Sortie du Duc des Lombards. Nous rencontrons Alexandra Grimal qui venait de présenter son dernier album ( « Heliopolis ») enregistré avec son groupe, Dragons. Nous prenons date avec la saxophoniste que nous recevons quelques jours plus tard dans les locaux d’ Aligre FM.
Car Alexandra Grimal ne cesse de surprendre. Né il y a 33 ans au Caire, la saxophoniste a multiplié déjà tant d’expériences un peu partout dans le monde, enregistré avec tant de grands jazzmen et participé à tant de projets différents qu’on a le sentiment qu’elle a déjà une longue carrière derrière elle.
Si Alexandra Grimal semble parfois un peu fermée sur elle-même et donne finalement peu d’interviews, ce jour-là en revanche, rayonnante, elle se prête avec plaisir et grâce à nos questions, visiblement heureuse de pouvoir parler de son travail qu’elle défend comme une quête toujours inachevée.
Nous avons eu un choc aux DNJ pour ton dernier album ( « Heliopolis »). Pourtant, ce n’est pas un album qui se livre au premier abord, il y a un chemin à faire. N’est ce pas volontaire de ta part : faire une musique qui se mérite, qui nécessite l’effort de l’écoute ?
AG : Je crois que c’est une musique par paliers. Il y a des gens qui peuvent mettre des années pour entrer dans cette musique. Mais une fois que tu y es, tu peux t’y laisser entraîner. En tous cas, ce n’est pas un choix conscient. Ça se trouve comme cela et il a fallu beaucoup de temps pour que cette musique se structure. Notamment parce qu’elle est très différente de celle que j’avais l’habitude de jouer avant ou encore en sideman notamment avec d’autres leaders que j’admire. Il m’a fallu du temps pour admettre que la forme de la musique que je voulais créer est celle-là et pas une autre. Du coup il m’a fallu moi-même des paliers pour arriver à la prendre telle qu’elle.
Sur le dernier album as tu composé en pensant à tes camarades ou bien surtout aux structures ?
AG : A la base c’est surtout un travail que je faisais autour de Nelson Veras. On s’est rencontré en 2005 et nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. On a fait beaucoup de choses ensemble. C’est une muse. J’ai rencontré aussi Jozef Dumoulin et Dré Pallemaerts en 2005 et là encore ce sont des rencontres très fortes. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ces deux rencontres devaient et pouvaient s’assembler sans qu’il y ait besoin d’y adjoindre une basse. C'est devenu une nécessité
DRAGONS — Alexandra Grimal / Nelson Veras / Jozef Dumoulin / Dre Pallemaerts from Alexandra Grimal on Vimeo.
Avec Nelson nous avons beaucoup joué en duo depuis l’époque de l’Olympic Café. J’ai notamment écrit la musique d’un film d’Ozu de 1928 ( NDR « Où sont les rêves de jeunesse ») que nous allons rejouer au Balzac en duo à Paris le 12 novembre 2013. Avec Jozef et Dré il s’est passé aussi beaucoup de choses et c’est donc naturellement que les ramifications se sont faites. La première fois que l’on a joué cette musique c’était avec une contrebasse (Joachim Florent), Patrick Goraguer à labatterie et avec la voix de Jeanne Added. Mais en fait je suis revenue à cette formule parce que je recherchais ce que j’avais trouvé dans mon premier groupe avec Emmanuel Scarpa et Antonin Rayon où l’on improvisait en contrepoint continu. On avait beaucoup travaillé cela. J’ai retrouvé ce même concept qui et inhérent à Nelson et que Jozef a pu développer dans d’autres groupes comme Octurn : avoir plusieurs contrepoints permanents avec tout à coup un soliste qui ressort. Une sorte de masse mouvante. C’est quelque chose que je retrouve aussi chez Steve Coleman par exemple.
Dans ces tramages, il est surprenant que tu n’utilises pas Jozef au fender ?
AG : Oui mais justement au début lorsque l’on a monté ce groupe, il était au fender et c’était génial. Dans Dragons il a essayé le fender mais le registre médium de l’instrument faisait disparaître la guitare en live. C’est compliqué au niveau des équilibres. Comme ma musique est faite de strates et de superposition, c’est dangereux d’avoir ces deux registres ensemble. Jozef Dumoulin est un immense pianiste, et je suis heureuse de pouvoir utiliser son touché pianistique. Dans le Naga, il sera au fender rhodes à nouveau, et Benoît Delbecq sera au piano. J'aurai ainsi toute la palette de Jozef au sein de ces deux projets. L'un étant la continuité naturelle de l'autre.
Tu parlais de Steve Coleman vous êtes vraiment d’une génération pour qui il est une référence absolue.
AG : C’est d’ailleurs pour cela que j’étais partie à New York, pour pouvoir étudier avec lui. Ce qui m’a amené à suivre ses master classes à la Jazz Gallery. Toutes les ramifications de Steve Coleman en Europe sont énormes. Je me sens très en résonance avec ces musiques-là comme avec celle de Marc Ducret. Cela étant lorsque je suis allé à NY c’était aussi dans un autre but : comme celui de rencontrer Motian par exemple, et tous les jeunes musiciens si actifs sur la scène des musiques créatives.
Tu es quelqu’un d’un peu insaisissable. Tu donnes peu d’interviews alors que tu as un parcours qui t’a conduit à traverser les frontières, à t’ouvrir au monde. Ta carrière est faite de grands coups d’accélérateurs mais et dans le même temps tu sembles donner à ta musique le temps au temps…..
AG : Mon rapport au temps… Vaste question. Il y a chez moi quelque chose d’important, c’est d’être en relation intergénérationnelle avec les musiciens de jazz quel que soit leur âge et quel que soit le lieu où ils évoluent. J’ai des projets qui mettent un certain temps à arriver à maturité Mais lorsqu’ils aboutissent tout s’enchaîne effectivement très vite. Ce qui me motive c’est moins de me livrer moi-même que de m’attacher à des collaborations sur un très long terme. Comme par exemple avec Giovani Di Domenico ( le pianiste) avec qui nous avions enregistré sur le label Sans Bruit ( « Ghibli ») et avec qui je viens d’enregistrer un nouveau duo qui sortira en 2014. Je travaille avec lui depuis 2002. C’est un peu comme avec Nelson, nous participons ensemble à pas mal de projets dans des formats différents et depuis pas mal de temps. Il y a une permanence dans notre travail, quelque chose qui traverse le temps dans ce duo et qui vient de nos affinités très profondes. Je l’ai rencontré au Conservatoire de La Haye. Mon rapport au temps est fait de hasard et de nécessité.
Quand tu fais ce disque avec Gary Peacock et Paul Motian, ce n’est justement pas un hasard ?
Lire la suite : Alexandra Grimal ou celle qui cherchait de l’or dans les étoiles