Label La Buissonne
« A la fin d’une séance d’enregistrement, nous nous sommes retrouvés autour du piano avec Bill Carrothers à évoquer des thèmes qui nous sont chers. Au fil de la discussion il fredonne en arpégeant à sa façon un « Once In A While ». C’est alors que je découvre un autre Bill... Un chanteur dans la pure tradition».
Voilà l’origine de ce solo piano/voix où l’Américain pose « ses » mélodies sur des harmonies qu’il travaille à sa façon. On le savait chanteur et, avec sa femme Peg, membres actifs d’une chorale, chez eux dans le Mid West, depuis son formidable projet sur Armistice 1918 du regretté label Sketch. Les thèmes des musiques d’histoire, des musiques de guerre (Guerre civile américaine, Grande Guerre..) le fascinent et sont intégrés à son répertoire. La nostalgie joue à fond avec ce musicien, beaucoup plus sensible à l’histoire et aux bouleversements d e la fin du XIX ème et du début du XXème siècle qu’à l’époque actuelle. Comme la guerre, la musique brouille les pistes de l’espace et du temps jusqu’au vertige. Bill Carrothers avouait dans le livret d’un précédent solo, consacré aux Civil War Diaries que « l’histoire est affaire de fantômes et la musique une manière agréable de converser avec eux. Car les fantômes sont parmi nous ».
Il nous livre ici 13 petites pièces chantées, simplement, fermement énoncées d’une voix chaude, sans vibrato. Un phrasé et une diction impeccables...comme dans la valse mélancolique et tendre « Mexicali Rose ». Ce sont des chansons populaires, et certaines, empruntées au répertoire américain, racontent toutes une histoire de séparation, souvent dues à la guerre. Si elles dévoilent des émotions enfouies, elles s’attardent sur le souvenir de ces instants heureux mais fugaces d’un amour perdu. Célébrant l’attente comme le souffle le titre de l’album, Love and longing. Un enchaînement de thèmes dépouillés, peu variés, sur les affres plus que les bonheurs de la relation amoureuse, même dans « The L & N don’t stop here anymore » au rythme plus entraînant. Il est question d’amour, mais d’une certaine idée de l’amour, porté par des valeurs spirituelles, d’un désir qui serait vertueux avec en lui, un parfum d’absolu. L’amour peut libérer les êtres, croit-on, mais il les attache aussi. La musique de Bill Carrothers, souvent sombre, frôle la disparition, l’évanouissement. Un travail marqué par la pureté, car jamais l’artiste ne transige et conserve intact un univers musical très particulier, hanté.
Parfois son timbre de voix est proche de celui de Chet Baker comme dans le déchirant « So in love », le piano ponctuant la tristesse de la mélodie, insistant sur les temps comme un bourdon sinistre. Un glas dont on n’aurait pas à se demander pour qui il sonne. Le final sur le célèbre « Skylark » d’ Hoagy Carmichael nous enveloppe d’un voile frissonnant. Et si Bill Carrothers sifflote, ce n’est pas vraiment léger, persiste toujours ce sentiment de perte, de ‘paradis perdu’. Ainsi, ce climat particulier, posé dès le premier titre « Love » jusqu’au final, renforce le sentiment de se trouver au sein d’une seule partition chromatique. Un ensemble qui happe, finit par submerger et émeut souvent.
Sophie Chambon