Il est peut être l'un des contrebassistes actifs et remarqués de la scène jazz New Yorkaise, il n'en reste pas moins que Mark Wade demeurait jusqu'à ce second album Moving Day quasi inconnu chez nous. Et pourtant il a commencé il y a près de vingt ans. Il n'est devenu leader cependant qu'en 2015 avec Event Horizon. Voilà une musique délicate qui pourrait passer pour fade si on ne se pose pas pour l'écouter: aucune aspérité apparente, aucune violence rentrée ou explosive, une façon de rendre des sensations, voire des émois perceptibles, par un jeu de couleurs et d'atmosphères bien dessinées, de se laisser aller à une rêverie qui remonte le temps comme dans ce "Midnight in the Cathedral". Un trio équilibré où chacun joue sa partie, sans prédominance aucune, même si le fait que Mark Wade soit contrebassiste nous permette de l'entendre, un son clair et léger, une façon de faire chanter son instrument. Le piano est cristallin sans excès et impressionniste : une citation de Debussy dans "La Mer" confirme cette idée dans "The Bells"; quant au drive du batteur, constant et énergique, il restitue l'atmosphère des "marching bands" de la Nouvelle Orleans dans "The Quarter".
Les compositions sont de Mark Wade à l'exception de deux reprises bien connues, "A night in Tunisia" agréablement chahuté et surtout une revisitation de ce qu'il faut bien nommer une "scie", "Autumn Leaves" de notre cher Kosma. Le contrebassiste en fait quelque chose d'assez original, en laissant libre cours à son inspiration et à des références qu'il tisse, revivifiant le standard par des emprunts identifiables au bridge de "Maiden Voyage" de Herbie Hancock. Du jazz "mainstream" qui ne manque pas de goût, dans une volonté affirmée d'illustrer, dans de belles correspondances, sons et couleurs, textures et images. Ce qui s'opposerait presqu'au graphisme de la pochette, très "op art", signant la géométrie verticale de la "Grosse Pomme".
JAMIE SAFT RareNoise Records Piano Solo a Genova Sortie le 2 Février
On connaît l'extraordinaire versatilité (au sens anglosaxon) de ce multi instrumentiste, ingénieur du son, compositeur, accompagnateur de Bobby Previte, Steve Swallow, encore récemment de Roswell Rudd, membre important de la RJC (Radical Jewish Culture) et de l'écurie John Zorn (Masada) sans oublier d'être leader. L'origine de ce projet n'est pas sans lien avec cette présentation sommaire. Il sort son premier album solo après 25 ans et il a choisi un angle particulier, celui de rendre hommage à la musique américaine "comme un exemple d'art positif et avant gardiste qui a fait la différence dans le monde".... On entendra ainsi ses versions de chansons de musiciens qui lui sont chers : Bob Dylan qui occupe une place des plus importantes dans son panthéon, Joni Mitchell, Stevie Wonder, des jazz men comme Coltrane et Miles, mais aussi Charles Ives, l'un des grands compositeurs américains de musique du début du XXème. Une "Americana" différente mais aussi intense que celle d'un autre pianiste, Bill Carrothers qui a aussi creusé ce sillon, influencé par le patrimoine historique musical nord-américain. Jamie Saft a conçu cet enregistrement comme un récital dans le magnifique teatro Carlo Felice à Gênes, sur un Steinway modèle D. Et il est juste de dire que cela ressemble à un formidable exercice de style, assez classique : dans ce contexte, ses modèles sont clairement des maîtres de l'instrument Bill Evans, T.S Monk et pour le versant pop/rock Garth Hudson de The Band, profondément américains. Leur musique constitue en effet la musique classique américaine. Il arrive à trouver une certaine liberté dans les nuances, avec une recherche sonore dans la progression dynamique. Parfois, il fait un peu trop éclater le piano, par une énergie passionnée, des changements de tempi soudains, clarté et bouillonnement intriqués. Beaucoup de lyrisme, d'expressivité et d'émotion et aussi sur certains titres le retour au stride comme dans le génial "Po' Boy" de Dylan. "Blue Motel Room", également en do majeur, de la grande Joni Mitchell est repris avec intensité. Une seule de ses propres compositions s'insère habilement "The New Standard /Pinkus" mais l'album s'achève avec une autre composition de Dylan qu'il sert admirablement "Restless Farewell". Un musicien à suivre absolument.
Jean-Marie Machado (piano, piano préparé, tom basse, voix, composition), Keyvan Chemirani (zarb, udu, set de percussions, voix), Christian Hamouy (vibraphone, glockenspiel, tom contrebasse, cymbales, temple blocks, tam-tam, binsasara, voix), Marion Frétigny (marimba, bols japonais, tom basse, woodblocks, tam, cymbales, voix), Gisèle David (xylophone, chimes, grosse caisse, tom basse, tam, cymbales, glockenspiel, voix)
disponible également en téléchargement sur les plateformes : Quobuz, Amazon, Deezer, Spotify
Encore une proposition hors normes du pianiste compositeur Jean-Marie Machado, avec ce quintette pour piano et quatre percussionnistes, projet inspiré par la mémoire du regretté Nana Vasconcelos, avec lequel Jean-Marie a collaboré à plusieurs reprises. Autour de lui, qui est un musicien inclassable connu dans le jazz, et bien ailleurs, des percussionnistes tout aussi férus d'ailleurs, venus des musique traditionnelle, contemporaine ou symphonique. Et cet esprit d'ouverture va prévaloir dans cet ensemble de pièces créées en 2015 au Centre des Bords de Marne du Perreux, où le pianiste-compositeur est en résidence de compositeur associé, et conseiller à la programmation pour le jazz. Chaque pièce est porteuse d'un univers, et s'y mêlent les souvenirs des audaces rythmiques du début du vingtième siècle (Stravinski, Bartók, mais peut-être aussi le compositeur américain George Antheil, et son Ballet mécanique créé en 1926 au Théâtre des Champs-Élysées), les rebonds rythmiques des musiques vocales de l'Inde, le dépaysement sonore des percussions telles que la musique occidentale du vingtième siècle les a fantasmées, et surtout le goût des timbres, tel que l'instrumentarium choisi le laisse s'épanouir.
Il n'est que de se laisser porter, de plage en plage, par cette exploration musicale et sonore. Parfois le piano est absent. Et une autre plage est purement vocale, et un solo de piano conclut le CD. Les titres sont là comme des pistes, restituant peut-être la source d'inspiration, avec parfois ce sentiment que l'on nous égare, délibérément et avec un humour taquin, sur une fausse piste.... La prise de son est exemplaire, réalisée par l'équipe du studio de La Buissonne, justement renommé. Un disque à découvrir, puis à savourer dans le détail de ses multiples détours : Jean-Marie Machado n'a pas fini de nous surprendre.
Xavier Prévost
Le groupe sera en concert le 30 janvier à Paris au studio de l'Ermitage.
Un avant-ouïr sur YouTube et sur le site de l'artiste
PIERRE DE BETHMANN: « Essais - Vol.2 » Aléa 2018 Pierre de Bethmann (p), Sylvain Romano (cb), Tony Rabeson (dms)
Pour son volume 2, Pierre de Bethmann nous revient avec un petit bijou ! Un de ces monument dans l’exercice du trio jazz qui fera date sinon dans les belle pages de cette histoire, du moins dans la carrière du pianiste. Il y a tout dans cet album ! Alors par quoi commencer ? Faut il parler de l’évidence qui semble couler sous les doigts du pianiste, qui s’exprime toujours dans la mesure et dans l’élégance ? Faut il parler de ce sens inoui de l’improvisation ? Sur des thèmes parfois connus, Pierre de Bethmann est ainsi capable de nous emmener sur des terres ignorées. Ainsi sur Je bois, de Boris Vian où le pianiste va loin, très loin sans jamais nous perdre un instant. Et que dire de cette façon de transcender l’anodin. De transfigurer de jolies mélodies ( Belle île en mer) qu’il amène au jazz avec brio. On avait déjà entendu un belle version jazz du Chant des Partisans dont Giovani Mirabassi en avait fait une belle oeuvre ( « Avanti !). Pierre de Bethmann l’amène encore ailleurs. Et il ne s’interdit rien, Pierre de Bethmann, Jusqu’à faire de Lascia La Spina ( de Haendel tiré de l’opéra Almira) une sorte de standard. Il y a chez Pierre de Bethmann une forme d’explorateur des thèmes qu’il va fouiller dans les moindres recoins harmoniques pour se les approprier complètement. Toujours ancré dans les racines du jazz, qu’il joue en trio ou en solo, Pierre de Bethmann exprime ici un sens de l’improvisation intelligent et heureux à la fois. En l’entendant je pense à des illustres aînés comme Sony Clark, Red Garland ou comme Phinéas Newborn. Et parfois, osons-le du Bd Powell comme sur cette version de Miss Ann ( de Dolphy). C’est peu dire ! Et puisque l’on parle du trio, il faut souligner aussi le rôle incroyable de Tony Rabeson qui ose et prend des risques, qui bouscule aussi. Depuis combien de temps n’avait t-on pas entendu un batteur qui affirme autant sa présence sans dénaturer le trio, osant un jeu de cymbales comme un Jack de Johnette flamboyant ? On vous le dit, il y a tout dans cet album. Il fera date. Jean-Marc Gelin
Inouïe Distribution 2018 Olivier Hutman (p), Yoni Zelnik (cb), Tony Rabeson (dms)
Il n'y a pas si longtemps Yael Angel avait un rêve S'attaquer à un répertoire bop réputé difficile. C’est son amour pour cette musique qui l’a amené sur les traces de Trane, de Monk, de Shorter, Miles Davis et de tout ceux qui ont su faire du jazz, une musique aux harmonies complexes portée par le swing. Et Yael n’a pas froid aux yeux et même une sacrée dose de culot pour s’attaquer à ces monstres sacrés et à ces thème souvent réputés inchantables au point de vouloir se les approprier et de mettre ses propres paroles sur des thèmes souvent complexes. So what revisité, Round midnight fascinant ou encore Ophélia qui revit.
Dans son graal figure d’ailleurs le regretté Jon Hendricks qui reste en la matière une sorte de monstre sacré ( avec ses compères Lambert & Ross ou encore des Double Six). Mais pour parvenir à ce beau travail le courage ne suffit pas. Il lui fallait aussi de grands talents d’arrangeuse et de direction pour mener à bien ce projet. Mais cela ne suffisait pas non plus. Car pour faire chanter le jazz, encore faut il être ….une vraie chanteuse. Une chanteuse libre, capable de toutes les prises de risque. Une chanteuse prête à assumer son propos jusqu’au bout. Un interprète décomplexée. Une chanteuse libre. Et c’est bien de cela dont il s’agit dans ce premier disque de Yael Angel où la chanteuse se permet à peu près tout. Interprète de ses propres paroles ( essentiellement en anglais), elle monte des les aigus avec un brin de folie, descend dans des graves à la sensualité envoûtante, scatte mais pas trop, emballe son monde et se met au service des merveilleux musiciens qui l’accompagne. Comme souvent pour un premier disque, il y a la tentation de trop en faire. Mais comment aller au bout d’un projet un peu dingue sans risque ? Sans provoquer les émotions ? On aimera ou pas mais au bout du compte le pari est réussi. Celui d’un album qui surprend, qui interpelle et fait parler de lui. Yael Angel ne va pas révolutionner le bop avec cet album. En revanche elle redonne au bop chanté des lettres de noblesse. Celle du chant osé. Chapeau ! Jean-Marc Gelin
Académie du Jazz : les chanteuses et Monk trustent le palmarès
Académie du Jazz : les chanteuses et Monk trustent le palmarès Signe des temps, les chanteuses ont trusté les prix au palmarès 2017 de l’Académie du Jazz dévoilé le 21 janvier : la récompense la plus prisée, le prix Django Reinhardt (avec le soutien de la Fondation BNP Paribas) est allé à Cécile McLorin Salvant déjà lauréate du Prix du jazz vocal en 2015. La vocaliste franco-américaine devient ainsi la première chanteuse à inscrire son nom au palmarès du Prix du musicien français de l’année depuis sa création en 1954. En tournée actuellement en France pour présenter son dernier album « Dreams and Daggers » (Mack Avenue), Cécile McLorin Salvant s’est produite à guichets fermés à la Seine Musicale le 15 janvier dernier. En attribuant le prix du jazz vocal à Karin Krog, l’Académie du Jazz, présidée par François Lacharme, salue une carrière exemplaire qui est résumée dans un coffret de six albums (The Many Faces of Karin Krog. Recordings 1967-2017. Odin) sorti à l’occasion des 80 printemps de la chanteuse norvégienne. Le vieux continent est aussi récompensé par la voie d’une voix particulière, celle de Susanne Abbuehl, qui obtient le Prix du Musicien européen, au terme d’une compétition qui l’a vue devancer deux autres artistes suisses, Samuel Blaser et Andreas Schaerer. Une des voix du label ECM, Susanne Abbuehl a participé en 2017 à un album Princess (du label français Vision Fugitive) avec le pianiste Stephan Oliva et le batteur Oyvind Hegg-Lunde. Le tableau vocal féminin du palmarès est complété par « la reine du blues de Detroit », Thornetta Davis, récompensée par le prix du Blues. En activité depuis trois décennies, ayant assuré les premières parties notamment de Ray Charles, Thornetta Davis vient de sortir Honest Woman. (Sweet Mama Music). L’autre fait marquant de ce palmarès de l’Académie du Jazz, c’est l’hommage à Thelonious Monk, dont on célébrait l’an passé le centième anniversaire de la naissance. Le pianiste Laurent de Wilde, auteur d’une biographie de référence de Monk (Folio), a décroché le prix du disque français avec New Monk Trio (Gazebo) tandis que l’inédite bande-son du film Les Liaisons Dangereuses 1960, publiée par Sam Records et Saga, enregistrée par TM à New-York (avec entre autres musiciens Barney Wilen) obtenait le prix de la Meilleure Réédition ou Inédit (récompense partagée avec un album de Lucky Thompson. Complete Parisian Small Group Session. 1956-59. Fresh Sound). L’Académie a joué également la carte de la nostalgie en attribuant, à l’unanimité des membres de la commission spécialisée, le prix du Livre à André Hodeir, le jazz et son double, biographie exhaustive (740 pages) de Pierre Fargeton (éditions Symétrie). Premier président de l’Académie du Jazz, André Hodeir (1921-2011), rédacteur en chef de Jazz Hot (1947-51), restera comme un compositeur hors du commun (Essais. Swing. 1955 avec le Jazz Groupe de Paris). Jean-Louis Lemarchand
Le Palmarès
Prix Django Reinhardt (musicien français de l’année) : CÉCILE McLORIN SALVANT Finalistes : Vincent Bourgeyx, Théo Ceccaldi
Grand Prix de l’Académie du Jazz (meilleur disque de l’année) : CHRISTIAN McBRIDE BIG BAND « Bringin’It » (Mack Avenue / Pias) Finalistes : Martial Solal & Dave Liebman « Masters in Bordeaux » (Sunnyside / Socadisc), Vijay Iyer Sextet « Far From Over » (ECM / Universal)
Prix du Disque Français (meilleur disque enregistré par un musicien français) : LAURENT DE WILDE « New Monk Trio » (Gazebo / L’Autre Distribution) Finalistes : André Villéger / Philippe Milanta / Thomas Bramerie « Strictly Strayhorn » (Camille Productions / Socadisc), Hervé Sellin Quartet « Always Too Soon » (Cristal / Sony Music)
Prix du Musicien Européen (récompensé pour son œuvre ou son actualité récente) : SUSANNE ABBUEHL Finalistes : Samuel Blaser, Andreas Schaerer
Prix de la Meilleure Réédition ou du Meilleur Inédit : THELONIOUS MONK : « Les liaisons dangereuses 1960 » (Sam Records - Saga / Pias) & LUCKY THOMPSON « Complete Parisian Small Group Sessions 1956-1959 » (Fresh Sound / Socadisc) Finaliste : Woody Shaw & Louis Hayes « The Tour Volume Two » (HighNote)
Prix du Jazz Classique : MICHEL PASTRE 5tet Featuring DANY DORIZ & KEN PEPLOWSKI « Tribute to Lionel Hampton » (Autoproduction) Finalistes : Pierre Christophe 4tet « Tribute to Erroll Garner » (Camille Productions / Socadisc), Bill Charlap Trio « Uptown, Downtown » (Impulse ! / Universal)
Prix du Jazz Vocal : KARIN KROG « The Many Faces of Karin Krog, Recordings 1967-2017 » (Odin / Outhere) Finalistes : Mélanie De Biasio « Lilies » (Le Label / Pias), Lizz Wright « Grace » (Concord / Universal)
Prix Soul : THE COMO MAMAS « Move Upstairs » (Daptone / Differ-Ant) Finalistes : Don Bryant « Don’t Give Up On Love » (Fat Possum / Differ-Ant), Daniel Caesar « Freudian » (Golden Child)
Prix Blues : THORNETTA DAVIS « Honest Woman » (Sweet Mama Music) Finalistes : John Blues Boyd « The Real Deal » (Little Village Foundation), Monster Mike Welch & Mike Ledbetter « Right Place, Right Time » (Delta Groove)
Prix du Livre de Jazz : PIERRE FARGETON « André Hodeir, le jazz et son double » (Éditions Symétrie) Finalistes : Ray Celestin « Mascarade » (Le Cherche Midi), Jacques Ponzio « Abécédaire Thelonious Monk / ABC-Book » (Lenka Lente)
Jean Michel Bernard plays Lalo Schiffrin Cristal Records / Sony Records Entertainment
sortie 19 janvier 2018
www.cristalrecords.com
Cristal records réunit deux passions, le jazz et le cinéma via la musique de films. Le nom de Stéphane Lerouge, l'auteur de notes de pochette très substantielles, comme on les aime, n'est pas inconnu de ceux qui s'intéressent aux bandes originales et aux compositeurs au cinéma. Il faudrait aussi rendre hommage à l'infatigable Thierry Jousse qui ne perd jamais une occasion de parler de cinéma à la radio, sur France Musiques, dans Ciné tempo actuellement, le samedi à 13h. C'est dans une autre émission disparue aujourd'hui, sur cette même chaîne, Cinéma Song que j'ai entendu la musique de Jean Michel Bernard pour la première fois. Ce talentueux pianiste/compositeur/orchestrateur est reconnu par ses pairs, de Ray Charles avec lequel il a tourné en quintet de 2000 à 2003 et évidemment de Lalo Schifrin qui le considère comme un "soul brother", ce qui n'est pas rien. En France, c'est avec les films de Michel Gondry qu'il a commencé à se faire entendre ( La Science des Rêves et le formidable Soyez sympas, rembobinez, dont le générique trotte encore dans ma tête). Vous saurez tout en allant sur le site de ce musicien pour musiciens, quasiment inconnu du grand public.
Pour l'heure, ce CD porte essentiellement sur un projet visant à reprendre en les réinterprétant les thèmes fameux de Lalo Schifrin, son idole et modèle. Il arrange les orchestrations des musiques de film composées par le pianiste argentin, l'un des plus importants compositeurs d'Hollywood, élève de Messiaen. On entend donc les thèmes de Bullitt, L'inspecteur Harry, Luke la Main froide, les Félins, Le Kid de Cincinnati, car Schifrin a entretenu des liens étroits avec Don Siegel, Clint Eastwood, John Boorman, Norman Jewison, Sam Peckinpah... Puisque les séries tendent à supplanter les films dans le coeur du public, rappelons-nous des génériques de séries-culte des années soixante et soixante dix : le survitaminé Mannix avec son roulement de tambours et timbales dès l'ouverture sur split screen.http://www.bing.com/videos/search?q=jean+michel+bernard+youtube+mannix&view=detail&mid=2F6B23DEEA2013517B072F6B23DEEA2013517B07&FORM=VIRE JM BERNARD reprendra en clôture ce thème si énergique, au piano seul, dans une relecture intimiste, ballade à quatre temps. Mission Impossible est incontournable. Avec Mannix, voilà bien "deux Everest d'efficacité et de sophistication mêlées". Egalement musicien de jazz, Lalo Schifrin a été l'un des accompagnateurs privilégiés du grand Dizzy Gillespie pour lequel il a composé la suite "Gillespiana" en 1961. On retrouvera avec plaisir les thèmes "Manteca" et "Chano" en hommage au percussionniste cubain des années quarante, à l'énergie atomique, Chano Pozo, pour veiller au respect de la note afro-cubaine. Quand Schifrin parle de JM Bernard comme de son "double", c'est que, chez ses musiciens, n'existe aucune ségrégation entre les styles de musiques mais un éclectisme savant, une interpénétration ludique et jouissive. Des surprises aussi comme cette version vocale de The Fox, "the Night", chantée par l'épouse de JM Bernard, Kimiko. Pour réaliser ce CD, Jean Michel Bernard a fait appel à une belle et fine équipe, des musiciens classiques, d'orchestre (dont un corniste), des jazzmen formant "un combo abrasif" avec Pierre Boussaguet et François Laizeau en section rythmique. De nombreux invités dont Lalo Schiffrin lui même sur 3 titres, Kyle Eastwood sur "The Dirty Harry Suite" évidemment, le violoniste Laurent Korcia sur un tango épicé... la crème de la crème... Point besoin de faire de longs discours, mettez ce disque dans votre lecteur et vous embarquez pour une heure de musiques et d'images qui ont bercé notre imaginaire. Une musique lumineuse ancrée dans l'harmonie jazz et dans les rythmes latins, ainsi que la tradition classique. Une vision de la musique joyeuse et réfléchie. Tout ce qu'on aime...
Si la France occupe une place particulière dans l'histoire du jazz, un jour ou l'autre le cas Panassié devait être abordé. Laurent Cugny était tout indiqué pour traiter de ce sujet passionnant : musicien, pianiste, arrangeur, chef d'orchestre, musicologue, il s'est attelé à l'écriture d'une histoire générale du jazz en France dont le premier tome est paru en 2014.http://lesdnj.over-blog.com/laurent-cugny-une-histoire-du-jazz-en-france-du-milieu-du-xixe-siecle-a-1929
La personnalité de Panassié, l'impact de son discours jusqu'à aujourdhui, exigeait une exploration plus approfondie et il fut donc décidé de lui consacrer un volume séparé. L'objectif de cette publication sérieuse et quasi-définitive aux éditions Outre mesure de Claude Fabre, est de revenir d'une façon scientifique, sur les textes fondateurs de sa doctrine, de les analyser et de comprendre la réception d'une oeuvre écrite immense. Hugues Panassié (1912-1974), le pape de Montauban, est reconnu comme le premier critique de jazz dans notre pays, le gardien farouche et intégriste d'un jazz "authentique", organisateur de concerts et producteur de disques, souvent condamné pour ses positions idéologiques, au-delà même de la musique pendant la deuxième guerre mondiale. Ce personnage hors norme, sans conteste réactionnaire, antipathique, a entretenu lui même le conflit avec Charles Delaunay, avec lequel il créa pourtant JAZZ HOT en 1935. On connaît le schisme, la guerre des Anciens contre les Modernes, "entre raisins verts et figues moisies". En 2018, on peut se demander, avec l'auteur lui même, si travailler sur un tel personnage est encore utile: ses jugements outrés et définitifs, son idéologie douteuse n'ont-ils pas contribué à régler son cas ? Or existe tout de même la passion absolue, dévorante pour une musique qu'il allait contribuer à faire connaître. On connaît au fond peu de choses sur Panassié et le mérite de cet ouvrage est de raviver certaines couleurs, de donner à voir et donc comprendre que le contexte historique, ses affiliations politiques, son attitude pendant l'Occupation n'expliquent pas tout. D'autres facteurs plus personnels, psychologiques éclairent une personnalité des plus singulières.
Panassié commence à publier sur le jazz en 1930 et devient vite la référence française en ce domaine. Laurent Cugny travaille sur l'analyse de trois textes fondateurs: l'article "Le jazz hot" de 1930, le livre Le jazz Hot paru en 1934, et La véritable musique de jazz, paru en 1942 aux Etats Unis et en France en 1946 et 1952. Dès son premier texte, "Le Jazz Hot" en 1930, il raconte, explique volontiers avec une réelle pédagogie mais expose aussi en moraliste des idées qu'il déclinera tout au long de sa vie. Il s'acharnera à vouloir convaincre le monde qu'un goût particulier, le sien, ne peut être qu'universel! Et évidemment suivre tous ceux qui peuvent justifier les fondements de sa "doctrine". Laurent Cugny essaie de rétablir certaines "vérités" qui permettent de mieux comprendre, et peut être de ne pas condamner sans appel celui qui fut le défenseur de vrais talents blancs ou noirs, sans aucun racisme, Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Earl Hines, Bix Beiderbecke, Jack Teagarden, Peewee Russell, Bud Freeman, les frères Dorsey...
Panassié établit des listes de musiciens qui swinguent ( critère absolu pour lui), qui savent interpréter plus qu'exécuter...."dépouillement, sincérité, émotion", telles sont les valeurs fortes de son credo, qui qualifie le "hot". Ceux qui aiment le jazz, tel qu'il s'est joué avant 1930 et jusqu'en 1944, rien de condamnable évidemment, accèdent selon lui à la vérité du "vrai jazz"! Si on pouvait s'arrêter là, il serait alors considéré comme un "bon" historien du jazz, car sa vision du jazz de cette période est juste .
Ce travail soigné de musicologue, certes, mais aussi d'historien, se lit avec intérêt comme une enquête, et permet grâce aux nombreuses citations de (re)découvrir un pan de l'histoire du jazz tout à fait passionnant. Ajoutons à cela un livre parfait dans sa mise en page, avec des annexes soignées et précises et une bibliographie, la plus exhaustive possible. Une des qualités spécifiques de cette formidable maison d'édition.
Vous saurez tout sur ce personnage devenu mythique dans l'histoire du jazz après avoir lu ce livre.
Disparition de l’auteur Richard Havers (Sinatra, Verve, Blue Note...)
Spécialiste de la musique Pop et du Jazz, Richard Havers est décédé le 4 janvier. Le britannique avait retracé l’histoire de deux labels prestigieux, Blue Note “Uncompromising Expression » (Thames & Hudson 2014, publié la même année en France (1)sous le titre Blue Note, le meilleur du jazz depuis 1939” Textuel. Traduction de Christian Gauffre ) et Verve “The sound of America (Thames & Hudson). Il laisse également une biographie de Frank Sinatra (DK.2007) et plusieurs ouvrages consacrés aux Rolling Stones (Rolling with the Stones, Bill Wyman’ Blues Odyssey et en 2017 Rolling Stones on Air with the Sixties). Consultant auprès d’Universal et rédacteur en chef du site www.udiscoveredmusic.com, on doit également à Richard Havers des sélections discographiques de Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Nat King Cole. Jean-Louis Lemarchand Rendant compte de la sortie de cette « brique » (416 pages, 450 photos et fac-similés, 59 euros), les DNJ écrivaient : « Voilà un livre qui vaut son pesant de savoirs et d’émotions et justifie amplement de casser sa tirelire. C’est un pavé et pas seulement de bonnes intentions. »
Enrico Pieranunzi (piano), Mads Vinding (contrebasse), Alex Riel (batterie)
Copenhague, Jazzhouse, 11 novembre 1997
Stunt STUCD 17072 / Una Volta Music
Sous titré «Mads Vinding Trio Live in Copenhagen 1997», c'est un enregistrement de concert contemporain du disque publié par le même label sous le nom de Mads Vinding et intitulé «The Kingdom (Where Nobody Dies)», disque qui avait connu une belle reconnaissance. Ce trio est en effet exceptionnel, qui associe le pianiste italien à deux figures danoises de la scène européenne : Mads Vinding, l'un des contrebassistes favoris de Martial Solal, et de bien d'autres ; et Alex Riel, qui a joué avec plusieurs générations de jazzmen américains, de Don Byas et Ben Webster à John Scofield en passant par Bill Evans, Kenny Drew, Dexter Gordon, Jackie McLean, Wayne Shorter.... C'est dire que l'on est en présence de Maîtres de l'idiome, qui pourtant ne se contentent pas de rejouer l'histoire dans sa version formolisée. C'est très vivant, dès les premières secondes, avec une version de Yesterdays qu'inaugure une introduction mystère et qui prouve, une fois de plus, que l'on peut jouer les standards sans redonder. C'est un enregistrement sur le vif, avec la liberté que procure ce type de circonstance, et les trois partenaires ne se privent pas de l'espace offert par ce contexte. Standards, oui, mais au sens large, avec ce standard du jazz créé par son compositeur, Gary Peacock, dans l'un de ses premiers disques en leader («Tales of Another», 1977) dont le pianiste était.... Keith Jarrett : il s'agit de Vignette, dans une vision renouvelée qui n'a rien à envier à la version princeps. Après une relecture incroyablement inventive de Jitterburg Waltz, le trio s'offre un détour par une très belle composition de Pieranunzi, avant de replonger dans les classiques : My Funny Valentine (version revisitée, et avec de beaux contrepoints) , My Foolish Heart (métamorphosé aussi), et de conclure sur une chanson assez peu jouée par les jazzmen (parmi lesquels Coltrane, Tal Farlow, Laurent Coq.... et Pieranunzi déjà en 1984), If There Is Something Lovelier Than You, de Howard Dietz et Arthur Schwartz (et non de Howard Schwartz comme l'indique le verso du CD....). Tout cela respire l'invention, avec de beaux solos de basse, des improvisations inspirées du pianiste, et une pertinence du jeu de batterie qui fait regretter que, parfois, l'enregistrement ne lui donne pas davantage de présence. Beau trio, et un enregistrement qu'il aurait été vraiment dommage de condamner aux outrages de l'oubli.
Xavier Prévost
Enrico Pieranunzi sera présent à Paris, avec un autre trio (Diego Imbert & André Ceccarelli) le samedi 13 janvier 2018 à Radio France (20h, au studio 104) pour un concert 'Jazz sur le Vif' ; en première partie du concert le duo Claudia Solal-Benjamin Moussay