Philippe Robert est journaliste. Il collabore à plusieurs publications dont notamment Vibrations, Jazz Magazine ou les Inrockuptibles. Plutôt familier de cette musique à la marge, ayant lui même été à un moment très proche du groupe mythique Sonic Youth, Philippe Robert s’intéresse et nous passionne pour tous ces expérimentateurs, ces décalés de la musique, ces révolutionnaires du son.
A partir de 102 courtes fiches consacrées à ces musiciens, l’auteur revient de manière chronologique sur le parcours des musiques décalées, commençant sa course avec les tentatives de Luigi Russolo qui, en 1921 ( !) cherchait à élargir la palette des sons aux sons industriels, et la finissant avec l’hyper expressionnisme de John Zorn (2007 ses « Six Litanie for Heliogabalus » – cf supra). On y trouvera alors des génies que tout le monde croit connaître comme Edgar Varèse par exemple ou Iannis Xenakis ou encore John Cage ou Stockhausen. On y découvrira d’autres bien moins connus comme Nancarrow, Moondog et autres Jacques Berrocal. Tout y est des bruitistes aux minimalistes, aux free jazzmen jusqu’aux tenants de l’électro acoustique. On y découvre ainsi un panorama des expériences les plus passionnantes jusqu’aux plus insolites que l’on soit captivés par l’approche scientifique de Varèse, fascinés par la vision cosmogonique de Moondog ou interpellés par Stockhausen qui conçoit la musique et surtout le son comme un véritable matériau artistique dont l’assemblage peut répondre à des lois plus ou moins aléatoires.
Le jazz y trouvera son compte avec Albert Ayler, Evan Parker, Jacques Coursil, Derek Bailey…. On y croisera aussi quelques personnages venus d’ailleurs comme Joe Jones (pas le batteur bien sûr) ancien franciscain frère copiste qui suivit une voie musicale après avoir participé à un album avec Yoko Ono et suivi des cours de pilotage d’avion dans le but un jour de doter les avions d’harmonica géant pour en faire de la musique volante ! Quelle poésie plus sauvagement libre ?
Chaque fois Philippe Robert s’appuie sur une ou plusieurs références discographiques par musicien, pour en livrer non pas une analyse musicologique mais plutôt une passionnante mise en perspective aux confins de la philosophie et de la sociologie musicale. Ce livre est un véritable puit de science dont on regrettera juste l’absolue frustration de ne pas avoir le matériau musical qui permettrait de découvrir un peu ces pépites de l’art musical du XX° siècle. Mais l’on se consolera en lisant l’absolument géniale introduction de Noël Akchoté qui ouvre ce livre sur les musiques expérimentales par une incantation papale : « n’ayez pas peur » !
Non, n’ayez pas peur de vous perdre, de perdre toutes vos références, de vous laisser surprendre ou choquer. La musique c’est de l’art et l’art est là pour ça. C’est ce que montre et démontre cette brillante Anthologie de Philippe Robert : La musique véritablement comme l’exercice d’une forme de liberté et de pensée sur le monde.
Jean-Marc Gelin