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13 juin 2015 6 13 /06 /juin /2015 15:01
LONGNON, ça fait pas pleurer !

Jean-Loup Longnon : « Just in time »

www.longnon.com

Jean-Loup Longnon (tp), Pacal Gaubert (ts), Ludovic Allainmat (p), Fabien Marcoz (cb), Frederic Delestré (dms) + invités

C'est le moins que l'on puisse dire à l'écoute de ce nouvel album du trompettiste qui nous arrive ici dans une forme olympique et d'une sacrée belle humeur. Accompagné d'une formation de talent, Jean-Loup Longnon reste sur le terrain qu'il affectionne, celui des standards de l'ère bop ( Benny Golson, Monk Gillespie), auxquels il ajoute quelques compositions de son cru, très hard bopiennes à l'image de ce Istanbounce particulièrement bien ficelé.

Ca swingue grave et ça groove cool chez Longnon. Les arrangements s’inscrivent dans cette tradition du jazz qu'il aime a perpétuer : un peu entre Kenny Dorham et peut être un peu avec un poil de Thad Jones.

Mais ce qui importe avant tout c'est Longnon lui même, super star tout à l’honneur de cet album.

Et de fait autant derrière ça donne parfois le sentiment de ronronner gentiment, autant dès que le trompettiste prend la parole il se passe toujours quelque chose qui vient tout illuminer avec une pêche d'enfer comme dans cette intervention flamboyante sur Bo-Bun's groove où il étincelle littéralement. Il faut écouter son phrasé sur High Fly pour se rendre compte qu’avec Longnon, c’est du sérieux ! A l'inverse ce Our love is here to stay semble, en contraste bien sage, charmant et gentiment arrangé mais ou l'absence de Longnon se fait cruellement sentir.

Le neveu de Guy Longnon, trompettiste qui jadis brillait avec Fofo ( Forencbach) ou Bechet, a été à la bonne écoute du bop. Et ses classiques, il les maîtrise du bout du bout de ses doigts de trompettiste.

Du bop ? Oui « encore du Bop » comme il le disait en 2008. Car avec Longnon c’est toujours un vrai plaisir. C'est comme boire un bon vieux malt avec un cigare bien installé dans son fauteuil en écoutant quelques trucs un peu oldies mais dont on ne se lasse jamais. Ça fait juste du bien par où ça passe.

Jean-Marc Gelin

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11 juin 2015 4 11 /06 /juin /2015 21:45
Ornette Coleman ou la quête du son

« Je ne dis jamais que je suis un artiste. Tout ce que je peux dire c’est que j’aime la musique et que je joue du saxophone ». C’était en août 2006 et Ornette Coleman, disparu le 11 juin d’une crise cardiaque à New York à 85 ans (il était né le 9 mars 1930 à Fort Worth, Texas) se confiait à la veille d’un concert à La Villette. Il portait cette veste multicolore brillante qu’il aimait arborer en scène et dégustait une bouteille de Chablis. L’interview se passait dans sa suite d’un hôtel parisien proche du Parc Monceau et le pape du free avait longuement évoqué le concept de l’harmolodie avant de répondre sobrement et avec gentillesse à quelques questions d’un chroniqueur dans ses petits souliers face à l’auteur de « Lonely Woman ». Extraits. (1)

-Après cinq décennies sur scène et 80 disques, quel est votre moteur ?

-Je vais répondre rapidement. Je suis à la recherche d'un son que je n'ai encore jamais entendu. Je veux trouver une qualité que je n'ai pas encore obtenue. Qu'est-ce que le son? (s’adressant à l’interviewer) Vous savez, vous?

- Aujourd'hui, vous êtes toujours en train de vous battre pour vos idées?

- Vous connaissez quelqu'un qui ne doive pas continuer à se battre. Je sais que j'ai des limites, mais je veux tout simplement faire de la meilleure musique.

Jean-Louis Lemarchand

  1. L’interview intégral est publié dans « Paroles de Jazz » publié par les Editions Alter Ego (2014) où l’on trouve également un entretien avec Joachim Kühn qui avait enregistré avec Ornette Coleman en duo (« Colors »Harmolodic. 1996).
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10 juin 2015 3 10 /06 /juin /2015 07:48
NICE JAZZ FESTIVAL 2015 : SOUS LE SIGNE DE L’EXCELLENCE

Epoustouflante. Tel est bien le qualificatif de la programmation du Nice Jazz Festival édition 2015. Orchestrée par Sébastien Vidal, elle déroulera le tapis rouge à la crème du jazz actuel, que ce soit sur la scène Masséna ou au Théâtre de Verdure.

L’ouverture sera donnée le 7 juillet par le parrain du festival, le renommé Sieur Jamie Cullum. Un vocaliste emblématique, best seller du jazz « made in Britain », reconnaissable en un seul « coup d’oreille » à sa voix rauque et légèrement cassée. Il viendra présenter son dernier album « Interlude » et probablement certaines reprises de hits tels que « Don’t stop the music », un brillant arrangement d’un morceau de la vocaliste Rihanna.

Le même jour, au Théâtre de Verdure, Cassandra Wilson, autre voix rauque, rendra hommage à Billie Holiday. Un pari risqué pour une vocaliste mais fort bien relevé grâce au caractère si personnel du « son » de cette artiste. L’album, intitulé « Coming Forth by Day : A Celebration of Billie Holiday », a d’ailleurs été chroniqué par Jean-Marc Gélin dans les DNJ (http://www.lesdnj.com/2015/05/cassandra-wilson-coming-forth-by-day.html). Cassandra Wilson sera précédée sur scène par le pianiste israélien Omer Klein dont le dernier album « Fearless Friday » a été largement salué par la critique.

Le 8 juillet, Kenny Barron sera à l’honneur. Ce pianiste virtuose qui a marqué son époque, était récemment au Festival Jazz à Ramatuelle (cf notre chronique http://www.lesdnj.com/article-kenny-barron-trio-au-festival-jazz-a-ramatuelle-19-aout-2012-109263899.html). Il viendra présenter son dernier opus « The Art of the Conversation » - enregistré avec Dave Holland – intitulé qui n’est pas sans rappeler « The Art of the Trio », titre d’une série d’albums d’un autre colosse du piano jazz : Brad Mehldau, qui sera également sur la scène du Théâtre de Verdure le 9 juillet.

Brad Mehldau, pianiste surdoué, présentera son dernier opus « Where Do You Start ? ». Il sera suivi sur la même scène par le maître du jazz vocal Kurt Elling. Un évènement plus qu’attendu tant la voix du grand chanteur se fait rare en nos festivals azuréens. Kurt Elling sera accompagné, non plus par son légendaire pianiste et acolyte Laurence Hobgood, mais par Gary Versace, qui jouera également de l’orgue[1].

Le 10 juillet, deux formations très différentes se succèderont sur la scène du Théâtre de Verdure : Eric Legnini et la célèbre chanteuse israélienne Yaël Naïm[2]. Eric Legnini sera accompagné sur scène par deux vocalistes remarquables : Sandra Nkaké et Kellylee Evans pour un vibrant hommage à Ray Charles.

Enfin, à noter : la venue le 11 juillet du pianiste new-yorkais Jason Moran, qui chauffera les touches du piano avant qu’elles ne s’enflamment sous les mains du pianiste volcanique Roberto Fonseca, lequel sera aux côtés de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara, auteur de la bande originale du film « Timbuktu ».

L’ubiquité est un don malheureusement utopique en l’état actuel de la science. Choisir entre les deux scènes il faudra, et ce sera un choix ô combien cornélien !

Yaël Angel

Programmation : http://www.nicejazzfestival.fr/fr/programmation

Billetterie : http://www.nicejazzfestival.fr/fr/billetterie

[1] http://www.lesdnj.com/article-kurt-elling-quintet-au-festival-de-jazz-de-saint-germain-des-pres-106097506.html

[2] Remarquons qu’une autre voix israélienne sera présente le 8 juillet sur la scène Masséna en la personne du très troublant Asaf Avidan.

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2 juin 2015 2 02 /06 /juin /2015 22:15
JACKY TERRASSON  c'est jouissif !

JACKY TERRASSON : « Take this »

Impulse 2015

Jacky Terrasson ( p, fder, synth), Burniss Travis (b), Lukmil Perez ( dms), Adama Diarra (percus), Sly Johnson (vc)

Attention : concert événement le 9 juin à l’Olympia !

Y a de la joie !

Assurément le cri de ralliement de ceux qui écouteront cet album et certainement de ceux qui sortiront du concert de Jacky Terrasson le 9 juin à l’Olympia. Avec la banane !

Car l’album du pianiste est purement et simplement jouissif. Mais pas que. Du genre intelligent qui rend heureux. Dans un allègre mélange de funky, de jazz, de lounge, de latinité et d’électricité Milesiennes, Terrasson décoiffe et s’en donne à cœur joie. Album foisonnant de tout ! Gourmand en diable.

Le pianiste tel un mort de faim reprend et réinvente des standards du jazz ( Un poco loco, Blue in green, Take five), de la pop ( Come together des Beatles), de la variété ( Maladie d’amour) avec le même souci de s’amuser à jouer les gourous du clavier pour notre lus grand plaisir. On chante avec lui et on danse. Parfois même dans un moment d’immense zénitude on y entend les modalités de Bill Evans –Miles Davis sur un Blue in Green superbe et épuré à l’extrême.

Le « un poco loco » de Bud Powell suit le rythme soutenu courant d’un clavier acoustique à l’électrique du fender sur un tempo que n’aurait pas renié le maître du be-bop.

Coup génial de l’album, son association avec le percussionniste malien ( ici absolument grandiosissime) apporte à l’album sa touche afro-cubaine au travers des thèmes comme Dance ou Maladie d’amour où Jacky Terrasson se transforme devant nous en pianiste cubain. Les interventions de la voix de Sly Johnson donne prétexte à des superbes arrangements de Take five rendu à une autre modernité. On pense aussi, dans sa façon de se ménager des micro-ruptures silencieuses et de jouer avec mélodies à une sorte de clin d’œil à Ahmad jamal sur le très pop actu Somebody That I Used To Know du chanteur Gotye. Il aime bien ça Terrasson, reprendre des chansons actuelles. Rappelez vous il n’y a pas si longtemps il jouait du Justin Bieber.

Pour le concert du 9 juin qui s’annonce être un grand moment, le pianiste franco-américain annonce quelques invités de prestige. Mais ce dont on peut vous assurer c’est que si ce concert suit le move de cet album, ce sera certainement l’un des plus jouissif concert de l’année.

Alors, allons tous jouir à L’Olympia le 9 juin dans un grand moment de bonheur musical ! Et pour ceux qui préfèrent les plaisirs solitaires, ruez vous sur Take This et passez le en boucle le matin, histoire de se dire en commencant la journée, que décidément le jazz bande encore !

Jean-Marc Gelin

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31 mai 2015 7 31 /05 /mai /2015 12:56
@camille Gibily

@camille Gibily

JAZZ IN ARLES 2015  Vingtième edition (fin)

Soirée du samedi 23 mai

RICCARDO DEL FRA Quintet MY CHET, MY SONG

Nicolas Folmer (trompette), Pierrick Pedron (saxophone alto), Riccardo Del Fra (contrebasse), Bruno Ruder (piano), Ariel Tessier (batterie)

www.riccardodelfra.net

C’est la fin du festival de jazz arlésien, la soirée de clôture. En ce samedi soir, la jauge de la salle est dépassée, la petite mais vaillante équipe de l’association du Mejan s’affaire en rajoutant des lignes de chaise, tant le public se presse pour assister au concert. Le journal La Provence s’est déplacé. Le titre le dit bien, il ne s’agit pas de célébrer la mémoire du trompettiste Chet Baker par un énième hommage ou « tribute »[i] comme l’exprime la tendance actuelle. C’est sa vision éminemment personnelle que propose le contrebassiste romain Riccardo del Fra qui, dans ses jeunes années, dès 1979, a accompagné Chet Baker sur les routes et en studio, apprenant ainsi le métier avec l’une des personnalités les plus singulières et exigeantes du jazz. Le trompettiste Chet Baker fut assurément l’une des icônes de cette musique, beau comme un dieu, dans sa jeunesse. Ce n’est pas cette image que Del Fra conserve, bien des années après. Installé en France, directeur de la classe Jazz et Musiques improvisées du célèbre CNSM parisien, où la fine fleur de la jeune scène actuelle a fait partie de ses élèves, il se penche à nouveau sur son passé et se souvient. C’est ainsi qu’un projet ambitieux vit le jour sur le label Cristal avec un bel équipage et un orchestre allemand mythique, celui des studios de cinéma de Babelsberg. Jean-Marc Gelin qui chroniqua l’album pour les DNJ, ne tarissait pas d’éloge sur cet alliage de cordes et de vents :

http://www.lesdnj.com/article-riccardo-del-fra-my-chet-my-song-124672466.html

Le programme conçu par le contrebassiste explore l’univers de Chet Baker de façon poétique. Difficile de ne pas jouer des standards quand on aime le jazz et Chet Baker mais comment le faire autrement, avec fraîcheur et pertinence ? Riccardo Del Fra a répondu à ce défi en livrant des standards malaxés, réarrangés, se continuant souvent par des improvisations et des variations originales. Ainsi «For All We Know» se prolonge par cette évocation sensible « Oklahoma Kid »[ii], d’« un vol au dessus des grands espaces américains». «Love For Sale» des frères Gershwin se transforme en un « Wayne’s Whistle» malicieux. Del Fra a écrit les introductions et interludes de « I’m A Fool To Want You» et «I Remember You ». Deux de ses compositions attirent notre attention « Wind On An Open Book » et «The Bells And The Island». C’est son imaginaire qui est à l’œuvre, son ressenti qui s’exprime en une synthèse de toute son activité artistique. En s’aidant de grandes pointures, de solistes engagés comme Pierrick Pedron, jamais en reste quand il s’agit du « Great American Song Book » ( merveilleux «Change Partner» dans son (Deep In A Dream). Il a la complexité requise, à la fois lyrique, sensuel et énergique, dévorant l’espace dès le deuxième set où sa partie à l’alto est plus affirmée.

La musique du concert va sonner différemment, car le groupe est tout autre, sans orchestre, en version resserrée, un quintet où, à la batterie, le jeune Ariel Tessier, élève au CNSM, entretient un tempo rapide et continu, l’attelage allant souvent à un train d’enfer, sans respiration. Nicolas Folmer à la trompette et au bugle, reprend, après Airelle Besson, le rôle délicat de Chet. Il n’est pas a priori le plus évident dans ce rôle : virtuose et solaire, une fois lancé, il parvient aussi à se faire plus tendre, comme apaisé. C’est que le programme est dense, intense : deux sets en viendront à bout avec des passages très contrastés, de douceur infinie (duo piano/contrebasse où Bruno Ruder, formidable, tire son épingle du jeu) et d’autres échevelés, où le volume sonore atteint son apogée. On est loin du Chet de The Touch Of Your Lips à la « sonorité diaphane frôlant l’évanouissement ». C’est comme une version paroxystique qui illustre le caractère contrasté de la vie et de la carrière du trompettiste, « ange déchu du lyrisme », selon la juste formule de Pascal Anquetil dans son magnifique Portraits légendaires du jazz. La légitimité du projet est confortée quand Riccardo Del Fra lit son poème « Ombre e Luci »/ Chet, tant il est vrai que le trompettiste a toujours joué sa musique comme sa vie, ardemment.

NB : A souligner aussi ce moment d’émotion quand Riccardo Del Fra s’adresse dans la salle à Bertrand Fèvre, arlésien d’adoption, en lui rappelant les paroles de Chet lors de l’enregistrement du court métrage Chet’s Romance. C’est que le photographe a réalisé un portrait sensible, très éloigné du controversé Let’s get lost de Bruce Weber qui insiste sur la vie agitée de Chet, ses errances pathétiques, ses relations plus que tourmentées avec ses femmes, ses excès tragiques. Dans Chet’s romance, il n’est question que d’amour : filmé le 25 novembre 1987, dans un studio d’enregistrement parisien, le Clap’s, le document montre un Chet vieilli prématurément (un an avant sa mort, le vendredi 13 mai 1988 à Amsterdam), chantant et jouant dans un souffle « I’m A Fool To Want You», accompagné d’Alain Jean Marie au piano, de Riccardo del Fra à la contrebasse et de George Brown à la batterie.

Sophie Chambon

A suivre cet été le quintet avec cette formation : http://jazzenbaie.com/RICCARDODELFRA.aspx

[i] On peut tout de même citer le disque de Stéphane Belmondo qui accompagna Chet au New Morning et qui avec la complicité de Bertrand Fèvre vient de sortir sur Naïve un très émouvant Love for Chet au printemps 2015.

[ii] Chet, venu du fin fond de l’Oklahoma, le pays des « red necks », des « bouseux » arrive en Californie en 1948 ;

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30 mai 2015 6 30 /05 /mai /2015 19:19
JAZZ IN ARLES ..... suite
@camille Gibily
@camille Gibily

Soirée du Vendredi 22 Mai

STEPHANE KERECKI Quartet « Nouvelle Vague »

www.stephanekerecki.com

John Taylor (piano), Antonin Tri Hoang( saxophones), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie), Adrian Smith (réalisation image).

De retour à Arles dans la chapelle du Méjan, jouxtant la librairie Actes Sud, par un fort mistral qui nous fait pencher dangereusement sur la promenade des bords du Rhône, nous attendons avec impatience d’écouter-voir le quartet du contrebassiste Stéphane Kerecki dans son programme NOUVELLE VAGUE. Nous avions chroniqué aux Dnj, il y a juste un an, l’album sorti sur le label Outhere/Outnote. http://www.lesdnj.com/article-stephane-kerecki-quartet-nouvelle-vague-123762661.html

Plus encore qu’une révélation, ce concert s’est avéré une vérification, une consécration. Il est toujours troublant de voir en live la musique que l’on a aimée chroniquer. Voilà un quartet élégant, à la juste dimension, qui «illustre» ce festival troublant de scènes et séquences mythiques que l’on a en tête, de Pierrot le Fou (Jean Luc Godard/ Georges Delerue) aux Quatre cents coups (François Truffaut/ Jean Constantin), d’A bout de souffle (JLG/ Martial Solal) aux Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy/ Michel Legrand). Des films qui déplacèrent les règles du cinéma tout en saisissant parfaitement l’époque et ses aspirations.

Le contrebassiste leader s’est nourri ainsi que ses camarades de jeu, des images et musiques de ces films pour en recréer sa propre version, avec très peu d’arrangements, partant du matériau brut pour laisser place à l’improvisation. Le résultat est saisissant car la musique que l’on entend renvoie aux films en même temps que se développe sur scène autre chose, un échange fluide, où la musique respire dans l’espace du Méjan. Un certain goût de la liberté sans faire pour autant table rase de l’histoire du jazz. Pour ce concert, le saxophoniste «remplaçant» est le prodigieux Antonin Tri Hoang qui remplace Emile Parisien que l’on entend sur le disque. Le lendemain, c’est Jean-Charles Richard qui se produira à Vitrolles à Charlie free. Ces remplacements existent continuellement, en fonction des tournées et divers engagements de chacun ; ce qui n’est pas un souci car ces diverses configurations apportent nécessairement un parfum nouveau. Le saxophoniste joue à sa façon lyrique et jaillissante, swinguant sans avoir besoin de la gestuelle du danseur Parisien, par exemple. J’en aurai la confirmation dès le lendemain, en discutant avec le pianiste Bruno Ruder : Antonin Tri Hoangl a pratiqué et connaît tous les styles de musiques, est venu au jazz en découvrant Fletcher Henderson et les orchestres des années trente .

Dans la poursuite engagée par le quartet pour rendre une bande-son cohérente de la Nouvelle Vague, quand on s’attache à suivre l’un des quatre musiciens, l’on est invariablement happé par les trois autres, emporté par la dynamique que gère avec finesse le contrebassiste : impossible de se détacher de l’ensemble, et l’on reste arrimé au mât, aussi sûrement qu’Ulysse et ses compagnons, sous l’emprise de Circé la magicienne. Car une véritable fascination se dégage de cette suite de mélodies qui s’enchaînent inéluctablement jusqu’aux rappels (il y en aura 2, pour notre plus grande joie). Une musique grave, exaltée, sensible que servent à merveille les roulements de caisse drus, la frappe sèche et précise de Fabrice Moreau, le toucher lent et pénétrant de John Taylor, évidemment troublant dans «la Chanson de Maxence» des Demoiselles, en écho attentif à la mémoire evansienne. Une musique d’atmosphère avec de longues compositions ouvertes, propices au travail d’équipe. Quant à l’histoire, chacun peut bien se raconter la sienne. D’autant que le concert s’accompagne d’une création vidéo, à partir d’archives et de nouvelles séquences, une «bande-image» du concert : plans fixes récurrents des beaux visages d’Anouk Aimée (la Lola de Demy), Anna Karina, Jean Seberg et Jeanne Moreau. Comme la ritournelle du « tourbillon de la vie » de Jules et Jim. Le cinquième homme, Adrien Smith me confie toute la difficulté à organiser son travail, tant les droits à régler à la Gaumont et autres compagnies sont exhorbitants. Alors il aura fallu bricoler avec les plans fixes, faire se réfléchir le visage de B.B dans Le Mépris avec celui, non moins beau d’Anna Karina, derrière un objectif dans Pierrot le Fou. Des bouts de pellicules rayées forment en arrière plan, comme un rideau de pluie alors que résonnent des bribes de dialogues, pour finir par un discours militant tiré d’Alphaville-Une étrange aventure de Lemmy Caution de JLG (sur les HLM dans lesquels on parque les individus, ces «hôpitaux pour longues maladies»). On se souvient alors du travelling en noir et blanc et de ces portes qui s’ouvrent dans le générique de l’émission produite par Michel Boujut et Anne Andreu, «Cinéma, Cinémas».

Un concert que l’on n’oubliera pas de si tôt, une création libre à plus d’un titre. Aucune règle ne détermine ce qui se produit là, si ce n’est la complicité alliée au travail le plus exigeant. Rien n’est imposé si ce n’est le plaisir de s’abandonner au travail de l’ensemble...

Sophie Chambon

Les photos sont de Camille GIBILY

NB : Stéphane Kerecki a aussi glissé dans son programme, la musique de Philippe Sarde dans Les choses de la vie, «La chanson d’Hélène » interprétée par Romy Schneider. Claude Sautet ne fait pas du tout partie du groupe de la Nouvelle Vague, assassine pour la génération précédente. Les jeunes contestataires remettaient en question, l’époque le voulait, le «cinéma de papa», d’Autant-Lara ou de René Clair. Mais aujourd’hui que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, on peut réintégrer, dans une liste de musiques inoubliables, celles des films de Sautet des années soixante- dix qui dessinent un portrait sans faute de la France de la toute fin des Trente Glorieuses.

@camille Gibily

@camille Gibily

@camille Gibily

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28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 23:22
JOEY ALEXANDER : « My Favourite things »
JOEY ALEXANDER : « My Favourite things »

Motema 2015

Joey Alaxander (p), Larry Grenadier ( cb), Ulysses Owens Jr., Russell Hall (cb), Sammy Miller (dms), Alphonso Horne (tp)

On voudrait en chroniquant cet album du pianiste balinais Joey Alexander, évacuer une bonne fois pour toute la question de son âge et toutes les notions d’enfant prodige qui vont avec. Car, disons le tout de suite la claque est d’autant plus grande à l’écoute de cet album que l’on apprend que ce jeune garçon n’est qu’un enfant de 12 ans à peine déjà doté au bout de ses doigts touts les ingrédients du génie en herbe. Né à Bali en 2003 le jeune pianiste qui dès l’âge de 6 ans pouvait rejouer des thèmes de Monk juste entendu dans la discothèque de papa, est en effet une vraie révélation.

On voudrait évacuer cette question de l’âge, se dire qu’il n’est pas l’exception, que d’autres à l’instar d’une Jacques Thollot en firent tout autant et que Keith Jarrett avait déjà donné son premier concert 5 ans avant cet âge là. Comme quoi finalement, le génie, c’est d’un banal !

N’empêche, on aimerait faire abstraction de toutes ces contingences pour aller droit à l’essentiel et vous dire que l’on est quand même restés abasourdis devant cet album assez époustouflant. Mais ne vous méprenez pas. On a pas affaire ici à ce genre de virtuoses, comme ces jeunes pianistes japonais(es) qui font sans cesse et à tout bout de champ état d’une brillante et clinquante maestria qui en fout plein la vue à chacune des phrases ( je pense à Hiromi par exemple). Ici, autre chose. Le jeune garçon, à qui l’on pourra reprocher parfois d’en mettre un peu trop, fait surtout montre non seulement d’une maîtrise exceptionnelle mais surtout d’un sens hors norme de l’improvisation où les idées harmoniques semblent jaillir à chaque phrase. Il faut entendre les détours avec lesquels il aborde les standards à l’image de cette introduction de Giant Step, déjà un modèle du genre. Car non content de maîtriser parfaitement son sujet, Joey Alexander le survole littéralement. Tout y est : la gravité lorsqu’il la faut ( Over the rainbow), la légèreté d’un Michel Petrucianni ( It might as well be spring), le sens du groove et du placement ( superbe impro sur Ma Blues au harmonies détonantes), le sens de développements aussi ou encore, justement le ménagement de ces espaces sensibles que l’on croyait pourtant réservé aux plus anciens, à ceux qui ont déjà tout dit. Tout est étonnant chez ce jeune garçon capable de surprendre constamment en émaillant son discours de mille pépites inattendues. Il déroule parfois comme Art Tatum puis l’instant d’après se fait prolixe comme Oscar Peterson mais sans jamais pourtant donner l’idée de plagier ses aînés.

Et c’est là que survient le malaise et que l’on revient à la question de départ : comment est il possible si jeune et donner l’impression d’avoir autant vécu musicalement.

Mais après tout peu importe le flacon et peu importe l’âge du capitaine dont finalement on se fout comme de l’an quarante (que d’ailleurs il n’a pas connu), le temps ne faisant décidemment rien à l’affaire, reste juste le plaisir entier et immense de cet album absolument jouissif de bout en bout et , par ailleurs assez magistral.

Jean-Marc Gelin

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27 mai 2015 3 27 /05 /mai /2015 23:00
Jazz in Arles ..... (suite)

Vingtième édition (13 au 23 mai 2015)

Soirée du jeudi 21 mai

Misja Fitzgerald Michel (guitare solo)

www.misjafitzgeraldmichel.com

Dans un rond de lumière apparaît un grand escogriffe à la chemise à carreaux bleus. Misja Fitzgerald Michel[i] commence à jouer un solo de guitare qui nous fera parcourir le plus doux des trajets, du sensible «Ornettish» à une ballade «Heat», de « Don’t explain » de Billie Holiday à « Lonely Woman » (retour à Ornette Coleman), de « Pink Moon» du folk songwriter Nick Drake à «Nardis» en rappel (composition du guitariste Chuck Wayne qu’a su s’approprier Bill Evans). Tout est surprise, changements de ton, d’accords, avec des phrases complexifiées à souhait. Ce qui n’enlève rien à la finesse, à l’imprévisibilité attachante que le guitariste insuffle à l’ensemble. C’est dans un contexte aussi particulier, strictement libre, tout simplement étonnant que l’on peut apprécier la beauté insensée d’une mélodie et sa capacité à durer. Misja célèbre la guitare plurielle, l’essaie à toutes les pluralités. Il connaît les chansons, les reprend puisqu’il les aime et nous les fait découvrir autrement. Ce sont bien elles et pourtant, en se glissant dans le répertoire, il se fait une place avec sa guitare qui sonne et donne tout leur espace à ces « petits » morceaux qu’il éclaire, autrement, à sa manière, simplement et avec talent. Voilà ce que c’est que d’être doué, inspiré. Libre. On reparlera, au cours de la soirée, de ses sources d’inspiration, de Nick Drake, ce troubadour disparu trop tôt, en 1974 auquel il a consacré son dernier album Time of No Reply, en 2012. Tout comme de la malédiction qui a frappé les Buckley. Car le succès foudroyant du fils, Jeff avec l’album Grace, sorti en 1994, a quelque peu éclipsé le travail du père, Tim, plus orienté folk, mais profondément éclectique dans ses goûts et orientations musicales.

Il faut décidément louer l’esprit avisé du directeur artistique Jean Paul Ricard qui sait programmer des talents rares, trop peu entendus. C’est toute la grâce de ce festival arlésien, unique, de faire découvrir chaque année des choses rares, de programmer des concerts que l’on n’entendra plus dans les grosses machines estivales, ou même dans le réseau plus pointu de l’AJC, ex Afijma.

@philippe.meziat

@philippe.meziat

80 years BARRE PHILLIPS « Listening »

Urs Leimgruber, saxophones/Jacques Demierre, piano / Barre Phillips, contrebasse

www.barrephillips.com-emir.org

Changement de ton après l’entracte avec LDP: on attend le contrebassiste Barre Philips en trio avec Urs Leimgruber au saxophone et Jacques Demierre au piano, un alliage qui a déjà une quinzaine d’années, se produisant sur le label allemand, de qualité, Jazzwerkstatt. Contre toute attente, il y a un point commun avec le concert précédent : si l’on ne peut, cette fois, fredonner la mélodie, on retiendra cette recherche exigeante du son, dans sa qualité la plus pure. Barre Phillips est un artiste véritable qui suit son propre fil. Et ce, depuis longtemps, depuis Music from Two Basses avec Dave Holland ou son solo, Journal Violone en musique improvisée. Avec ce trio, c’est la surprise et la découverte dans l’instant, un entrelacs de figures dans l’espace, une chorégraphie gestuelle et un abandon à l’instant-ané. On se laisse conduire par ce mixage de fragments sonores reliés à une écoute intime, des stridences et vrilles exacerbées du saxophoniste et autres grincements du piano plus ou moins préparé ; parfois c’est un ostinato de basse, un bourdonnement continu qui s’harmoniserait presque avec la soufflerie aléatoire de la tireuse de bière ou de la machine à café. Au fond, derrière le plateau technique, les conditions d’écoute sont parfaites. Le trio est de plus, visuellement intéressant, au sens pictural, un tableau de groupe flamand. Il faudrait un peintre, plus encore qu’un photographe, pour saisir ce qui se joue là, entre les trois : des emportements incontrôlés d’Urs aux gestes menus de Barre, délicat quand il enlace, retourne, frotte, tapote la basse.

Cette capacité de création immédiate résulte t- elle de la seule virtuosité ? Quand il s’agit de rentrer en soi même, à l’écoute de soi et des autres, de faire remonter des réminiscences. Une création « live », dans l’instant, d’après des choix imposés de l’extérieur, comme de jouer entre les notes. Une expérience à trois, partagée, où « l’écoute comme matériau », selon les mots même de Jacques Demierre[i] est « à chaque nouveau concert plus présente... Une réactivation continuelle de la totalité des possibles...quand tous ces sons produits et échangés ne semblent résulter d’aucun travail et naître spontanément de leur propagation dans l’espace ».

C‘est la marque d’un beau concert quand le souvenir que l‘on en garde s’accompagne de sérénité. Quelques personnes sont malgré tout un peu surprises, mais la majeure partie du public, constituée de fidèles, connaît le parcours sensationnel et transdisciplinaire de cet octogénaire toujours vaillant, qui a accompagné la chorégraphe Carolyn Carlson, composé des musiques de films, de Jacques Rivette et du documentariste Robert Kramer.

Avec cet aparté avec le chroniqueur du Monde, Francis Marmande, dont le chapeau, ce soir là, m’évoque irrésistiblement « le Doulos » de Melville, un film qu’il connaît bien, la transition avec la soirée suivante est toute trouvée, puisqu’ il s’agira de Cinéma et de musiques de films, ceux de La Nouvelle Vague. J’aime ces moments en immersion, où l’on est là, captif et libre. De méditer et rêver. De penser à tout et à rien. Prêt à lire et à écrire.

Sophie Chambon

NB : les photos qui illustrent l’article sont de l’ami Philippe Méziat dont vous pouvez lire le compte rendu sur le blog de jazzmagazine.


[1] Misja Fitzgerald Michel tourne dans des contextes différents, des formations différentes : proche de Jim Hall, il a joué avec Ravi Coltrane, Chris Potter, Drew Gress, pratiquant avec aisance une gymnastique totalement acrobatique, un grand écart des formes

[i] J’irai voir après le concert, sur les conseils de Luc Bouquet, le carnet de route du trio proposé par l’initiateur du son du Grisli, Guillaume Belhomme. www.grisli.canalblog.com

@philippe.meziat

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26 mai 2015 2 26 /05 /mai /2015 22:06
ALEXANDRE SAADA : «  Portraits »

Alexandre Saada (p)

Il faut bien sûr oser. Oser franchir le pas si impudique du solo. Oser l'exercice de se mettre totalement à nu dans cet exercice ultime où l'improvisation est fondamentale. Oser exprimer la profondeur de son être, dévoiler les contours de son âme. Et même plus ici puisqu’il ne s’agit pas de lui même mais des autres, des émotions qu’il ressent à leur encontre, de ces portraits en musique tendres et parfois nostalgiques.

Il y a à entendre cette galerie de portraits comme du roman Russe où chacun des hommes et des femmes sont ici imaginés dans tout leur être.

Dans cet exercice si difficile, Alexandre Saada nous montre qu'il est un très grand pianiste. Un explorateur du clavier, de ses résonances harmoniques et de son lyrisme très poétique. Il se dégage de ce solo, non pas quelque chose d'introspectif comme c'est souvent le cas, mais le témoignage d'un romantisme particulièrement tendre et bouleversant.

On entend bien sûr qu'Alexandre Saada a dû beaucoup écouter Keith Jarrett auquel on ne peut s'empêcher de penser et à qui il rend quelques hommages appuyés. On y entend aussi et surtout ses écoles classiques, celles des maîtres français du XIXéme qui prennent ici le jazz par l'impro. L'album est conçu autour de 13 petites pièces, qui sont autant de visages imaginés. De qui ? seul Alexandre Saada le sait et nous laisse en deviner les contours et les courbures, respirer les parfums et même imaginer leurs regards. Il y a alors des élans. Il y a de la respiration. Il y a de la retenue mais aussi parfois des effusions de sentiments. On a parfois le sentiment d'être plongé dans un film de Mikhalkov.

Avec beaucoup de liberté Alexandre Saada s'autorise aussi un morceau au piano préparé aux accents orientalisants. Certes, un peu comme un cheveu sur la soupe dans cette galerie de portraits. Mais pourquoi pas. C’est après tout un peu l’oncle ou la tante d’orient que l’on ignorait et qui revient à l’improviste dans cette réunion de famille ouvrir sa malle de mystères.

On entre alors dans les réminiscences de Saada pour les faire nôtres. Avec un brin de nostalgie et une poésie très touchante. Comme un roman. Une galerie de portraits en somme.

Jean-Marc Gelin

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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 09:28
JAZZ IN ARLES

Jazz in Arles : une soirée en duos

Andy Emler (piano), Claude Tchamitchian (contrebasse)

Anja Lechner (violoncelle), François Couturier (piano)

Festival Jazz in Arles au Méjan, chapelle du Méjan, Arles, 20 mai 2015.

Dix neuf ans révolus et vingt éditions pour ce festival hors du commun, accueilli dans l'espace culturel des éditions Actes Sud au Méjan : une ancienne chapelle, vendue à la Révolution comme bien national, et devenue ensuite le dépôt de laine de la Coopérative du syndicat des éleveurs du Mérinos d'Arles (la raison sociale est gravée dans la pierre du fronton !). Ici pas de moutons à tondre (c'est le rejeton d'une famille d'éleveurs de la race Texel qui vous le dit....), seulement des oreilles et des consciences à combler de beautés sonores. Le piano a toujours eu en ces lieux la part belle : il faut dire que l'instrument de l'endroit, Steinway modèle D, est incontestablement l'un des plus remarquables que l'on puisse trouver dans ce pays, Ile de France et toutes régions confondues. Il est de surcroît préparé, réglé, harmonisé et accordé par l'irremplaçable Alain Massonneau (studio de la Buissonne, concerts de jazz du festival de Radio France et Montpellier....) ; les pianistes de jazz l'adorent, et lui rendent souvent sur scène, ici et ailleurs, l'hommage qu'il mérite.

@xavier.prevost

@xavier.prevost

Deux duos donc ce soir là, très contrastés. La paire qui associe Andy Emler et Claude Tchamitchian s'appuie sur quinze années d'incessantes collaborations, du medium band (le MegaOctet) au trio. Mais leur duo est tout neuf : un seul concert avant celui-ci, à l'Uppercut de Marseille, en octobre 2014. Dopés par le confort acoustique (une sono en simple renfort, d'un naturel confondant) et la puissance hors-norme du piano, les deux compères se sont promenés de plaisir en surprise, glissant d'une improvisation sans filet à quelques uns des thèmes du répertoire du trio qui les associe au batteur Éric Échampard. Andy Emler, que la dynamique exceptionnelle de l'instrument pourrait griser au point de le circonscrire au quadruple forte, n'oublie jamais qu'à l'autre extrémité de l'échelle des décibels, ce piano offre un pianissimo presque diaphane ; et il en joue avec délices. Claude Tchamitchian est porté par la qualité du son qui le sert : à l'issue du concert, il remerciera Bruno Levée, le sonorisateur, pour lui avoir offert une écoute idéale ; et manifestement le contrebassiste est porté, et inspiré, par l'excellence du rendu sonore qui lui est offert. A l'archet comme en pizzicato, les idées fusent, et l'expression s'en donne à cœur joie, et quand il le faut jusqu'au paroxysme. La connivence des musiciens est absolue, et absolument confondante. Le temps, pourtant mesure et maître de toute musique, semble s'être dissipé, comme en un rêve éveillé : après une heure de concert, à l'issue du rappel, le chroniqueur épaté aurait juré que cela avait duré à peine une demi-heure !

@xavier.prevost

@xavier.prevost

L'autre duo du jour associe Anja Lechner à François Couturier. La disposition a légèrement changé : le piano est cette fois parallèle au bord de la scène et le pianiste, de profil, dialogue avec la violoncelliste qui se trouve derrière lui, légèrement à sa droite, et plus près de l'avant-scène, face au public. Une disposition chambriste, donc. Mais ne nous y trompons pas : si la musique, en bonne partie écrite, est empruntée à Federico Mompou, Georges Gurdjieff, Komitas, et aux compositions de François Couturier (le répertoire de leur disque « Moderato Cantabile », paru à l'automne 2014 chez ECM), l'expression est forte, parfois exacerbée, et l'espace de l'improvisation s'immisce en clandestin dans l'écriture. La violoncelliste offre une sonorité tout à la fois ronde et rugueuse, façon gambiste, comme si son instrument gardait la mémoire de la viole de gambe qui l'a précédé dans l'histoire. Plus que sur disque, on la sent oser, dans les espaces de liberté que peut offrir le texte, l'improvisation, et l'expressivité intense. Le dialogue est constant avec le pianiste qui, impassible et regardant la partition devant lui (qu'il la suive ou s'offre des libertés....), semble en permanence, tel un sphinx, méditer sur l'inatteignable beauté ; beauté qu'il tutoie cependant constamment, en compagnie de sa partenaire. Et plus question ici de se demander si c'est encore du jazz, ou déjà du jazz, ou seulement peut-être : qu'importe. Dans ce lieu unique qu'est le Méjan, idéal pour de tels formats instrumentaux, la musique et la beauté sont les seules mesures possibles. Écoles, styles, genres, idiomes et chapelles, allez au diable : la chapelle du Méjan vous offrira l'absolution !

Xavier Prévost

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