Sortie nationale 8 octobre 2012
Concert de sortie le 30 octobre à Mont St Aignan (76)
Distribution anticraft
S’il n’oublie pas l’historique Campagnie des Musiques à Ouïr (avec Christophe Monniot, puis Laurent Dehors et David Chevalier), le batteur Denis Charolles a essayé de l’étoffer, il est passé à une autre dimension, avec d’autres formations, ouvertes à des instrumentistes mais aussi des chanteurs aussi extraordinaires que Loïc Lantoine et Eric Lareine. Ainsi Les Etrangers Familiers ont rendu un Salut respectueux et sincère à Georges Brassens, projet célébré aux DNJ.
Après la création Duke et Thelonius, L’Ouïe neuf est le neuvième album des Musiques à Ouïr, avec une Campagnie augmentée, nébuleuse issue de Mélosolex, Journal Intime (le saxophoniste Frédéric Gastard, le tromboniste Matthias Malher et le trompettiste Sylvain Bardiau), Super Hibou (Antonin Rayon). Cette Grande Campagnie des Musiques à Ouïr est protéiforme, donnant la parole dans un discours collectif à des musiciens complices, constamment époustouflants qui doivent absolument être vus sur scène, dans la recréation de cette musique.
La Campagnie se charge en cuivres sur ce nouvel album, rayonnant, qui accroche dès les premières notes : il ne s’agit pas d’envoûtement fluide, d’une douce transe, imperceptible, au contraire, on est au cœur du chaudron des Musiques à Ouïr. Ça pulse, ça vibre et résonne, ça danse enfin, retrouvant cette aspiration au mouvement, trop souvent oubliée aujourd’hui de certains musiciens qui cérébralisent inutilement leur musique. La musique taille dans la chair, à vif, bénéficiant de la formidable synergie des huit, d’une complicité potache qui semble indéfectible. Que l’on espère ainsi, du moins. Energie tendue, rock cuivré, quelque chose d’assez primal qui sort de ce désordre savamment (dé)réglé, exutoire rythmé et mélodique, libérateur, nerveusement rageur et joyeux à la fois, comme dans cette composition insolite, superbe « Le petit et le grand gazon ».
Voilà une efficace mise en jeu du corps et du mental, un engagement des musiciens dans cette course piquante, plaisante mais effrénée avec des collages à la Zappa, de brusques changements de rythme comme dans cette « M.C suite » déglinguée, en hommage à …Mariah Carey ! Pas étonnant d’ailleurs qu’un des morceaux soit dédié à Captain Beefheart disparu récemment.
On prend la mesure de ce groupe loufoque, génialement touche-à-tout, qui remet certaines musiques à l’ordre du jour avec cette merveilleuse suite, longue de plus de dix minutes qui vous tiennent sous le charme, ce «From Duke to D »… morceau de bravoure réunissant tradition et modernité.
Cette musique est une création prolifique qui part dans toutes les directions, suivant la piste de Kurt Weil dans le premier morceau, emboîtant le pas des « marching bands » dans « Bob et John », du New Orleans qui lorgnerait du côté de l’Art Ensemble, des impros collectives à la douce euphorie qu’entraînent une trompette éclatante,des clarinettes étonnées dans « Beau gosse », sans oublier une reprise de « Shimmy Shimmy Ya » d’ Old Dirty Bastard (ODB), du rappeur chanteur du Wu Tan Clan. Il y en a absolument pour tous les goûts (ah, ce délicieux petit intermède « Java » qui vous fait trotter rondement ) et les titres sont adaptés à ces morceaux baroques, un rien surréalistes comme l’inquiétant « Joker » issu du spectacle « Au lustre de la peur » écrit par l’étonnant Eric Lareine.
Voilà une musique populaire, au sens le plus noble du mot, diversifiant timbres et couleurs, métissage de styles, jouant au plus fin avec l’instrumentation originale (3 clarinettes dont Jacques Di Donato que l’on est heureux de trouver en si bonne campagnie, une flûte, des saxes, du soprano au basse, un trombone, un tuba, une trompette, une batterie infernale, des percussions diversement fantaisistes).
Vous l’aurez compris, Denis Charolles est un leader compositeur hautement éclectique qui a l’art de bien s’entourer. Avec Frédéric Gastard, arrangeur brillant, ils sont les artisans hautement éclairés, bâtisseurs de cette architecture hybride, délirante et sérieuse. Mais tous les musiciens sont absolument formidables, animés de ce (gros) grain de folie, nécessaire pour régler et dérégler à volonté l’ensemble. Ainsi, la musique de la Grande Campagnie arrive à développer simultanément la voix de chaque interprète tout en renforçant les élans collectifs. Irrésistible et intemporel, donc vivement recommandé !
Sophie Chambon