Petit Label 2013
Emile Parisien (ss), Bertrand Ravalard (p), Jean-laude Oleksiak (cb), Antoine Paganotti (dms)
Ce quartet qui existe depuis 2004 nous propose ici une relecture de la musique de 2 grands compositeurs polonais bien trop méconnus ( Trzaskowski et Komeda) et qui pourtant mériteraient largement de figurer au rang des emblèmes de ce jazz des années 60 que certains ont découvert au travers des films de Jerry Skolimowski (« Le départ ») ou des premiers longs métrage de Roman Polanski. Komeda, compositeur génial en signait alors la musique dans une inspiration hard bop grâce à laquelle il donnait vie à cette nouvelle vague du cinéma.
Magnifié ici par un contrebassiste exceptionnel et un formidable drumming de Paganotti le quartet la joue roots. Entendez par là, sans fioriture de son réarrangé ou hyper mixé. Non, on est ici au plus près d'une quasi-session live, bouillonnante et vivante. On croit être en club à l'époque où ils étaient enfumés et où l'on s'entassait dans de petites caves voûtées sentant le fauve. Pas d'essai de moderniser la musique mais au contraire un voyage dans le temps avec force de swing et d'expression quasi coltranienne ( écouter l'admirable et modal near a forrest). Ça joue avec les tripes et avec une énorme envie. Emile Parisien, tribal s'invite dans ce quartet avec la fougue et le coeur ( gros comme ça !) qu'on lui connaît pour dynamiter les lignes chaque fois que l'occasion lui en est donné. Il faut voir dans ce Near a forrest comment il laisse exploser l'improvisation et comment il revient au thème dans un continum totalement maîtrisé et propulsé par une rythmique explosive. Et puisque l'on parle de rythme, il faut ici mentionner la précision diabolique du placement du saxophoniste comme sur ce kalatowski syncopé dans lequel Emile Parisien semble se faufiler comme un chat.
La musique, en elle-même est brillante, remplie de ressors harmoniques comme savaient si bien la manier les grandes stars du hard bop de l'époque. Et il y a aussi une réelle intelligence dans cette relecture de certains thèmes. On se souvient par exemple du thème du film « Le départ » dont la mélodie était chantée par Christiane Legrand. Ici, la course-poursuite s'engage avec une rythmique véritablement intrépide et donne une autre lecture qui ne fait toutefois pas totalement oublier l’apport absolument inoubliable de Don Cherry à la bande originale du film.
Après avoir milité lors du festival du Jazz au Cinéma à Paris pour la redécouverte de Krystof Komeda, cette immersion dans ce bouillonnant jazz polonais nous enchante par l'audace de son classicisme.
Et si, finalement, la modernité était dans cette redécouverte ?
Jean-Marc Gelin