Tzig’art 2011
Clotilde Rullaud ( vc, fl, arr), Dano Haider (g,b), Olivier Hutman (p, kybd), Antoine Pagnaotti ( dm) + Hugo Lippi ( g), Sebastien Llado (tb)
Déjà il y a cette ouverture en guise de choc, cette sublime interprétation de La noyéede Serge Gainsbourg reprise sur le même système que Waltz Debby de Bill Evans et qui en fait une superbe introduction sur des vocalises de la chanteuse. D'emblée on sait que l'on entre dans son univers musical qui s'affranchit des formats du jazz standardisé. S'ouvre alors devant nous un vrai parcours musical passionnant autant qu'exigeant. grâce à des arrangements sublimes et à des partenaires tous excellents, Clotilde RULLAUD, chanteuse à la gravité aérienne s'affranchit de tous les clichés. L'Afro Bluede Coltrane est rendu à ses terres de griots sans que cela ne tombe pour autant dans la lourde paraphrase. Chanteuse à sensations pour qui tout est affaire de feeling et de groove la chanteuse interprète à la fois en français (sur des textes de Emmanuel Delattre), ou en anglais. Dans la bouche de la chanteuse, le Français parvient à swinguer avec grâce et légèreté comme ce Bahianaoù le brésil se prononce avec chaloupement.
Pour Clotilde RULLAUD, la musique a cette force magique de pouvoir, lorsqu'elle transporte l'âme, transporter aussi dans le même bagage toutes les influences, tous les dialectes et toutes les frontières. Il suffit de trouver les structures communes et d'y croire pour qu'une samba se transforme en chanson bluette (l'eau à la bouche, Gainsbourg encore - on se souvient qu'une autre chanteuse, Bïa avait elle aussi pris ce thème sur un mode bossa-samba). C'est qu'elle est prise dans son élan Clotilde, au point de faire strictement ce dont elle a envie. Et pourquoi ne pas mettre du Nirvana dans cette bossa gainsbourisée. Et tant pis pour ceux qui penseraient que cela sonne "bizarre". Ceux-là n'entendent pas la musique et le chant qui libère des contraintes musicales.
Ses musiciens à elle, cette belle formation qui l'accompagne (en l'occurrence ils font bien plus qu'accompagner "derrière") a bien compris que tout est prétexte au groove lorsqu'il est joué avec le bonheur de simplement jouer et de faire tourner le feeling.
On est en revanche un peu plus gênés par ce souci absolu de bien faire qui pousse la chanteuse à ne pas ménager ses effets et à ultra-arranger les thèmes. Trop d'arrangements tue parfois l'arrangement. Tue en tout cas un peu de spontanéité dans cet album que l'on sent travaillé à l'extrême. Mais il reste l’âme, il reste le moment, il reste la chanteuse qui attire la lumière et il reste sa voix d’une gravité suave. Un thème de Olivier Hutman (This is it) fait frémir le groove un peu funky. L’on reste un peu sur notre faim sur cette version de Fragile qui après un début prometteur tend à se perdre dans quelques méandres et s’effiloche un peu alors qu’à l‘inverse Uglybeauty est l’illustration d’un less is more, marque d’un immense dépouillement qui touche en plein centre. Idem sur Oblivion(de Piazzola) rendu à la belle guitare de Dano Haider et où c’est la musique de la voix qui effleure, comme une mélopée charriant toute la nostalgie Piazzolienne.
On ne peut pas passer à côté des musiciens qui jouent avec Clotilde Rullaud. Olivier Hutman, tenez, rien que lui ! Enigme…. Pourquoi si rare, pourquoi si peu entendu ? Olivier Hutman dont chaque intervention puissante autant qu’inspirée souffle un vent fort sur l’univers de la chanteuse. Olivier Hutman dans l’intelligence du jeu et de l’accompagnement. Son entente avec Paganotti est de ces rares alchimies qui forment comme un écrin subtil à la chanteuse.
Pour clôturer cet album c’est en vraie musicienne, plus qu’en chanteuse, que Clotide Rullaud ( ex- flûtiste) réarrange Pie jesus de Maurice Duruflé. On se souvient des derniers arrangements jazz réalisés par les frères Belmondo ou par Yaron herman. Clotilde Rullaud nous en offre une autre lecture, là encore personnelle et habitée. La voix se mélange aux nappes de sons, enveloppe tout sur son passage et nous emporte. La chanteuse là encore vibre avec sa voix, avec son texte, avec la musique qui la porte. C’est intense et cela vient sublimement fermer la dernière page de cet album.
Jean-Marc Gelin
La chanteuse sera au Studio de l’Ermitage le 20 avril.