Naïve
Baptiste Trotignon (p), Mark Turner (ts)
Attention choc de la rentrée !
Trotignon associé en duo à Mark Turner, ce n’est absolument pas le fruit d’un pur hasard. Les deux hommes se connaissent bien. Le saxophoniste était venu jouer sur 3 titres sur l’album « Share » paru en 2009 et, en 2010 sur l’album fort logiquement nommé « Suite », toujours pour le label Naïve. Il y avait déjà entre eux quelque chose de tellement fusionnel dans leur jeu, que l’idée d’enregistrer un duo était la suite logique et ultime de leur rencontre.
Et force est de constater que les deux musiciens ont décidé de la placer au sommet, au niveau de ces cimes rarement atteintes en musique et desquelles on contemple le paysage musical en parfaite plénitude. Méditative ? Pas vraiment au sens mystique du terme. Plutôt contemplative dans le sens où cette musique très zen (Dusk is quiet place) ouvre de superbes espaces musicaux (Wasteland). Musique de chambre, intime qui prend des allures de storytelling. Rencontre d’une douceur tamisée où le rapprochement des timbres, la fusion des sons, et l'abolition de toute frontière entre improvisations et écriture en fait un moment rare. Où l’on ne sait jamais ce qui a été écrit et ce qui ne l’est pas, ce qui relève d’une prise spontanée ou ce qui a été retravaillé. Car c’est une évidence, cette musique semble tout aussi naturelle que le simple fait de respirer.
Mark Turner tout en économie du geste et en sensualité joue les maîtres zen. Avec un jeu très aérien, très attentif au timbre, manie l’aigu avec la précision d’un calligraphe, et apporte dans les graves un souffle doux. Enveloppe la musique d’une sorte de velours moiré. Et Trotignon, attentif, ornemente et embellit avec grâce et subtilité, gardien de l'harmonie et du rythme sans jamais enfermer le trait. Le pianiste s’inscrit alors avec élégance dans les interstices du jeu du saxophoniste avec un jeu proche parfois de l’école classique, s’inscrivant en contraste non seulement dans l’esprit mais aussi dans le son (Ô do borogado). Où chacun, à force d’écoute y montre un grand respect pour la musique de l’autre et entre en résonance. Cela donne ainsi un dialogue toujours passionnant, toujours tendre.
Tous les deux jouent divinement. Laissent la musique respirer.On n’est pas loin du duo Konitz-Solal.
Les thèmes sont composés pour l’occasion par les deux musiciens. 2 morceaux magnifiques de Bach sont aussi prétextes à de belles improvisations jazz, aériennes et inspirées.
Et ce dialogue à fleuré moucheté, fait d’écoute et d’attention nous touche par son évidence et par sa grâce. Juste un piano et juste un sax ténor pour dire de belles choses. Paisiblement.
Jean-Marc Gelin