Nous avions envie, aux DNJ de revenir sur l’un des albums les plus passionnants de l’année, celui que Mederic Collignon a consacré à la période électrique de Miles Davis. (voir la chronique de Lionel Eskenazi )
Rencontre avec un personnage foisonnant du jazz français qui n’a pas sa langue dans sa poche. Loin de toute langue de bois, Méderic Collignon parle cash et se livre sans fard.
DNJ : Avant de parler de l’album proprement dit, parle nous un peu de cette pochette incroyable qui évoque si bien l’univers de cette période électrique de Miles
Méderic Collignon : En fait j’ai tout conçu de cette pochette même si je ne l’ai pas réalisée moi-même. C’est Etienne Chaize qui me l’a fait exactement comme dans mon rêve. Le Chaos, l’apocalypse, 2001, les tours qui se font réduire par un fou, échec et mat ! La Chrysler Tower pour le côté moderne et la tour de Babel. Et puis le phallus qui viole un ovule. C’est une agression certes mais finalement peut être que c’est cela la nature. Il y a aussi un côté Caravage, une face obscure.
DNJ : Comment as-tu abordé ce projet ? Tu venais de sortir de Porgy & Bess et l’on t’attendait sur un terrain différent (comme Don Cherry par exemple). Finalement tu reviens à nouveau à Miles et tu récidives alors que tu t’en étais pris plein la gueule par certains critiques
MC : Oui mais par une seule personne, par Michel Contat.
DNJ : Mais quand tu as fait Porgy, tu avais déjà en tête cet album ?
MC : Je sais toujours ce que je vais faire demain et après-demain. N’oublions pas que Jus de BocSe c’est Juke Box, c’est un groupe de reprise. C’est quelque chose qui ne crée pas. Ou alors c’est toi en regardant l’objet qui tout à coup imagine quelque chose qui va ailleurs. C’est un groupe de reprise, c’est du jazz dans le geste. Le jazzman reprend les choses, il créée rarement à la base. Il est toujours dans la reprise de papa, maman, machin. Miles a fait ça. Charlie Parker a fait ça tout le temps. Certes il a écrit mais cela n’est venu qu’après. Et moi je compose déjà bien avant Jus de Bocse, je compose à côté pour des petits orchestres ou pour le Megaoctet d’Andy Emler. D’ailleurs ils ont eu tellement de mal à la bouffer ma compo que je sais finalement pourquoi je ne compose pas plus. Je sais pourquoi j’arrange et pourquoi ça dérange. Et c’est ça le concept de Jus de Bocse et je ne peux pas composer avec ce groupe sinon j’irai à l’encontre de son concept.
DNJ : Comment aborde t-on de tels monuments ? Avec peur ? Après tout c’est toi qui disais à propos de Kind of blue : « j’y touche pas, c’est un classique ». Exactement ce que te reprochait Contat pour Porgy.
MC : Ben oui, il faut bien affronter ses peurs finalement. Du coup je crée ou je chie. Il m’arrive de chier comme par exemple sur Summertime. A l’époque je ne pouvais absolument pas l’arranger. Page blanche attitude ! J’avais beau écouter j’entendais rien. J’avais les larmes aux yeux parce que j’avais Gil Evans dans la poche. Pas Miles. J’en ai rien à faire de Miles là-dessus. Je suis juste en train de pleurer et d’écouter la création de Gershwin. Mais surtout pour moi il y a Gil Evans. La permanence de cette pâte qui est unique, taillée dans le diamant et que je n’ai jamais vue autre part.