Deux jours en Arles, bravant les grèves de transports pour le plaisir de visiter encore ce beau festival, et cette belle ville. Le voyageur, en ces temps troublés, choisit d'être en avance pour avoir une petite chance d'arriver à l'heure, ce qui occasionne l'indispensable pause au bar du Train Bleu : le -très bon- café a pris plus de 9% depuis la dernière fois, et il avait déjà ces dernières années fait un bond de 10% : l'évolution du coût de la vie n'est pas la même à tous les comptoirs....).
Quoi qu'il en soit (comme on dit à l'Alcazar de Marseille), belle escapade. Et l'irremplaçable Nathalie Basson est venu me cueillir à la Gare TGV d'Avignon pour m'éviter les incertitudes de la fin de voyage. En Arles donc, comme je m'obstine à le dire, et à l'écrire, pour résister à l'horrible hiatus du 'à A....'.
24 mai, 16h
J'arrive à la Chapelle du Méjan (dont les suites de la Révolution Française avaient fait un entrepôt pour les toisons des moutons de race mérinos....). C'est, dans le giron d'Actes-Sud (qui occupe tout le secteur : librairie, cinéma, bar-restaurant, bureaux....), un beau lieu de concerts, et d'exposition. Dans ce dernier registre, c'est encore pour quelques jours une belle présentation des toiles du peintre coréen Kim Tschang-Yeul. Retrouvailles avec l'Ami Jean-Paul Ricard, l'autre animateur de ce festival. Le trio du guitariste Philippe Mouratoglou s'active pour la balance : Bruno Chevillon est à la contrebasse, et Ramon Lopez à la batterie, agrémentée de tablas (dont il est un fin connaisseur). Le groupe va fêter la sortie du tout récent «Univers-Solitude» (Vision Fugitive / l'autre distribution), et le concert va aussi comporter deux blues du disque «Steady Rollin' Man, Echoes of Robert Johnson» (même label), enregistré en 2012 avec Jean-Marc Foltz et Bruno Chevillon.
24 mai, 20h30
Au concert la musique du trio, déjà très intense dans le CD chroniqué dans ces colonnes (suivre ce lien), va prendre encore de l'épaisseur. Le groupe n'a pas joué depuis l'enregistrement du disque en novembre dernier, et ces retrouvailles sont importantes : les échanges sont vifs, tendus et attentifs, la musique est là. Et cela se confirme avec les blues, en duo avec la basse. Philippe Mouratoglou est aussi un vrai chanteur, habité par son sujet. Quand le trio reprend ses droits, la musique va gagner encore en esprit d'aventure, car cet art-là s'éprend de liberté(s).
Le contrebassiste Luca Bulgarelli
25 mai, 16h
Les transports ferroviaires ont repris leur cours (presque) normal, mais les liaisons aériennes sont perturbées. Enrico Pieranunzi était à pied d'œuvre depuis la veille, André Ceccarelli et le contrebassiste Luca Bulgarelli le rejoignent, et tandis que le trio commence l'indispensable réglage de la sonorisation et des retours, le saxophoniste Seamus Blake (Canadien new-yorkais et désormais parisien) les rejoint : le quartette est au complet. Le saxophoniste a joué avec le pianiste à New-York (il y aurait même un inédit, en quintette, au Village Vanguard), le batteur est un habitué des trios du Maestro, et le bassiste a partagé avec Enrico quelques aventures transalpines. C'est la première étape d'une tournée européenne qui verra, ici ou là, des changements de batteur ou de bassiste.
25 mai, 18h30
Tandis que ses parents, la bassoniste Sophie Bernado et le saxophoniste-clarinettiste Hugues Mayot, procèdent à la répétition-balance du trio 'Ikui Doki' avec la harpiste Rafaëlle Rinaudo, la petite Alma (six mois) dort du sommeil du juste, avec sur les oreilles un casque anti-bruit qui veille jalousement sur sa quiétude.
25 mai, 20h30
L'heure du concert est venue pour 'Ikui Doki', l'un des groupes qui cette année ont reçu le label Jazz Migration, et parcourent à ce titre festivals, clubs et lieux de concerts. La musique est un subtil mélange de relectures, très très libres, de la musique française du début du vingtième siècle (Debussy....), et de compositions originales qui exploitent le potentiel de cette nomenclature instrumentale inédite. La harpe, électro-acoustique, dérive de la version celtique. On oscille en permanence entre un esprit chambriste et des foucades contemporaines et acérées, avec d'indiscutables références au jazz, mais aussi à Philip Glass, au rock, au free jazz, et à toutes les musiques du monde. La harpe s'aventure même parfois du côté de Jimi Hendrix ! Et cette première partie de soirée se conclut par un écho des rythmes de l'Afrique de l'Ouest, comme le jazz le fit si souvent depuis les années 60 (et même avant).
25 mai, 22h
Le quartette d'Enrico Pieranunzi va conclure la soirée. Le répertoire est largement emprunté aux disques publiés avec Donny McCaslin au sax. On entendra aussi des thèmes plus anciens, comme le blues Entropy, gravé en quartette et en 1980. L'émulation est forte : le pianiste mène la danse, mais il laisse beaucoup d'espaces d'expression à ses partenaires, tout en jouant avec le tempo et le rythme. Seamus Blake, au ténor tout au long du concert, fait merveille. Les échanges sont vifs et féconds, que ce soit avec la basse de Luca Bulgarelli ou la batterie d'André Ceccarelli. Sur un thème plus lent, et mélancolique, Flowering Stones (du disque «Stories», enregistré en 2011 avec Scott Colley et Antonio Sanchez), la tension va monter progressivement, et après un beau chorus de sax le solo d'Enrico Pieranunzi va parcourir toutes les facettes du piano dans le jazz moderne, le tout épicé de furia transalpine. Et jusqu'à la fin du concert la musique va s'offrir les libertés qu'autorise la passion, et qui va enflammer jusqu'à la ballade offerte en rappel : belle soirée décidément. Merci 'Jazz in Arles'.
Xavier Prévost