
Propos recueillis par Bruno Pfeiffer
A83 ans, le batteur de Parker, de Coltrane, de Miles et de Monk mord toujours dans le tempo de son temps. Il ne mâche pas ses mots. Entretien à l’occasion de la sortie de son CD « Whereas » chez Dreyfus Jazz, et quelques jours après une série de concerts à décorner un troupeau de bisons, fin octobre 2008, au Duc des Lombards.
DNJ Je vous ai vu jouer la semaine dernière au DUC des LOMBARDS. On croit rêver : quel âge avez-vous vraiment ?
RH Sur le papier, 83 ans, mais dans le cœur à peine vingt. Je n’ai pas précisément de recette pour expliquer mon tonus. J’ai un cœur comme tout le monde. Si, si, je vous assure : mon feeling vient de là. C’est la vérité. Sur scène, je donne le maximum, je déballe tout ce que j’ai dans les tripes. Je veux donner au monde ce que j’ai dans le ventre. C’est pour cela que j’ai choisi la batterie.
DNJ Pour déployer une énergie pareille, il y a bien un truc : vous vous douchez au jus d’orange ?
RH Oh oui! (rires). Je prends des produits sains et pas d’alcool. Je me nourris sainement. Mais c’est à la portée de tout le monde. L’énergie vient du ciel au dessus de nous. Il suffit de savoir à quel moment l’utiliser. Avec une formation qui prend autant son pied que la mienne, je suis poussé à me dépenser. De partager ces cadeaux avec le public en découle naturellement
. Savez-vous que le dimanche soir, au concert de 22h du Duc, le public chantait dans la salle. Il y avait une fille au premier rang. Elle chantait à tue-tête. J’ai senti sa présence. Je ne la connaissait pas. Elle répondait à mes paroles quand je chantais. J’ai eu une relation extra avec elle pendant le concert. A la fin, elle m’a dit s’appeler Carol. En partant, elle m’a regardé dans les yeux et a dit « I like you ». Son adresse? Non, elle ne m’a pas laissé d’adresse : juste son prénom.
DNJ D‘où vous est tombé ce sens quasi-inné du swing?
RH Le swing est la biais par lequel j’ai appris le jazz. Je suis un produit des années quarante. Le swing dominait le monde. J’ai avancé avec lui dans le sang, cela dans les années cinquante, soixante et les autres. De swinguer ne m’a jamais empêché de rester moderne. J’ai essayé en permanence de suivre l’évolution du jazz, de ne pas stagner. Le swing, c’est mon truc. Ma manière de jouer. Je l’ai dans la peau. Je le garde. Tout est là.
DNJ Le vocabulaire de votre jeu est richissime, d’une variété ahurissante. Vous répétez la nuit ?
RH Y a intérêt que mon jeu soit riche (« It has better be rich! » )! Je m’entraîne peu. J’essaie d’être bon à chaque fois. Je ne suis pas un batteur normal. Un batteur comme les autres. Je suis un perfectionniste.
DNJ Quelle est votre influence majeure?
RH Aucune : je suis unique. Je ne peux mettre en avant aucune influence majeure.
DNJ Pas même Art Blakey?
RH Nooon. Mais non! Il ne m’a pas influencé. Je l’adore. C’est un ami. Son jeu est très puissant. Mais je joue différemment. Je sais qu’il m’appelait son fils, à Boston. Le surnom peut prêter à confusion. Mais ça s’arrête là. Je suis fier de faire partie, au même titre que lui, de la catégorie des grands batteurs.
DNJ La complicité avec Jaleel Shaw est incroyable : vous apprenez ses solos par cœur ?
RH Je ne joue qu’avec des altos exceptionnels. J’ai joué avec Charlie Parker, ne l’oubliez pas. Jaleel et moi, on passe le temps à s’écouter. Si vous lui demandez son but dans la vie, il répond : apprendre! Parker était trop individualiste. Il n’avait personne auprès de lui. Il ne pensait qu’à lui. Jaleel excelle également au soprano. Je préfère un saxo qu’à une trompette. Avec un saxophoniste, je peux m’orienter dans plusieurs directions. Mais je préfère un saxo et une trompette à deux saxos, ou alors il faut vraiment qu’ils s’entendent bien.
DNJ Aviez-vous un faible pour accompagner des chanteuses ?
RH Ca dépend lesquelles. J’ai eu la chance de jouer derrière les plus grandes chanteuses de l’histoire. Sarah Vaughan était ma préférée. Tout baignait avec elle. Sarah avait seulement deux ans de plus que moi. Billie Holiday était plus âgée que moi. Elle a eu son heures de gloire à la fin des années trente. C'était la star. J’étais gamin. Mon grand frère, qui était accro au jazz, m’avait fait écouter tous les disques. Quand je l’ai accompagnée, la dernière année de sa vie, en 1959, au Storyville de Boston, j’avais l’impression de jouer avec l’idole de ma jeunesse : j’étais en extase. Étrange, ce sentiment d’amour pour la personne que j’accompagnais. Le pianiste Mal Waldron était avec elle depuis deux ans. Lady Day n’avait absolument pas préparé le spectacle. Elle ne préparait jamais. Elle savait cependant exactement les chansons qu'elle voulait interpréter. Elle lui remettait la liste : point final. Elle commençait à chanter. Champ Jones tenait la contrebasse. On suivait.
DNJ Que retenez-vous de votre Victoire d’honneur du Jazz?
RH Je sens qu’un événement est important quand beaucoup de photographes sont alignés devant moi. J’ai été heureux que ce que le travail tout au long de ma carrière soit salué ici, à Paris, en septembre dernier. La soirée était super. Je vais poser la récompense à côté des Grammies que j’ai déjà à la maison. Dreyfus a sorti trois disques : tous nominés aux Grammies, vous vous rendez compte? « Whereas », le dernier, représente la première fois qu’un solo de batterie est nominé. Ce n’est pas rien. J’y croyais. Simplement, j’ai concouru dans la même catégorie que Mike Brecker. Il a gagné. Normal : Mike est un géant. Je l’apprécie. J’ai déjà joué dans un de ses groupes.
DNJ Dans quelles circonstances avez-vous enregistré « Whereas » ?
RH Un copain batteur possède un club à St Paul (Minnesotta). Il m‘a invité en janvier 2006. Le contrat pas prévu au programme. Cela s‘est conclu rapidement. Mon agent n‘était même pas au courant. Quant il l’a su, le maire de Saint-Paul a carrément décrété que le week-end me serait dédié : le « Roy Haynes Week-end ». Vous le croyez? J’ai sollicité un pianiste de Miami, Robert Rodriguez, car le mien était engagé à New-York. La musique est quasiment improvisée. Les soirées ont été enregistrées. Les conditions étaient idéales. Et voilà le résultat...
Bruno Pfeiffer.