Les DNJ : Tu chantes régulièrement des chansons du répertoire français.
CMLS : En France, pas aux Etats-Unis. Mais on me le reproche souvent dans le public ou alors les programmateurs n’aiment pas trop. Souvent on me dit que la voix est différente, que c’est moins jazzy. C’est sûrement vrai.
Les DNJ : Je me souviens de ton interprétation de Damia à Coutances !
CMLS : Cette chanson s’appelait « Personne ». C’est une chanson magnifique
http://www.youtube.com/watch?v=0KxQHr_Sz50 C’est vrai qu’à chaque fois que je donne une des chansons de ce répertoire français aux musiciens, ils se grattent un peu la tête pour savoir comment la jouer. Mais ils font toujours un super job. Il y a plein de chansons françaises du répertoire des années 20 qui sont superbes et que j’aimerais chanter.
Les DNJ : Et l’Opéra ?
CMLS : Oui bien sûr ! En ce moment on fait un thème tiré de « Candide » de Bernstein, Glitter and be gay. On a changé l’arrangement, mais on a gardé la chanson. C’est plus de l’opérette d’ailleurs que de l’Opéra. Et puis on commence à travailler sur un opéra de Kurt Weil qui s’appelle « Street scene ». Cela reste de l’Opéra américain très influencé par le jazz.
Les DNJ : On parlait de comédie musicale. Si demain on te proposait un rôle…..
CMLS : Je t’arrête tout de suite : je dis OUI immédiatement ! Sans la moindre hésitation. J’en rêve. Franchement on me propose ça, je lâche tout et je fonce.
Les DNJ : Tu sais ce que tu aimerais jouer ?
CMLS : J’adorerais faire « Porgy and Bess » …. Mais il y en a d’autres. Par exemple « The sound of music » ( « La mélodie du bonheur »). J’adore. Mais bon ça ne marche pas trop parce que je suis noire mais on peut rêver, il y a parfois des metteurs en scène un peu audacieux…. Et puis il y a aussi toute l’œuvre de Sondheim.
Les DNJ : Sur l’album, ce sont les mêmes musiciens avec lesquels tu tournes en concert. Comment vous êtes-vous rencontrés avec ton pianiste Aaron Diehl ?
CMLS : Grâce à mon manager. Il m’a fait une liste de pianistes et je les ai tous écoutés. Il y en avait deux ou trois qui étaient très intéressants pour moi. Comme
Jon Batiste qui vient de Louisiane. Et puis j’ai vu une vidéo d’Aaron Diehl en train de jouer du Fats Waller et là j’ai tout de suite dit, c’est lui ! (https://www.youtube.com/watch?v=Kb6oMBor5tk).
Dans le groupe, il y a aussi Paul Sikivie à la contrebasse et Lawrence Leathers à la batterie. Ils ont entre eux une interaction incroyable. C’est important de pouvoir entendre le trio entier comme une vraie entité qui swingue ensemble. Paul et Lawrence quand ils se mettent à jouer ensemble c’est magique. Paul, il chante avec sa contrebasse, il a un super son et des phrases magnifiques. Et Lawrence a des nuances sublimes. Ce sont deux musiciens d’une belle joie. En tout cas, c’est important d’avoir un vrai groupe qui évolue ensemble dans le temps. Je tiens vraiment à préserver cela autant que je le pourrais.
«Aux Etats-Unis, j’aimerais trouver dans le public, quelqu’un qui me ressemble »
Les DNJ : Il paraît que tu tournes un peu avec Wynton Marsalis ?
CMLS : J’ai fait des dates avec eux à Noël. On a un peu tourné ensemble. Une quinzaine de dates où l’on a vécu ensemble, dans le bus, dans les hôtels et tout ça.
Les DNJ : Pas trop stressant de chanter sous le regard de Wynton ?
CMLS : Si. Mais je dois dire qu’il a toujours été hyper encourageant avec moi. Il m’a toujours donné de supers conseils. Des choses à écouter ou à travailler.
Les DNJ : Quel accueil as-tu aux Etats-Unis ?
CMLS : C’est un bel accueil même si cela pourrait être mieux. Non pas qu’il manque de public mais surtout que ce public n’est pas très diversifié. Il faudrait plus de jeunes, plus de noirs. Cela manque un peu. C’est un public de personnes assez bourgeoises et blanches. J’aimerais bien trouver dans le public quelqu’un qui me ressemble.
Les DNJ : Pour l’âge du public n’est-ce pas aussi parce que ton répertoire peut être considéré comme un répertoire classique. Je veux dire classique du jazz.
CMLS : C’est possible. Je ne fais pas de R’n B par exemple ou de soul. Mais je pense que l’on est assez mal diffusé vers un public plus jeune. C’est sûr que si je faisais du hip hop ….
Les DNJ : Tu te verrais chanter du hip hop ?
CMLS : J’adore cette musique. Mais elle ne me correspond juste pas. Peut-être une ou deux chansons mais certainement pas ne chanter que cela.
Les DNJ : Tu ne te vois pas en Kendrick Lamar….
CMLS : J’adore Kendrick Lamar ! Je suis à fond sur Kendrick Lamar. Rien à dire, c’est un génie ! Ses paroles sont incroyables. Quand c’est de qualité comme ça, je dis Oui !
Les DNJ : Je comprends bien le fossé générationnel dont tu parles et qui est un peu lié au répertoire. Par contre je comprends moins le fossé racial ….
CMLS : On dit un peu que les noirs ont rejeté le jazz. Sauf peut être à la Nouvelle-Orléans. Mais c’est tellement particulier là-bas. C’est l’endroit le plus bizarre que j’ai vu. Si tout était comme à la Nouvelle-Orléans, ce serait magnifique. Un accueil hyper chaleureux. Tu vois des gens qui aiment la musique. Il y a de la musique partout. J’ai adoré chanter là-bas.
Les DNJ : Les gens doivent te prendre pour une américaine ?
CMLS : Oui. Mais tu sais, je me sens parfois plus américaine qu’autre chose. Je suis fille d’immigrants. Cela doit venir de ça.
Les DNJ : Pour revenir au disque, on trouve dans ton album une immense liberté que beaucoup de chanteurs ne s’accordent que lorsqu’ils sont sur scène. Comment fait-on pour acquérir cette liberté ?
CMLS : Pour moi c’est en écoutant beaucoup. Et plus j’ai écouté plus je me suis rendu compte des possibilités du jazz. En jazz, on n’est pas obligé d’avoir une belle voix, une voix lisse, ou de chanter d’une certaine manière plutôt que d’une autre.
Les DNJ : Tu chantes sur combien d’octave ?
CMLS : trois je pense. Mais ce n’est pas très important.
Les DNJ : Pourtant quand tu chantes on a bien le sentiment que tu utilises toute ta tessiture pour donner du relief à ton interprétation.
CMLS : Je crois que c’est ma mère qui m’avait dit ça un jour après un concert. Elle me disait « pourquoi tu n’utilises pas toute ta tessiture ? ». Et c’est vrai que je n’avais jamais pensé à cela.
Les DNJ : Tu ressens les émotions passer dans le public quand tu chantes ?
CMLS : Parfois c’est difficile de le ressentir. Parce que je ne vois pas le public. Je ne l’entends qu’applaudir. Parfois le silence est difficile à interpréter. Ce que je préfère c’est quand le public s’exprime. Cela me nourrit.
Les DNJ : Tu as chanté un peu cet été avec Attica Blues (la renaissance du projet d’Archie Shepp) ?
CMLS : Je n’ai pas pu faire toutes les dates, mais j’en fais certaines. C’est super avec Archie. Je l’adore. C’est quelqu’un dans le groupe qui m’avait recommandé à lui. Je ne sais pas qui c’est. Peut-être Raphaël (Imbert). En fait il cherchait quelqu’un qui pourrait chanter le blues. On lui a fait passer une vidéo de moi chantant Bessie Smith et il a aimé.
Les DNJ : D’ailleurs, tu participes à la B.O du biopic sur Bessie Smith qui va bientôt sortir en France.
CMLS : Oui c’est super, mais j’étais très frustrée parce qu’en fait on ne m’a pas demandé de chanter une chanson de Bessie. La scène où il y a ma voix, c’est celle où elle est dans un club de jazz et où elle entend quelqu’un d’autre chanter dans le nouveau style. C’est dans la fin de sa vie au moment où elle se dit qu’elle devrait se remettre en cause. C’est une chanteuse qui me fascine. J’aurais aimé assister à des spectacles de Bessie Smith où il y avait des danseurs. Elle faisait des spectacles dans des tentes, comme sous un chapiteau de cirque.
Les DNJ : Tu chantes encore dans des petites salles
CMLS : En fait non, mais c’est vrai que j’adore l’ambiance des petits clubs. En Norvège et en Suède j’ai fait une quarantaine de petits clubs et j’adore ça.