade prodigieuse » qui court de 1967 à 1976 ) et reviennent au jazz . Coltrane allait disparaître en juillet 67, et son influence ne cesserait de s’étendre-certains ne s’en sont toujours pas remis quarante ans plus tard- et avec le free jazz, la « New Thing » s’imposait comme un courant musical très affirmé qui répondait avec éclat aux préoccupations politiques et sociales des Noirs américains en lutte pour leurs « Civil Rights ». Se développait parallèlement le style prénommé « fusion » avec des groupes qui allaient s’incrire dans l’histoire de cette musique : Hancock and The Headhunters, Weather Report et le Miles électrique ( des albums Miles in the sky, Filles de Kilimandjaro, In a silent way, ou Bitches Brew, tous issus entre 68 et 69 !).
C’est l’esprit de cette époque que Franck Tortiller, dans ses compositions et arrangements, s’est attaché à évoquer plutôt que de plonger le revival d’une musique très connotée aujourd’hui. Ce n’est donc pas vraiment une relecture d’un répertoire précis, mais une interprétation très libre avec un programme original qui fonctionne parfaitement, avec ces dix musiciens soudés autour de leur chef : deux vibraphonistes, un batteur, une contrebasse, et cinq souffleurs ( 2 trompette-bugle, 1 tuba, 1 trombone et 1 saxophone). Sans oublier des effets électroniques et des samples utilisés avec pertinence, sans insistance (remix final de « Last Call before midnight »).
La référence (plus que l’hommage à Miles) est explicite dans la mini-suite « Electrique » ou dans « The Move » servi par deux trompettistes Jean Gobinet et Joel Chausse qui se font l’écho de « l’ange noir », mais comment faire autrement sur un programme qui se revendique de cette période ?
Néanmoins, il ne nous semble pas que ce soit pas là-dessus qu’il faille « évaluer » l’album, paradoxalement. D’une façon très personnelle, le chef de l’Onj réussit à faire revivre une époque définitivement révolue, qui réveille la nostalgie, une certaine envie (« doux oiseau de jeunesse » ou simplement insouciance des « Trente Glorieuses »). Mais cette musique est ancrée dans notre époque et c’est moins dans la rock attitude ou les fulgurances davisiennes que dans une certaine image fantasmée, qu’elle se réapproprie un climat, s’en jouant et déjouant par un bel effort sur des rythmiques qui changent tout : ainsi, les moments de grâce sont nombreux, mais ils ne reposent jamais sur l’énergie pure, la puissance électrique.
Avec cet album, les solistes de l’ ONJ chantent, planant au-dessus de mélodies délicates, avec des crescendos très purs (« Les Angles » ou « Last call ») ou le chant sacré des soufflants dans « In April » que survole le solo « breckerien » d’Eric Séva. Tous ces traits concourent à une beauté apaisée, avec ce grain de nostalgie, cette légère mélancolie qu’éveille le tuba de Michel Marre dans la composition de Prince « Sometimes it snows in spring ».
Electrique souligne que cet ONJ, malgré son engagement éphémère, ne ressemble à aucune autre formation, il est parvenu à créer une alchimie qui lui est propre, un son, une couleur qui resteront liés à l’Onj Tortiller.
Sophie Chambon