EVENEMENT!!
"Au large d'Antifer" - Bruno Régnier, musicien des sens
29 novembre 2009 - Scène Nationale d'Orléans
Sébastien TEXIER (Sax alto et Clarinettes), Rémi DUMOULIN (Sax ténor et Clarinettes), Olivier THEMINES (Clarinettes), Alain VANKENHOVE (Trompette), Matthias MAHLER & Jean-Louis POMMIER (Trombone), Alexis THERAIN (Guitare), Frédéric CHIFFOLEAU (Contrebasse), Matthieu DESBORDES (Batterie), Pablo PICO (Percussions), Bruno REGNIER (Compositions et Direction)
On connait bien Bruno Régnier: musicien, arrangeur, compositeur, chef d'orchestre. On connait bien ses X'tet et CinéX'tet, "moyenne grande" formation à géométrie variable, qui l'un laisse libre cours aux envies de son créateur (la dernière en date sur cd est Suite de danses) l'autre met en en musique les films de Buster Keaton et The Mark of Zorro de Fred Niblo avec Douglas Fairbanks, qui paraîtra ces jours prochains et dont on pourra voir et écouter une représentation live au ciné Balzac à Paris le 13 décembre prochain.
Mais, on sous-estime son talent de compositeur. Sur la Scène Nationale d'Orléans, Bruno Régnier a mis en musique les peintures d'un jeune artiste: Louis Gagez. (ndr: Autant le dire tout de suite, je n'ai pas souhaité joindre une photo d'une peinture - bien que l'envie ne me manque pas - de Gagez, car cette photo ne ferait pas ressortir le plaisir stupéfiant que j'ai pu ressentir en zieutant au plus près ses oeuvres dans la petite galerie de la Scène Nationale d'Orléans juste avant le concert du X'tet. Il faut les voir en vrai, en face de soi et frissonner.)
On comprend tout de suite où Régnier a puisé l'inspiration pour composer "Au large d'Antifer". Antifer est un phare en haut d'une falaise de Fécamp et le seul tableau de Gagez qui porte un nom. Ce qu'on remarque dans ses peintures: c'est l'inexplicable impression de relief des figures sur une toile lisse. Puis il y a la vie qui se répand sur la toile, le mouvement des éléments des paysages - que ce soit la mer en furie ou un désert chaotique - la ténébreuse atmosphère où l'on ressent - sans véritablement l'identifier - cette beauté rassurante et joyeuse, cet halo coloré, comme une vision illuminée. Gagez a un secret: il travaille l'obscurité de sa toile, la colore d'un jus blanc, puis gratte, ponce, sculpte et découpe sa peinture. Le résultat est emballant.
Cette méthode de travail originale a été un élément déclencheur pour Régnier: il y a trouvé une correspondance avec sa façon de composer. Le même langage de travail.
Exigeant que de mettre en musique des peintures contemporaines! Il faut trouver un fil conducteur, illustrer la musique pour susciter l'envie de les voir chez l'auditeur. Lors du concert, une vidéo nous est projetée. Elle montre les peintures de Gagez sous tous les angles, avec des filtres de couleurs, cachées dans l'obscurité ou sur-éclairées. On découvre la main du jeune maître manipuler les couleurs, tapoter la toile, triturer les pinceaux et sculpter la peinture. Les images amènent le spectateur à dompter les sons pour les associer aux toiles: boisé de clarinettes qui évoque des atmosphères étouffantes, orageuses trompettes et grelons en percussion, étal de peinture sur trombone large, picotement de pinceaux pour clarinette taquine.
Par tous les moyens, Régnier déploie les atmosphères, les transcendent parfois: certaines qe l'on perçoit, d'autres qu'on devine. Surtout, Le compositeur a tout compris de l'oeuvre de l'artiste. D'abord obscure ou opaque - c'est la première impressions des peintures de Gagez - sa musique se fait doucement pop, nous entraîne dans son swing subtil et nous fait entrer au coeur des rouages de la toile... Au fur et à mesure du concert, Régnier met en exergue l'aspect enjoué et lumineux de la peinture de Gagez: ce petit côté mystérieux qui nous attire. Inexplicable. Plus qu'une mise en musique, Régnier s'est mis au service de la peinture avec une proposition musicale apaisée et léchée - se détournant d'une interprétation libre dans la musique - où l'on perçoit odeurs, chaleurs et vents. Régnier met en musique nos sens.
Jérôme Gransac