JOHN ZORN : « Mycale – Book of Angels Volume 13 » *****
Tzadik 2010
Basya Schechter, Ayelet Rose Gottlieb, Malika Zarra, Sofia Rei Koutsovitis (voc).
Depuis son lancement il y a déjà cinq ans, la série « Book of Angels » a – au gré des interprètes auxquels John Zorn confiait ses compositions – alterné grandes réussites et déceptions certaines, à l’image du dernier volume chroniqué dans ces pages. Mais cette nouvelle livraison fait plus que rattraper le coup : il s’agit sans doute du disque le plus inattendu, le plus rafraichissant et le plus excitant de toute la collection, en dépit ou peut-être à cause de son étonnante brièveté (33 minutes !). Jusque-là inconnues au bataillon zornien, les quatre chanteuses réunies ici en un quatuor a cappella donne au répertoire de Masada une orientation totalement insoupçonnée. Alors que la radical jewish music chère à Zorn se réduit parfois au recyclage de quelques formules klezmer ou orientalisantes, « Mycale » nous convie à un authentique festin de musiques du monde, où la tradition juive n’est que le trait d’union entre des folklores riches et divers. Respectivement natives de Brooklyn, d’Israël, du Maroc et d’Argentine, ces quatre New-yorkaises ont bâti une magnifique tour de Babel où le langage universel des onomatopées et des vocalises se mêle à l’hébreu, au yiddish, au ladino, au Français et à l’Arabe (c’est d’ailleurs peut-être la première fois qu’on peut entendre des textes chantés dans un disque de Zorn). Les arrangements qu’elles ont imaginés mêlent fantaisie à la Bobby McFerrin, rythmes d’inspiration africaine et influences minimalistes aux musiques orientales et à leur mélismes enchanteurs. Le quatuor est formidable de cohésion et d’unité, mais laisse aussi chaque voix affirmer sa singularité, dans des solos parfois bouleversants. C’est là sans doute la grande différence avec l’autre grand projet vocal de Zorn, le « Cantique des cantiques » présenté à La Villette en septembre dernier. Dans cette composition grandiose pour cinq chanteuses a cappella, l’ensemble vocal fonctionnait comme une sorte d’orgue humain aux intonations parfaitement pures. Ici, la voix est assumée avec son relief, son vibrato, ses aspérités, bref son humanité.
Pascal Rozat