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23 octobre 2008 4 23 /10 /octobre /2008 07:46

 

 

Abyss
(Universal Jazz Music)
Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

Le volcanique saxophoniste ténor va au bout de ses idées et nous offre un disque de compositeur. Nos émotions, déjà remuées par les charges émotionnelles intactes de son premier CD, SONE KA LA, empruntent les surprenants itinéraires de ses propres profondeurs. L'on s'engage avec fébrilité dans son sillage. L'on en remonte frissonnant et soulagé. Comme si nous nous étions accrochés aux épaules de l'artiste en recherche, pour une aventure inédite.



DNJ Vous avez découvert le jazz à 24 ans. Brusquement, vous avez tourné le dos à une carrière toute faite dans la haute administration. Que s'est-il passé?

JSB J'ai écouté John Coltrane. C'est comme si toutes le digues qui me protégeaient étaient tombées. J'ai senti un souffle puissant balayer d'un revers de main un échafaudage de certitudes. Le confort ne présentait plus aucun attrait. Il me fallait le rejeter pour continuer et revivre ce qui venait de se passer. Je suis parti à New-York, porté par l'admiration sans limite pour l'oeuvre de ce musicien. Je voulais évoluer dans son univers. Le retour à la réalité fut brutal dans Big Apple. En effet, il a fallu traverser une longue période de sacrifices. Je me suis même retrouvé dans un stade de complet dénuement. J'ai vite compris que la quête passait par là. Je me suis accroché. J'ai travaillé comme  possédé. Un soir je suis entré dans un club où jouaient Branford Marsalis et Roy Hargrove. Je suis monté sur scène. Au bluff : chacun a cru que je faisais partie du groupe de l'autre. J'ai tiré la moindre note que j'ai trouvé dans mes tripes. Deux semaines après, Roy m'embauchait dans sa formation. Je suis devenu respecté très vite. J'ai joué dans les groupes intéressants. Un signe : je pouvais entrer dans n'importe quel club! Une progression graduelle s'est mise en place. Je suis passé du stade de sideman au stade de leader. Irréversiblement.

 DNJ  Maintenant que vous avez creusé votre trou à New-York, restez-vous fasciné par la ville?

JSB Oh oui! Avec une nuance. New-York figure certes parmi mes sources d'inspiration permanentes, mais pas comme lieu emblématique. J'ai un rapport assez basique avec la culture américaine. Paradoxalement, ce sont les manifestations la nature qui y réveillent mes sentiments. Un arbre dans la rue; le reflet de la lumière sur une voiture; un passant qui traverse une avenue; le regard d'une personne que je croise; l'observation d'un échange entre deux êtres.

DNJ Avez-vous choisi le langage sans paroles de la musique pour ne pas être comparé au langage écrit de vos parents?

JSB Il y a du vrai, mais l'orientation n'est pas pleinement consciente. Ceci dit, j'essaie de composer comme ma mère écrivait : de façon imprévisible. J'essaie de surprendre mon auditeur. A chaque phrase. Comme elle y parvenait, à chaque paragraphe.

DNJ Que lisez-vous?

JSB Cela fait des années que je ne lis plus


DNJ Quel est le ressort de ce disque ?

JSB J'ai appliqué le principe de mon père, l'écrivain André Schwarz-Bart. Il me confiait : il faut être prêt à se couper le bras pour la moindre virgule. Une fois assuré de la conviction qui animait Abyss, j'y ai versé toute la passion possible. J'ai voulu avant tout m'impliquer en tant que compositeur. Concevoir et diriger les émotions a pris le pas sur le reste. J'ai réalisé cette oeuvre en hommage à mon père. J'ai tenu à lui ériger ce monument. Sa mort récente a fait ressortir une dimension inédite de moi-même. Je ne m'attendais pas à vaciller autant. Je considère les sentiments qui m'ont alors traversé comme une odyssée mystique.
S'ajoute à cette expérience cardinale dans la préparation du disque, le goût prononcé pour le monde aquatique. J'ai passé une période majeure de mon enfance à pratiquer la plongée. Cette passion m'a donné l'attirance des mondes inconnus. L'univers sous-marin se situe à l'envers de ce que nous, vivants, respirons sur la terre ferme. Une traversée de la réalité qui sort totalement de l'ordinaire. Chaque hublot ouvre sur un au-delà fantastique. De là vient Abyss, le titre du disque. Quant aux parties de saxo, j'aurais pu demander à mon copain David Sanchez. Il aurait accepté les yeux fermés; hélas il n'était pas libre à cette période. J'ai dû adapter et travailler sans relâche le jeu de mon instrument de façon à coller à la mesure de mon ambition musicale, et à interpréter les compositions.

 
DNJ  Comment écrivez-vous ?

JSB Pour aller plus loin avec ce disque, j'ai essayé d'entrer dans une transe.
Plus précisément, j'essaie surtout d'atteindre des niveaux d'intensité. Je dénombre certaines intensités par à-coups; d'autres fluides; d'autres bouillonnantes; d'autres enfin glacées. Ces dernières sont marquées de la peur de l'inconnu ou de l'infini. L'attitude ne varie pas: lorsque je compose un morceau, je me tiens à une forme d'intensité. Ensuite j'évolue dans le degré de force choisi; je créé des variations. Il peut survenir que je décide de changer d'intensité dans un même morceau. C'est rare.

DNJ En sus de son aspect original, le résultat s'inscrit scrupuleusement dans la grande tradition du jazz. Il frappe aussi par le recours à des musiques populaires. Quelles références revendiquez-vous ?


JSB Une armoire entière de références! Pour changer mes angles de composition, je compare mon travail avec d'autres écritures. Je rentre dans tous les détails. Pendant que j'écrivais, j'ai sélectionné une vingtaine d'albums, à mon sens le sommet du jeu et de la composition en jazz. J'ai tenu à poser la barre très haut. Certains créateurs me laissent toujours pantois : Monk, Mingus, Wayne Shorter, j'en oublie... Parmi mes préférés pour l'influence latine, notez également Milton Nascimento, Nino Rota, et Egberto Gismonti.
J'ai relevé que la frontière était ténue entre les grands Jazzmen, comme Herbie Hancock, et la musique brésilienne. Au début du disque, je chante une mélodie dans le style de Milton Nascimento. J'ai pris parti de l'interpréter comme un chant apache. Ces chants détiennent une vérité qui s'impose à l'esprit. J'ai aussi tenu à inviter sur un morceau Guy Conquete, le maître du GWO-KA antillais.
J'ai ressenti le besoin d'inscrire toutes ces références dans mon Kaddish. Il me semblait crucial de maintenir un lien entre les oeuvres que je viens de citer, et la mienne. Cela, j'insiste, tout en conservant un souci d'épure entre les parties abstraites et les parties mélodiques.

DNJ Vous ne citez pas Roy Hargrove parmi les influences?

JSB Ne confondons pas. Roy est un très grand trompettiste : il n'est pas un constructeur de mondes. Il n'est pas ces gens qui vivent en permanence dans une dynamique de reconstruction, et qui néanmoins se tiennent au style qu'ils se sont forgés.

DNJ  Subtile et l'inspirée, la musique dégage de surcroît une impression de puissance. Dans quel état avez-vous enregistré?

JSB Oh pas besoin de conditions spéciales! Je suis né avec un concentré d'énergie. J'ai pratiqué beaucoup d'arts martiaux (Judo; Karaté; Kung Fu) et le Yoga. La plongée est une bonne école du souffle. Je suis persévérant. Enfant, déjà, il était difficile de me faire quitter mes devoirs. Aujourd'hui, il faut me dévisser de la table quand j'écris. Et m'arracher le saxophone de la bouche pour que j'interrompe les exercices. La capacité d'endurance me permet d'aller au bout des efforts que l'objectif visé me fixe. Mais sans la passion, je resterais un monsieur avachi...

 

 

 

 

 

 

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