1 CD PLUS LOIN
Les Sophie sont souvent « sages » mais dans le cas de Sophie Alour, les choses sont un peu plus compliquées qu’il n’y paraît … A l’écoute de ce disque inspiré, on entendrait plutôt une folie bien maîtrisée que l’on sent monter progressivement. Un dérèglement très contrôlé pour un album de jazz cérébral et percutant : le formidable Karl Jannuska n’est pas étranger à la chose, mais comme il accompagne beaucoup de saxophonistes ces temps derniers…il y a décidément quelque chose de plus ici . « OPUS 3 » est la troisième expérience en leader de la saphoniste avec ce trio à la rythmique efficace et parfaitement accordée ( Karl Jannuska à la batterie et Yoni Zelnik à la contrebasse ) : une interaction réussie entre les musiciens qui se connaissent suffisamment pour tenter l’expérience d’un travail collectif où chacun prend sa place avec aisance et sans virtuosité excessive. Ajoutons que la réalisation est confiée au pianiste Eric Legnini dont on connaît le talent et le sens artistique. Un souffle de « liberté surveillée » traverse cet album où Sophie Alour explore au ténor et au soprano des compositions sinueusement intenses. Ce qui domine en fait, c’est le son de Sophie Alour aux divers saxophones, souple mais avec de la tenue, de l’autorité même, toujours sous tension. On ressent une énergie farouche, et peu à peu on se retrouve hypnotisé, comme pris au piège de certaines spirales voluptueuses « Mystère et boule de gomme » ou cette « Ode à Arthur Craven ». Ce ne sont pas tant les morceaux qui sont réfléchis, posés même, que la voie tracée qui nous conduit sûrement après 11 titres, au final « Petite anatomie du temps qui passe ». Ce climat étrange, étrangement familier même des compositions originales, courtes le plus souvent, et le goût d’ arrangements subtils donnent une cohérence mélancolique à cet OPUS 3. S’il y a une certaine pudeur à entrer dans la confidence, si on pressent que le mystère ne sera pas dévoilé, on ne se sent pas exclu. Au contraire. Le délicatement voilé « En ton absence » sait s’insinuer jusqu’à la blessure. « Haunted» est un autre thème un peu fétiche sur lequel Sophie Alour revient depuis son dernier album au titre déjà révélateur « Uncaged ». De la retenue mais une invincible détermination, ce qui nous évitera les expressions clichés de « jazz féminin », ni même « jazz au féminin ». Mais en ce moment sur la place parisienne , une génération de jeunes saxophonistes femmes et une triade en particulier (Géraldine Laurent, Sophie Alour, Alexandra Grimal) osent, chacune à leur façon, se frayer une voie (étroite) dans un monde musical très masculin. On évitera le piège des comparaisons : voilà des musiciennes qui parviennent à s’imposer par un caractère bien trempé, beaucoup de talent et une musicalité alliée à un réel amour du jazz.
Sophie Chambon