Naïve 2013
Olivier Bogé (sx, vc, p), Tigran Hamasyan (p), Sam Minaie (cb), Jeff Ballard ( dms)
Il n’y a même pas un an lors la sortie de son magnifique album « Imaginary Traveler », nous avions déjà remarqué Olivier Bogé que nous avions chroniqué dans ces colonnes même. Nous y voyions et surtout nous y entendions un saxophoniste raffiné et élégant de la classe de certains de ses aînés vivants à New-York comme David Prez ou Jérôme Sabbagh (en moins funk), mais aussi de grands saxophonistes racés comme David Binney ou Mark Turner. La catégorie de ces joueurs de ténor fluides et souples, enfant de la pop et du jazz mélangés, adeptes de la maîtrise et de la zénitude. Restait alors à Olivier Bogé à se forger un univers musical qui dépasse un
peu les clichés ( que l’on aime absolument) du jazz New-Yorkais pour s’approprier son propre univers.
C’est ce qu’il fait ici de manière très soulful et très inspirée, perceptible dès les premières notes de l’album (Poem). Le garçon montre qu’il a des choses à dires et s’en donne les moyens. Notamment en s’appropriant une rythmique totalement inédite faite de la rencontre de deux fortes personnalités musicales, le pianiste très en vogue Tigran Hamasyan et le batteur Jeff Ballard que l’on imagine depuis peu exilé dans l’hexagone. Olivier Bogé dresse alors un décor superbe à la carte postale. En effet l'association de Tigran Hamasyan aux harmonies très typées ( Dance of the flying ballons) , et le drive très fin de Jeff Ballard sont assurément deux ingrédients magnifiques de leur savoir jouer collectif. Dans le même temps, pulsé par la rythmique, l'énergie circule fortement, une énergie que le sax d'Olivier Bogé survole de manière aérienne, prenant les choses par le dessus. Olivier Bogé c'est un sax très émotionnel, un qui raconte des histoires, pas vraiment un sax-chanteur mais un storyteller. Presqu’un jeu narratif et contemplatif à la fois. Il faut entendre comment, sur le bien nommé Be Kindpar exemple il sait se faire caressant et soyeux.
Alliance remarquable de talents, ce groupe puissant montre tout son savoir-faire à l'image de ce titre éponyme ( The world begins today) où le batteur de Brad Meldhau semble ici se démultiplier, véritable mécanique hallucinante de mise en orbite pour le saxophoniste. Impressionnant héroic drummer ! L'art de Tigran Hamasyan, quant à lui, est celui de rajouter au cœur de ses phrases des sortes de ghost notes, notes fantômes qui confinent au quart de ton et donnent cette couleur très métissée de jazz oriental
Inhérente à sa propre culture tout en s’appuyant sur des harmoniques très jazz. Un petit morceau gentil (Little Mary T) laisse le trio s'exprimer sur une agréable complainte où là encore, c'est l'occasion de prêter l'oreille au drive subtil de Jeff Ballard. On est en revanche moins convaincus par la nécessité d'un morceau pseudo mystique coltranien (Inner chant). Franchement dispensable. Mais l'instant d'après sur Seven Eagle feathers, Olivier Bogé retrouve toute sa légèreté et le lyrisme gracieux qui lui vont si bien.
La couleur de l’album est une couleur, on l’a dit métissée mais aussi très pop alliant parfois des rythmes ternaires avec du binaire à l’instar de ce Dance of the flying balloons ( point culminant de l’album, apothéose du quartet) et dont les thèmes auraient pu être chantés par un Radio Head ou un Portishead par exemple.
Il y a dans cet album des moments de vie, d’émotions fortes ou douces, une conception artistique qui ne laisse pas indifférent et convoque l’imaginaire et l’affect. Quelque chose de puissant se dégage du quartet. Son histoire commence peut être à s’écrire à cet instant-là.
Jean-Marc Gelin