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29 décembre 2009 2 29 /12 /décembre /2009 05:23

Futura et Marge. 2009.

`futurager16 130Dizzy Reece (tp), John Gilmore (ts), Siefried Kessler (p), Patrice Caratini (cb), Art Taylor (dr).



Ce disque est un OVNI que l’on doit à Gérard Terronès dont il faut redire le rôle crucial (crucial parce qu’absolument passionné) pour jalonner le jazz des années ‘70, bien au-delà de la mouvance free (1), de Steve Lacy ou Archie Sheep à Ben Webster, de Freddie Redd à Mal Waldron et jusqu’à cet album du trop confidentiel trompettiste Dizzy Reece qui a longuement séjourné en France. Insistons-y d’emblée : le plus sidérant, c’est que ce quintet est complètement d’époque et complètement d’aujourd’hui tant il continue de nous interpeller et de nous happer par sa ferveur et sa liberté intactes (le CD live des frères Belmondo, « Infinity » en fournit par exemple la démonstration). Quelques jalons : nous sommes en 1970, le groupe se produit à la salle des fêtes de Créteil et la musique est clairement placée sous le sceau du lyrisme coltranien le plus échevelé mais ce qui, en l’occurrence, sauve (et l’on est tenté de dire : « sauve » tout court sans avoir à préciser de qui ni de quoi !) c’est une étincelante communion qui estompe des positionnements stylistiques assez différents. On retrouve en effet dans cette formation deux hard-boppers orthodoxes, le leader et Art Taylor (sur le point de se retirer de la scène), la comète singulière John Gilmore, qui a marqué les albums de Freddie Hubbard ou Pete La Roca, entre autres, au-delà de sa longue collaboration avec Sun Ra, et deux artistes français : Patrice Caratini, âgé d’à peine 25 ans et Siegfried Kessler qui en a dix de plus. Ininterrompue sur 43’ mais remarquablement structurée en quatre mouvements (« Communion » / « Contact » / « Krisis » / « Summit »), leur musique est une traînée de feu qui naît, se déploie, s’apaise et se consume avec une énergie canalisée par une lisibilité de tous les instants. D’un drumming crépitant qui affirme la pulsation autant qu’il seconde de sa frappe sèche les discours les plus intenses, du soutien obsessionnel de la contrebasse, d’un jeu de piano portant l’harmonie à incandescence autant par méthode que par goût de l’embrasement, on ne sait d’abord que louer…Soulignons au demeurant que les choruses les plus insolents, les plus déroutants, d’une beauté altière, sont sans doute ceux de Siegfried Kessler, alors dans la souveraine plénitude de son expression. Bien entendu, les deux soufflants ne sont nullement en reste : John Gilmore parce qu’il développe, sans inféodation à Coltrane, un jeu sec, découpé, maître de son propre enfièvrement, Dizzy Reece parce qu’il démontre de superbe manière comment, et en quoi, le socle du hard-bop a permis d’ouvrir l’instrument, musique modale et défis de la virtuosité complètement assumés (Freddie Hubbard, Woody Shaw, etc.) à une expressivité saisissante, hallucinée, tout à la fois urgente et nuancée (cf. l’exposé de « Summit »). Ecoutez et réécoutez ce disque, le temps que – non simplement vos oreilles, comme on dit – les fibres de votre corps s’imprègnent de cette qualité d’explosion qui devrait être l’un des secrets de nos vies…


Stéphane Carini.


(1) un début de revalorisation du parcours de G. Terronès est heureusement en cours : cf. un article très documenté : « Les disques Futura et Marge ont quarante ans », tout récemment signalé par Jerôme Gransac et paru sur le site de nos confrères de Citizen Jazz.

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