Aphrodite records – 2008
Autodidacte, diplômé d’état, bête à concours (Tremplin Jazz de Vannes, d’Avignon), enseignant (Masterclass, Ecole Nationale de Noisiel), Sylvain del Campo vit de sa musique … pleinement. On connaît son nom, moins son œuvre et sa musique. Ce saxophoniste alto et flutiste est du même acabit que Kenny Garrett ou Vincent Herring, dont la proximité technique dans l’utilisation de l’instrument est stupéfiante. Énergique, technique, rentre-dedans, véloce, virtuose, perfectionniste et rigoureux sont les qualités qu’on trouve à Del Campo à l’écoute de « Eclipsis ». Autant de symboles par excellence qui caractérisent la personnalité de Del Campo, quand on se souvient que le gaillard a été cycliste de haut niveau, sa première passion. C’est assez logiquement que sa musique en soit le reflet. Avec deux premiers cds en quartet, Sylvain Del Campo signe ce troisième cd avec le quartet qui l’accompagne sur scène depuis 2004. On retrouve ici Sergio Cruz au piano, Juan Sébastien Jimenez à la contrebasse et Francis Arnaud à la batterie. Difficile de dire si cet album est l’album de LA maturité pour Del Campo, alors qu’on lui trouve un côté maîtrisé et réfléchi. En tout cas, maturité musicale dans l’intégration d’une certaine tradition mainstream mêlées à de nombreux aspects modernes.
La motricité puissante du groupe (entre autres « Alcalà de Hénares »), la collaboration exaltée du saxophoniste avec le batteur ou le pianiste, la rythmique sonore de Sergio Cruz - dont la main gauche redoutable rappelle irrésistiblement McCoy Tyner - et le raz-de-marée saxophonistique de Del Campo évoquent inévitablement le quartet de Coltrane. Mais Del Campo ne « fait » pas que du Coltrane. Il a sa musicalité à lui, des compositions véritablement personnelles et inspirées de sa vie, ses origines et son environnement. Del Campo s’exprime d’abord avec un lyrisme débridé et technique et manie des formes musicales complexes sur des structures enivrantes et connues. Il signe sa musique d’un jazz féroce en marge du formatage actuel.
Improvisateur verbeux, Del Campo offre peu de respiration à sa musique sur les morceaux à tempi up (« Epicentre », « Métamorphose ») : l’ambiance est parfois oppressante. Mais les amateurs ne la lui reprocheront pas car la collaboration sax et batterie est terrible !
En revanche, la qualité des compositions (« Place Jamàa El Fna » transporte tout droit à Marrakech), les ballades et les morceaux à tempi moyens aident à plonger dans l’imaginaire du quartet. On appréciera les répons entre le saxophoniste et son pianiste sur « Mister Leïth » et sur le très coltranien « Eclipsis », les variations mélodiques de « Nahoul » et l’entêtant et bien nommé « Métamorphose ».
Comme pour le cd de Stéphane Morilla, chroniqué par votre serviteur ici-même, le label Aphrodite accompagne le packaging – pas toujours de bon goût - de ses productions d’une petite phrase commerciale sur la « back cover ». Elle fait même ici office de liners notes visibles de l’extérieur et, pour le coup, c’est bien là son intérêt. (A quoi bon les liners notes qui vantent les mérites de l’artiste puisque pour les lire, il faut déjà avoir acheté le cd ??) Et une fois n’est pas coutume, même si elle est peu accrocheuse, elle dit vrai : Del campo fait bien partie des meilleurs saxophonistes alto français.
Jérôme Gransac