Francis Le Bras (piano), Daniel Erdmann (saxophone), Claude Tchamitchian (contrebasse)
Sortie du disque en mars 2014 sur Vents d’EST, label et collectif artistique
Distribution Allumés du Jazz www.allumesdujazz.com
Ça commence comme un chant d’amour, d’abandon au désir ou à la plainte, c’est tout comme. Avec ses formidables complices, le contrebassiste Claude Tchamitchian, particulièrement en forme, le saxophoniste imperturbable et néanmoins follement réactif Daniel Erdmann, Francis Le Bras engage une conversation subtile, drôle et mélodique. Voilà tout un art du trio qui se réinvente sous nos yeux, une façon de réarranger, et de faire virevolter la musique autour d’une contrebasse très active, d’un «allumé» du saxophone et d’un pianiste qui harmonise ses propres déséquilibres, à la recherche non pas d’un enfermement protecteur mais d’élans lumineux, d’horizons éclatés. On assiste à une mise en jeu du corps avec ce concert réjouissant qui préfigure la sortie d’un album enregistré cet été à la Buissonne ...
Aucun des trois n’est marseillais mais cette ville a su devenir incontournable dans leur parcours personnel et artistique. Ceci dit, malgré le titre, le concert de ce samedi 8 février n’a pas donné lieu à une série de pièces folkloriques, une galéjade arrosée au pastis, avec vue dégagée sur la Grande Bleue. C’est autrement plus original et intimiste. Le pianiste Francis Le Bras, à l’origine de ce projet, est parvenu à transposer sa vision de la cité phocéenne avec humour et sensibilité, jusqu’à nous régaler d’un gospel, réécrit en l’honneur de la Bonne Mère (!) « Holy Mother ». Et ça colle, peuchère.
Cette musique a une profondeur émerveillée, une qualité de sérieux immédiatement palpable, avec des pièces plus atmosphériques comme cette «Corniche JFK» qui ne sera peut-être pas le nom définitif de la composition. De toute façon, le pianiste a su recréer un itinéraire particulier, une géographie décomplexée qui emprunte le chemin des écoliers, jamais les transports en commun (marseillais). Une vision qui se matérialise dès le premier titre, la déambulation de «Saturday night au Panier» en évoquant une nouvelle narration, une enquête sur un rythme dense et syncopé, tel un polar d’Izzo, Chourmo ou Total Chéops, et qui va voir également du côté du cinéma : le ciel et l’obscurité sont réconciliés dans ces échappées nocturnes, ces travelling avant sur l’asphalte luisante... Bande-son d’un film noir imaginaire, un extérieur nuitdont la mise en scène joue du décor urbain aux images contrastées en noir et blanc.
Le saxophoniste Daniel Erdmann a laissé aussi quelques traces de sa réflexion et l’on retiendra ce « Igor on the Autobahn », une pièce au titre décalé, qui lui sied comme un gant. On aime la diversité des couleurs proposées, ces valeurs douces où viennent se couler les sonorités du saxophone. On vous le disait, une création libre à plus d’un titre mais pas free, avec même, le plaisir d’une ballade au cœur de la mélancolie. C’est que Francis Le Bras paraît fasciné par une certaine qualité de sombre qu’il déjoue en vitesse, comme s’il se défendait d’une pente naturelle méditative et recueillie. Le trio se livre avec bonheur au jeu d’un texte ouvert : toutes les pièces prennent un relief particulier qui les rend actuelles sans autre référence que le seul désir qui s’y trouve engagé. Un parcours initiatique qui renouvelle notre vision de la cité phocéenne. Vivement recommandé.
©sophie chambon
NB : Précisons pour les Marseillais que ce concert se déroulait dans un nouveau lieu branché, L’U.percut, 127 rue Sainte, bar à tapas à deux pas de la puissante abbaye fortifiée de St Victor (Vème siècle avant J.C ), là où l’on bénit les navettes pour la Chandeleur ....
Sophie Chambon
JAZZ - CONCERT "de l'Estaque aux Goudes" ERDMANN / LE BRAS / TCHAMITCHIAN - 8 février U.Percut Marseille from Maurice Salaün on Vimeo.