JJJJ MICHAEL BRECKER : « Pilgrimage »
Emarcy 2007
Bien sûr on ne manquera pas de penser que cette ultime réunion entre amis autour de Michael Brecker avec Metheny, Hancock, Meldhau, Pattituci et de Jack de Johnette a un côté tragique et poignant lorsque l’on sait que cette session enregistrée en août 2006 fut la dernière pour le saxophoniste qui se savait déjà condamné et qui disparut 5 mois plus tard. Laissant au passage la scène américaine orpheline de l’un des plus grands jazzman que compte la scène américaine. On pourrait alors se laisser aller à aborder cet album par sa face mélancolique. Mais pourtant une fois passé l’émotion que l’on peut ressentir en regardant les photos de cet enregistrement c’est une toute autre forme d’émotion qui s’installe face à un album de très haut niveau dans lequel le maître mot est paradoxalement l’énergie ! Car malgré l’état d’immense fatigue qui était le sien lorsque cette session fut enregistrée, dès les premières notes Michael Brecker nous entraîne irrésistiblement dans son univers, dans cet espace fusionnel incandescent entre jazz et rock. Cet espace qu’il a su forger et qu’il a contribué tout au long de ces 20 dernières années à porter haut. Car dans cet album à facettes multiples on retrouve parfois le même esprit que celui qui présidait grandes heures de Steps Ahead. Un morceau comme Anagram ou Tumbleweed dans lequel Brecker avec l’aide du re-re passe du ténor à l’EWI semble ressurgir d’une époque où Mike Stern tenait le manche à la place de Metheny. Mais on entend aussi que Brecker est resté à l’écoute des discours jazzistiques post funk si prisé par toute une génération de saxophonistes New Yorkais actuel et qu’il a certainement influencé pour de longues années encore. Car Brecker avec un art compositionnel incroyable a toujours constitué une forme de synthèse. Mêlant la complexité de la forme à la fluidité du discours, sa musique s’est toujours inscrite à la croisée de bien des chemins. Alors avec une fougue, pas si assagie que cela Michael Brecker joue avec ce son presque déchiré, acide amer, avec cette façon de jouer du ténor comme d’autres jouent de l’alto, dans un registre très « affûté». Énergie bouillonnante d’un discours ciselé, découpé fin, au millimètre. Outil de précision d’une grande finesse. Atour de ses compositions de très grands musiciens sont venus lui donner la réplique. Si Metheny reste là dans une réserve qui ne lui est pourtant pas naturelle, en revanche Hancock et Meldhau se partagent la piano rivalisant avec discrétion d’inventions subtiles qui apportent un éclairage remarquable à a musique de Brecker. Et puis enfin il y a l’association de Pattituci et de Jack De Johnette qui sonne comme une vraie révélation. De celles que l’on entendra certainement dans d’autres contextes. Une dernière fois Michael Brecker nous transporte ou nous porte, on ne sait pas trop. Élève en tous cas notre sentiment « tripal » pour cette musique à la fois légère et si forte. Michael Brecker s’y affiche là d’une remarquable actualité. Une actualité que l’on sait éternelle.
Jean-Marc Gelin