Les chiffres annoncés récemment au Midem obligeront certainement les artistes en général et les jazzmen en particulier, à repenser leur rapport à la création. Ces chiffres sont en effet impressionnants : alors que le marché du numérique représentait 20 millions $ en 2003, il dépasse en 2009 les 4 Mds. Alors qu’il y avait moins d’un million de titres en ligne en 2003, on en compte aujourd’hui plus de 11 millions. Et les fournisseurs de service qui ont compris l’importance de ce marché se mettent tous désormais sur les rangs. Alors qu’ils étaient moins de 50 en 2003 ils sont aujourd’hui plus de 400.
La notion même d’album ou de disque reste problématique à tel point que les industriels du secteur ne savent plus trop à quoi se vouer. Certains d’entre eux ne parlent plus qu’en « titre », seule véritable valeur marchande, témoin du caractère éphémère des chanteuses d’un moment propulsées au rang de superstar dont l’espérance de vie artistique est aussi fugace que les modes qui les génèrent. Par exemple la chanteuse pour adolescents pré pubères, Lady Gaga, reine actuelle des dance floor a t-elle vendu plus de 10 millions d’unités (!) de son titre « Poker face ». A côté de cette performance, nos bons vieux disques d’or, d'argent ou de platine font bien pâle figure…. Et qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou pas, la musique se conçoit et se concevra de plus en plus « à la découpe ». Mais la vérité étant toujours plus subtile, les chiffres de 2009 laissent à ce sujet planer une certaine ambiguïté. En effet en 2009 les ventes en ligne d’albums ont progressé bien plus vite (+60%) que celle des ventes à l’unité (+38%). Comprenne qui pourra. De quoi jeter le trouble sur un modèle qui se cherche encore à l'image des nouvelles plates-formes de téléchargement qui semblent hésiter entre le modèle payant et gratuit à l’image de Deezer qui à côté de sa plate-forme traditionnelle et gratuite (plusieurs millions de visiteurs) n’a en revanche réuni que 10.000 abonnés à peine pour sa plate-forme payante. Dans ce paysage, les réseaux de distribution traditionnels de la grande distribution résistent tant bien que mal.
Après plusieurs années en chute libre, les ventes de disques sur supports physiques se sont en effet stabilisées en 2009. Mais il n'empêche, pour la première fois depuis longtemps en effet, les ventes de Cd en grande surface marquent le pas au profit de nouveaux fournisseurs de musique. En France, les grandes surfaces alimentaires représentent toujours 34% du marché, mais ce résultat est loin derrière les 46% observés en 2005. Outre-atlantique, le grand gagnant est assurément Itunes qui vend d’ores et déjà bien plus de musique sur sa plate-forme incontournable que le géant de la distribution Wall-mart. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, la musique numérique représente désormais plus 40% de la distribution (15% en Europe) sans que cette tendance ne montre le moindre signe de faiblesse. De quoi s'attendre à de prochains bouleversements.
Que n’a-t-on entendu ces dernières années sur les réseaux traditionnels de distribution de produits culturels comme la FNAC, accusés sans cesse d’être trop mercantiles et d’être responsables d’un certain conformisme culturel, idéologique et artistique, ne proposant somme toutes qu’un choix très ciblé et limité d’artistes. J’ai toujours été pour ma part très réticent à porter la critique sur ces lieux de vente des produits de culture de masse. Et le fait que des réseaux comme la FNAC semblent accuser gravement le coup ne me réjouit pas le moins du monde. La baisse sensible des ventes de disque en magasin serait ainsi en grande partie à l’origine de la décision de principe du groupe PPR de mettre en vente ce fleuron de la distribution culturelle. La perspective de sa disparition ( celle des Ternes annoncée pour 2011 puis démentie ensuite m'attriste profondément ) serait, je pense, une grande perte dans le paysage culturel. Combien de fois ai-je arpenté les rayons jazz de la Fnac Montparnasse à la recherche des conseils avisés et éclairés des vendeurs passionnés grâce à qui j'ai pu me constituer une discothèque idéale et digne de ce nom. Et combien d’entre nous se sont constitué leur première discothèque de jazz en allant faire des razzias sur les « opérations » Blue Note de la FNAC ! Combien de fois, vous êtes vous retrouvés, perdus dans une grande ville de province à déambuler dans les allées d’une FNAC au milieu des nouveautés comme dans un lieu familier où il fait bon chiner et s'égarer. Qu’un lieu de culture qu’il soit de masse ou non, qu’il soit mercantile ou non disparaisse nous semble toujours être une mauvaise nouvelle.
A moins que l’on invente d’autres modèles pour éveiller notre goût pour la culture. C’est assurément le défi de demain auquel nous devons nous atteler hâtivement.