Black and Blue BB777.2
Distribution SOCADISC
Sortie le 28 octobre 2013
Contact : suzanne-george@wanadoo.fr
Email : jean-pierre.tahmazian123@orange.fr
Rebecca Cavanaugh (voix), Claude Carrière (piano), Frédéric Loiseau ( guitare), Marie Christine Dacqui (contrebasse), Bruno Ziarelli (batterie), André Villeger ( saxophone ténor)
Une histoire de rencontres. Autour d’un jazz aimé, classique, éternel, avec des musiciens talentueux qui ne perdent jamais de vue leurs repères, creusent le sillon de la mélodie et forment un écrin de charme à la voix douce et fragile d’une chanteuse dont on ne parle pas assez, ni diva ni entraîneuse de boîte de jazz.
A l’origine, c’est un duo voix-piano auquel se joint un bel « oiseau » à la guitare puis une formidable contrebassiste. Les quatre forment une solide bande qui enregistre Looking Back paru en 2010 sur Black and Blue. Puis, la formation s‘étoffe avec un batteur- percussionniste minimaliste et devient un quintet de jazz de chambre. Et un bonheur n’arrivant jamais seul, ils rencontrent un saxophoniste au talent majuscule, André Villéger. Le résultat donne cet album For all we know qui, « par ces temps d’inventions par trop détonantes, est du jazz de chambre pour s’aimer sans tapage... On devrait pouvoir plaire sans bruit ni fureur. » Il a raison Claude Carrière, car ce disque fait du bien en effet, enregistré dans les conditions du direct et sans aucun montage, au Conservatoire Charles Munch du XIème arrondissement. Il nous réconcilie, si besoin était, avec les grands auteurs du répertoire, George Gershwin (« But not for me »), Leonard Bernstein ( « Some Other Time »), Harold Arlen, Richard Rodgers, Don Redman. On peut d’ailleurs faire confiance à l’expert Claude Carrière qui nous régale avec des compilations classieuses et exhaustives, dans la collection Original Sound de Luxe chez Cristal records, pour aller dénicher perles rares, titres peu connus comme le « Pretty Girl » de Billy Strayhorn, ou rejouer les « tubes » sans les dénaturer.
La voix de la jeune Rebecca Cavanaugh est parfaite, juste sans éclat. Si délicate au départ qu’on tend l’oreille. Comme une ingénuité touchante. Elle sert ces chansons intemporelles qui prennent un élan singulier avec les arrangements élégants, le swing léger de Claude Carrière, le son profond de la basse de M.H Dacqui et la guitare aérienne de Frédéric Loiseau. André Villeger me fait penser parfois à Getz, « s’efforçant de retrouver l’esprit plus encore que la lettre de ce modèle » auquel renvoie le clin d’œil de la pochette, le turquoise d’Ipanema, composition abstraite d’Ana Cecilia Burle Marx.
Tout est sobre mais convaincant dans cette façon de « servir » la mélodie. Et puis le disque décolle avec cet émouvant « Never let me go » dont l’articulation met en valeur la musique des mots. Et le « climax » survient avec la reprise de cette chanson française, lancée par Jean Sablon et Jacqueline François « C’est le printemps », devenu « It might as well be spring » par exemple dans la reprise acidulée de Blossom Dearie. La chanson acquiert ici tout son sens et on comprend T.S Eliot écrivant qu’ « april is the cruellest month ». L’émotion ne nous quittera plus jusqu’au final, périlleux avec l’inoxydable « Over the rainbow », marqué en son temps par la voix ferme, assurément puissante de Judy Garland. Le miracle se produit, on ne cherche plus à comparer, absolument conquis, jusqu’aux dernières notes lancées dans un souffle, sans vibrer. La voix est vraiment le reflet de l’âme. On est totalement saisi par cet album qui ose un chant intime et mélancolique. Sans doute essentiel et universel.
Sophie Chambon