Samedi 18 novembre
KUBIK’s MONK: Pierrick Pedron (saxophone alto), Thomas Bramerie (contrebasse), Frank Agulhon (batterie)
Arborant un tee-shirt à l’image de leur pochette, les musiciens entrent en scène pour un récital Monk joué avec brio par un trio décomplexé.
Je me souviens d’avoir écrit sur ce même site, alors que le CD sortait chez ACT : Voilà que Pierrick Pedron revient à Monk et cela pouvait faire peur : comment osait-il s’attaquer au roc aride et tranchant, à ce géant bancal et inimitable, ce pianiste fou et génial ? Aux côtés de Monk, a défilé la fine fleur du jazz moderne de l’époque, les batteurs Kenny Clark, Art Blakey, Max Roach, le contrebassiste Oscar Pettiford, le trompettiste Clark Terry...
Avec ses fidèles complices, Franck Agulhon, Thomas Bramerie, l’une des plus belles rythmiques jazz actuelles, Pierrick Pedron fait entendre la formidable musicalité de la musique de Monk dans des compositions peu jouées, comme ce « Who knows » qu’affectionnait Steve Lacy, « Ugly beauty », « We see », « Trinkle, tinkle », l’étonnant « Skippy ». Rejouer sans piano ces petites pièces, aux titres improbables, n’est vraiment pas facile, car il faut entrer dans la logique de Monk, s’adapter à sa vision des choses, reproduire en l’adaptant une architecture complexe, une « toile en trois dimensions » à la façon des cubistes. « L’ermite » Monk va loin dans son souverain mépris des règles, ne suivant que son « tempo intérieur». Laurent de Wilde a écrit que dans Monk, « rien n’est carré, tout est de guingois...La tyrannie de sa mélodie singulière est totale, et l’improvisation, plus que jamais est totalement asservie ».
Le résultat est une musique précisément ciselée : avec l’expérience de nombreux concerts, elle a acquis une lumineuse « évidence », elle respire et s’épanouit comme dans ce titre justement, qui débute le set. On retrouve les envolées, toujours très lyriques de Pierrick Pedron et sa généreuse sonorité. Un sacré défi qu’il s’était lancé ... et qui a réussi ( il rêve à présent d’un Kubik’s CURE, toujours avec ses potes). Car le chant monkien resurgit dans la musique du trio, sans que cela ne ressemble à un hommage ou un « tribute » de plus. Quel talent pour se risquer en solo à jouer le célébrissime « Round Midnight » sans tomber dans une reproduction trop serrée.
Après le concert, la conversation s’engage entre le saxophoniste et le président de l’association du festival ( bénévole , pharmacien de son état, pianiste et fin connaisseur de Monk) autour de l’œuvre du « maître » (75 titres au moins) et de ces jazzmen, véritables « chevaliers de l’éphémère » (Pascal Quignard) qui fondèrent le be bop.
Le Diaporama Pedron par Alain Julien
Eric Seva ( saxophones baryton, soprano, sopranino), William Leconte (piano), Didier Irthusarry (accordéon), Pierre François “Titi” Dufour ( batterie)
Décidément, Francis Le Bras, le directeur du festival a concocté une soirée réussie au style musical plus limpide et familier, illustrant la formidable plasticité du jazz actuel.
Changement de set pour le dernier groupe, les Espaces croisés d’Eric Seva, saxophoniste vivant à Marmande dont le premier album en leader en 2005, Folklores imaginaires obtint un succès vraiment mérité. Il manie le baryton avec aisance, mais ne dédaigne pas le soprano et sopranino. Il continue son voyage au long cours avec une formation originale, où contrebasse et guitare sont remplacées par piano et accordéon, fort élégamment... C’est un tout autre style que l’on entend, des premières notes de « Résonances » ou « Crossroads » jusqu’au final. On embarque pour un itinéraire sans fausse note, au carrefour d’influences assimilées finement, de musiques traditionnelles («Les roots d’Alicante») : un jazz à « l’identité vagabonde», sensible, fraternel, qui exalte les rencontres. La musique se risque et s’épanouit dans le souffle du leader et le son inoubliable de l’accordéoniste Didier Ithursarry.
Le diaporama Seva par Alain Julien
Sophie Chambon
Le parfum ( sebastien Jarrousse)
Mise en ligne le 26 janv. 2013
Sebastien Jarrousse- Soprano Sax
Lisa Cat-Berro- Alto Sax
David Patrois- Vibes (hidden)
Alex Perrot- Contrabass
Ariel Tessier- Drums
"CRASH 2000" SEBASTIEN JARROUSSE
Mise en ligne le 27 janv. 2013
Sebastien Jarrousse- Soprano Sax
Lisa Cat-Berro- Alto Sax
David Patrois- Vibes (hidden)
Alex Perrot- Contrabass
Ariel Tessier- Drums
Hosted by Sebastien Llado- Trombone
Mise en ligne le 29 sept. 2013
Tam De Villiers- guitar
Gianluca Renzi- upright bass
Luc Isenmann- drums
Host: Sebastien Llado- trombone
Galerie l' EXPO – 5 rue Maurice Bouchor – 75014 PARIS
Vingtième édition du REIMS JAZZ FESTIVAL : du jazz dans les bulles
(14 au 23 novembre)
Photo Alain Julien
OPEN JAZZ en direct
Cap sur Reims, à seulement quarante-cinq minutes en TGV pour assister au premier week end du festival Djazz 51. Dans le train, j’ai retrouvé Alex Dutilh qui poursuit sa tournée Open Jazz sur France Musique, après Marseille et Nevers. Sans plus tarder, nous filons au Centre Culturel St Exupéry, plus précisément au Bar éphémère de Pierre Roy-Camille, au comptoir duquel la radio s’installe. J’assiste à l’émission, comme les auditeurs ravis du direct : une heure de conversation et d’échanges entrecoupés de longs extraits musicaux et le luxe d’un premier morceau de ...8mn, « Illinx Bassline » du contrebassiste Marc Buronfosse. Francis Le Bras, figure essentielle du festival, pianiste et directeur artistique, l’un des créateurs du label Vent d’Est est là, heureux de partager son amour du jazz, de donner à voir et entendre des musiques actuelles.
Alex Dutilh, excellent maître de cérémonie, relance l’échange, divertit tout en instruisant, sans oublier les coups d‘œil dans le rétroviseur ( un titre de 1962 du trompettiste d’Howard Mc Ghee « Blue Duende » dans Nobody knows you when you’ re down and out). Il commente avec ses invités l’évolution du jazz actuel, musique difficile à immobiliser dans une définition » ( Enzo Cormann).
Open Jazz d'Alex Dutilh: Francis Le Bras, Alban Darche, Marc Buronfosse
Vendredi soir 15 novembre : J.A.S.S
Sébastien Boisseau (contrebasse), John Hollenbeck (batterie), Samuel Blaser (trombone), Alban Darche ( saxophone ténor)
A l’honneur ce soir, un groupe mixte franco-américano-suisse et collaboratif J.A.S.S dans un programme inédit en disque du moins. J.A.S.S est l’acronyme des premières lettres des prénoms des musiciens : l’une des hypothèses étymologiques du mot « jazz » remonte à « jass » (la chasse), pas loin de « jackass » si l’on s’intéresse aux noms d’oiseaux et autres expressions sexuellement connotées jusqu’à « All that jazz » qui inspira le regretté Bob Fosse.
Voilà une musique qui respire, intelligente, libre, affranchie sur un répertoire de compositions originales. S’il faut quelque temps pour s’immerger dans le magma du quartet, leur lave en fusion ne consume pas. Intense et enlevée, la musique ne se livre pas facilement, comme un puzzle en pièces que l’on reconstitue peu à peu. On y entre sans toutefois en percevoir tous les codes. Voulant libérer la musique de ses propres carcans, ces expérimentateurs n’hésitent pas à la manière d’oulipiens, à se donner des contraintes pour faire bouger les lignes comme dans ce « No D » par exemple ( composition sans la note ré), à la manière de Georges Perec qui s’était amusé à faire disparaître le « e ».
On prend plaisir à écouter en live ce quartet tant l’expression collective est essentielle. Pour ces arpenteurs de nouveaux territoires, il s’agit de se porter mutuellement, faisant exulter les fulgurances communes. Cela démarre dans un espace rendu géométrique par l’expansion du souffle et du rythme, dans un rapport au temps des plus exacts. Un duo splendide de soufflants que la rythmique non seulement soutient mais propulse. Sébastien Boisseau, arrimé à sa basse comme au mât du navire, donne le cap à Alban Darche et Samuel Blaser, volubiles et pourtant précis, qui dialoguent sur le front : des lignes de force d’une douce violence tracées sous l’impulsion du batteur, dans une énergie continue. Il est impressionnant John Hollenbeck (Claudia Quintet entre autre), pas vraiment bavard mais sur scène, ce qu’il fait est éloquent. Jamais la tension ne retombe ou ne semble faiblir. Il y a une véritable « jazz envy » (titre d’un morceau), à moins que ce ne soit « en vie », mais on ne va pas jouer sur les mots. Suit l’une des compositions qui m’accroche le plus, celle du saxophoniste Alban Darche (c’est lui, le A de J.A.S.S) dont j’essaie de suivre le déroulé: « L’eau » démarre par des petites « agaceries» ornementales du trombone et du sax en contrepoint, qui enflent ensuite sur accords ternaires et marche quasi-militaire dans un grondement continu. Cela roule en effet comme un cours d’eau qui divague sans perdre de vue son lit, se ressaisit, gagne en puissance et s’emporte en atteignant les chutes. Samuel Blaser souffle, feule, hoquète avec son trombone « complet » (une noix supplémentaire). En coulisse, j’apprendrai que les valves s’appellent aussi des « noix ». Rythmicien hors pair, il part du jazz et y revient sans cesse : extrême dans un élan continu, il peut tout obtenir de son instrument, du growl le plus classique aux stridences atonales. Il a un son moelleux alors qu’il se refuse à toute voluptueuse caresse, comme savent si bien en jouer les trombonistes dans les balades. Au pays du champagne, ça pétille, mais n’écoeure jamais.
Découvrez le diaporama du J.A.S.S quartet par Alain Julien
Le SOUNDS QUARTET du contrebassiste Marc Buronfosse sur le label ABALONE de Régis Huby, distribué par les Allumés du Jazz : FACE THE MUSIC avec Benjamin Moussay ( piano, keyboards) Antoine Banville ( drums, percussions).
On attend maintenant la suite et... on ne sera pas déçu. Un équilibre de funambule s’instaure vite dans le groupe qui suit le « blast » de JASS. La guitare ailée de Marc-Antoine Perrio (on ne discutera pas de ses préférences électriques Fender ou Gibson) est la surprise de ce concert : le contrebassiste Marc Buronfosse a en effet décidé de ne pas remplacer Jean Charles Richard qui joue sur l’album, épatant au demeurant, de tenter l’expérience avec un jeune guitariste qu’il a entendu jouer, autant du classique sur une guitare à cordes en nylon que de la dobro. Intuition qui fonctionne en tous les cas : advient autre chose, une musique vraie et complexe où s’affirme une fois encore que l’on joue comme l’on est, avec de la pudeur griffée d’une belle audace pour le leader-contrebassiste. Contrôlant la vision particulière de l’ensemble, Marc Buronfosse réussit à faire sonner la forme, en changeant les basses et l’instrumentarium comme dans cet étonnant « AOC » (à Ornette Coleman, précisons). Le quartet déménage avec ferveur et musicalité, entre épure et passion, sur le versant d’un romantisme (échevelé ) de Benjamin Moussay dans « Jennifer’s mood » par exemple. Sans oublier tout le travail précis de modulation du son, de recherche de résonance, d’ effets et autres boucles qui résiste à la déferlante d’un batteur solaire, Antoine Banville. Une suite en deux parties au titre énigmatique (« Before and After the second round ») achève de nous convaincre, le jazz a toujours été une musique d’urgence, de liberté, de prise de risque.
Le festival démarre bien, et Francis Le Bras confirme qu’en dépit de difficultés rencontrées ces dernières années (baisse drastique des subventions de près de 60%), le public reste fidèle et se montre plutôt heureux de ce qui advient, faisant confiance à la programmation innovante. Le Directeur artistique souligne qu’il fait, à chaque fois, l’effort de programmer deux concerts très différents le même soir pour croiser les publics, et tenter d’élargir la vision du jazz, des jazzs, faire découvrir ces musiques plurielles. C’était bien le cas ce soir avec deux groupes complémentaires qui s’ajustent au foisonnement actuel. Plus de première et deuxième partie, encore moins de vedette américaine. Novembre est le mois de grands festivals dans le réseau A.J.C (ex Afijma) , réunissant des propositions artistiques très diverses, mais toujours en recherche de qualité et qui prouvent que le jazz peut encore toucher corps et âme...
NB : Mention spéciale au travail d’ALAIN JULIEN sur www.djaz51.com. Il est aussi l’auteur du DVD dont nous avons déjà évoqué toute la beauté radicale dans le projet PATCHWORK de Francis Le Bras et Daniel Erdmann sur le label VENT D’EST (enregistré en tournée au Mali et Guinée Bissau)
Découvrez le diaporama du SOUNDS Quartet par Alain Julien
( A suivre...)
Sophie CHAMBON
Christophe Leloil (tp, flgh), Carine Bonnefoy (fder), Eric Surmenian (b), André Charlier (dms)
dist . : Ref : Durance-Lel042010 / Distribution Orkhêstra International
Christophe Leloil est un garçon totalement iconoclaste et insaisissable. On avait applaudi des deux mains lors de la sortie de E.C.H.O.E.S et voilà que le garçon rebat aujourd'hui les cartes et se remet en cause. Car, visiblement Christophe Leloil aime bien brouiller les pistes. Quand on le croit groove ( Bayou’s bounce) il se fait ultra cool (CCCP). Quand on le pense acoustique ( Free time ) il se fait électrique (Lost in the Tube). Toujours là où on ne l’attend pas mais jamais vraiment non plus quelque part.
Qu’importe ! C’est la marque de sa très grande liberté. Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans une catégorie distincte, dans une chapelle étriquée mais revendiquant quand même son appellation « jazz » ( du moins, à l’écouter je le suppose), le trompettiste du Sud montre une sensibilité ma foi fort touchante. A tomber par terre. Ce n’est d'ailleurs pas un hasard si le trompettiste a joué avec les plus grands jazzmen français et tourné dans des formations aussi prestigieuses que celles d’ Albert Mangelsdorff à Maria Schneider. Excusez du peu.
Dans le présent album, je pense à Tom Harrell parfois ( même si lui, revendiquerait plutôt le jeu de Booker Little ainsi qu’il le démontrait dans le précédent album). Car s’il y a ici moins de gnaque que dans le précédent il y a en revanche un art du façonnage dans cette manière de construire ses improvisations avec l'élégance d’un dandy qui, peu gêné par l’agitation alentour saurait prendre son temps. Un art de la déambulation sereine.
Avec Carine Bonnefoy au fender il s'amuse de sonorités lunaires pour livrer un album qui a le mérite d’avoir sa personnalité propre, cette esthétique personnelle, tout en blues et en atmosphère plus ou moins tamisée. Oui, je persiste, je pense à Tom Harrell. Mais il y a aussi beaucoup de groove et de swing dans ce qu'il dit. Et ceci même sur des tempi lents (CCCP) qui exhument quelques vapeurs noctambules, déambulation de fin de soirée pas trop alcoolisées. Des pages plus électriques sur la série courte des "Lost in the Tube" et toujours cette magnifique sonorité de Christophe Leloil qu'il accommode d'électronique. L'idée étant certainement de dépasser la dimension acoustique du quartet pour créer d'autres univers sonores dans
lesquels s'immiscer. On notera le rôle des accompagnateurs et notamment celui de Carine Bonnefoy remarquable dans le soutien harmonique (sur le Lotus Blossom de Billy Strahorn). Ou encore le gros travail à la basse d'Eric Surmenian, qui dans nos contrées se fait beaucoup trop rare à notre goût.
Dans ce jeu à 4, Christophe Leloil partage et construit le son avec ses camarades. Ce qui semble l’intéresser est moins la nature de ses improvisations que ce son collectif auquel il contribue. En ce sens-là c’est un album résolument apaisé. Une sorte de quiet cool.
Après, il faut tenir la distance et varier les plaisirs. Passer de sonorités acoustiques à électriques n'est pas complètement suffisant pour relancer l'intérêt de l'écoute. Ca ronronne un peu de temps en temps. Mais quand même de quoi se lover confortablement dans une écoute toujours délicieuse et brillante à la fois.
Jean-Marc Gelin
Naïve 2013
Olivier Bogé (sx, vc, p), Tigran Hamasyan (p), Sam Minaie (cb), Jeff Ballard ( dms)
Il n’y a même pas un an lors la sortie de son magnifique album « Imaginary Traveler », nous avions déjà remarqué Olivier Bogé que nous avions chroniqué dans ces colonnes même. Nous y voyions et surtout nous y entendions un saxophoniste raffiné et élégant de la classe de certains de ses aînés vivants à New-York comme David Prez ou Jérôme Sabbagh (en moins funk), mais aussi de grands saxophonistes racés comme David Binney ou Mark Turner. La catégorie de ces joueurs de ténor fluides et souples, enfant de la pop et du jazz mélangés, adeptes de la maîtrise et de la zénitude. Restait alors à Olivier Bogé à se forger un univers musical qui dépasse un
peu les clichés ( que l’on aime absolument) du jazz New-Yorkais pour s’approprier son propre univers.
C’est ce qu’il fait ici de manière très soulful et très inspirée, perceptible dès les premières notes de l’album (Poem). Le garçon montre qu’il a des choses à dires et s’en donne les moyens. Notamment en s’appropriant une rythmique totalement inédite faite de la rencontre de deux fortes personnalités musicales, le pianiste très en vogue Tigran Hamasyan et le batteur Jeff Ballard que l’on imagine depuis peu exilé dans l’hexagone. Olivier Bogé dresse alors un décor superbe à la carte postale. En effet l'association de Tigran Hamasyan aux harmonies très typées ( Dance of the flying ballons) , et le drive très fin de Jeff Ballard sont assurément deux ingrédients magnifiques de leur savoir jouer collectif. Dans le même temps, pulsé par la rythmique, l'énergie circule fortement, une énergie que le sax d'Olivier Bogé survole de manière aérienne, prenant les choses par le dessus. Olivier Bogé c'est un sax très émotionnel, un qui raconte des histoires, pas vraiment un sax-chanteur mais un storyteller. Presqu’un jeu narratif et contemplatif à la fois. Il faut entendre comment, sur le bien nommé Be Kindpar exemple il sait se faire caressant et soyeux.
Alliance remarquable de talents, ce groupe puissant montre tout son savoir-faire à l'image de ce titre éponyme ( The world begins today) où le batteur de Brad Meldhau semble ici se démultiplier, véritable mécanique hallucinante de mise en orbite pour le saxophoniste. Impressionnant héroic drummer ! L'art de Tigran Hamasyan, quant à lui, est celui de rajouter au cœur de ses phrases des sortes de ghost notes, notes fantômes qui confinent au quart de ton et donnent cette couleur très métissée de jazz oriental
Inhérente à sa propre culture tout en s’appuyant sur des harmoniques très jazz. Un petit morceau gentil (Little Mary T) laisse le trio s'exprimer sur une agréable complainte où là encore, c'est l'occasion de prêter l'oreille au drive subtil de Jeff Ballard. On est en revanche moins convaincus par la nécessité d'un morceau pseudo mystique coltranien (Inner chant). Franchement dispensable. Mais l'instant d'après sur Seven Eagle feathers, Olivier Bogé retrouve toute sa légèreté et le lyrisme gracieux qui lui vont si bien.
La couleur de l’album est une couleur, on l’a dit métissée mais aussi très pop alliant parfois des rythmes ternaires avec du binaire à l’instar de ce Dance of the flying balloons ( point culminant de l’album, apothéose du quartet) et dont les thèmes auraient pu être chantés par un Radio Head ou un Portishead par exemple.
Il y a dans cet album des moments de vie, d’émotions fortes ou douces, une conception artistique qui ne laisse pas indifférent et convoque l’imaginaire et l’affect. Quelque chose de puissant se dégage du quartet. Son histoire commence peut être à s’écrire à cet instant-là.
Jean-Marc Gelin
Altrisuoni www.altrisuoni.com
Concerts Unitrio le 14 à LYON au hot Club; le 15 à Roanne au Satellit café
Frédéric Boreyest un des musiciens particulièrement actifs de la scène hexagonale qui partage son temps entre enseignement et concerts à travers la France dans au moins trois formations : son quintet The Option, un quartet Lucky dog, un combo franco-suisse Unitrio. On attend aussi beaucoup d’une prochaine collaboration avec Zooloup (le tromboniste Denis Leloup et le pianiste Zool Fleischer).
On le retrouve donc avec bonheur toujours au ténor, dans ce trio chaleureux qui paraît sur le label suisse Altrisuoni. C’est son instrument de prédilection aujourd’hui, et on ne saurait le blâmer de s’y tenir quand on pratique à ce point d’intelligence et de finesse, l’art de la conversation et de l’échange.
S’il nous a déjà confié que Joe Henderson et Jerry Bergonzi furent des découvertes capitales, on s’attache surtout au son moelleux, doux et feutré, au phrasé impeccable sans être jamais lisse. Le « son » est toujours privilégié au détriment d’une recherche effrénée de virtuosité. On pourrait aussi ajouter dans sa liste de« favorite », Chris Cheek dont on aime à penser qu’ il est celui à qui est dédié ce « Meeting with Chris ».
Avec ce trio enveloppant, on entend du jazz, du vrai qui engendre parfois une nostalgie de bon aloi. On peut être jazzophile comme on est cinéphile, ma foi, et aimer retrouver le son, le grain, le style, sans la patine. Un trio qui sonne et swingue... en plus, avec l‘emploi intéressant de l’orgue Hammond B3. S’il n’y a rien de nouveau ou prétendu tel, cette musique à écouter en petit comité, dans la fumée de soirées arrosées, donnera un plaisir à nul autre pareil et ce n’est pas un cliché. Ecoutez la fluidité de ces ballades « accroche cœur » ou l’inquiétante étrangeté de tempos plus alertes comme dans «Mayapocal». Car le répertoire de l’aveu même du saxophoniste ne cesse d’évoluer en accord avec ses deux partenaires de choix, le sensible Damien Argentieri à l’orgue Hammond et le précieux Alain Tissot à la batterie. Voilà un trio attirant qui ne perd pas ses repères, ne recherche pas la révolution, mais évolue dans son sillon, en recherche de timbres, d’une fusion souple et énergique, privilégiant la recherche de la mélodie en rapport avec l’harmonie. Et le moins que l’on puisse dire est que le courant passe entre eux.
Encore un exemple bienvenu de l’art du trio, avec une habileté, bien actuelle cette fois, à vivre cette musique. On découvrira donc cette « Page 2 » avec intérêt, sur le label suisse Altrisuoni (et on réécoutera la « Page 1 », sortie en 2011 ) tout en attendant avec plaisir de feuilleter la suite du « music book » de ce grand saxophoniste dans ses formations.
Sophie Chambon
Chers amis,
après l’album « Ressac » sorti en février dernier, j’ai décidé de publier un nouveau disque, qui est, pour moi, un projet très spécial.
Il s’agit d’une version pour big band du fameux A Love Supreme de John Coltrane enregistrée par le Dal Sasso/Belmondo Big Band.
Poussé par mon admiration pour Coltrane, j’ai écrit un long arrangement qui respecte l’esprit de l’œuvre originale et son découpage en quatre parties, mais la transpose à l’échelle d’un orchestre. Ceux qui suivent mon travail depuis longtemps se souviennent sans doute que nous avons souvent joué cette orchestration avec le Dal Sasso/Belmondo Big Band lorsque nous étions en résidence au Sunset. Nous l’avons également donnée au festival Jazz in Marciac et au Paris Jazz Festival au Parc floral, au cours de deux concerts qui ont marqué les esprits !
À l’approche du 50e anniversaire de la version originelle gravée par John Coltrane pour Impulse en 1964, j’ai pensé qu’il était temps de faire paraître l’enregistrement que j’avais réalisé à l’époque. J’ai réécouté les bandes afin de les remixer et je dois vous dire qu’il se passe quelque chose de très spécial qu’il faut mettre au compte de la dimension spirituelle de l’œuvre initiale. Le big band joue merveilleusement et les solistes (Lionel et Stéphane Belmondo, mes « frères » de musique, Laurent Fickelson, Clovis Nicolas…) s’élèvent au dessus de l’orchestre à chaque fois qu’ils prennent la parole. Je dois dire que je suis très fier de cet enregistrement.
Je vous écris car pour concrétiser la sortie de ce nouveau disque, je vais avoir besoin de votre soutien. Ne pouvant supporter seul les coûts de fabrication, j’ai initié une campagne de financement participatif sur la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank afin de réunir les fonds nécessaires à ce que l’album voit le jour.
En vous rendant sur la page consacrée à A Love Supreme, vous découvrirez les différents niveaux de participation que je vous propose et pourrez précommander le disque en numérique, CD ou en vinyle (édition limitée) et, en fonction de votre contribution, bénéficier d’un titre inédit et être personnellement remercié de votre geste.
Ce disque sera le premier d’une collection de disques initiée par le journaliste et commissaire d’exposition Vincent Bessières, qui a préfacé l’ensemble de mes albums antérieurs.
Je compte sur vous pour m’aider à faire exister cette version de A Love Supreme. Vous avez 35 jours pour me témoigner de votre soutien en vous rendant sur la page dédiée sur le site KissKissBankBank. Attention, si l’objectif n’est pas atteint, tout sera perdu et l’album restera lettre morte.
Je vous remercie à tous d’avance de votre générosité.
Christophe Dal Sasso
IS THAT POP MUSIC ?!?
Label Cristal Records
Distributeur Harmonia mundi
Un projet intéressant du guitariste David Chevallier qui montre un bel éclectisme puisqu’en quelques années, il s’est intéressé aux madrigaux de Gesualdo, aux ayres du luthiste de la période élizabethaine John Dowland, montrant que depuis ses débuts avec Denis Charolles, il a su naviguer à travers le temps et les musiques. Equilibriste osant toutes les modifications génétiques, il s’attaque cette fois avec quelques éléments incontournables (et fort doués) de sa compagnie, créée en 2003 (Yves Robert, Christophe Monniot....) au patrimoine de la musique pop. Un disque fraternel en quelque sorte, mais on aura plaisir à retrouver « pareille famille ». Avec tous ces soufflants magnifiques et le drive de Denis Charolles, le guitariste fait sonner l’ensemble.
Ainsi, on va réécouter quelques pépites de Lennon, Macca, mais aussi de Tears for Fears (« Sowing the Seeds of Love »), Duran Duran, Sting, U2. C’est David Linx qui donne de la voix dans certains de ces thèmes très célèbres de la pop music. Et on ne saurait trouver meilleur interprète, il a le timbre idéal dans « Come together », le groove inspiré dans «She said », la délicatesse nécessaire dans ce « Dream brother » tiré du superbe Grace du malheureux Jeff Buckley. Ces chansons culte reprennent d’autres couleurs avec les arrangements instrumentaux qui servent de délicat écrin à la voix chaude, bien placée, juste sans emphase. Ce qui ne fait que confirmer que les mélodies étaient formidables... Alors pourquoi se priver d’un aussi beau matériau ? Au cinéma, les « remakes » perdent souvent en intensité mais en musique et en jazz en particulier, on peut, on doit s’attendre à de belles surprises quand on peut partir de quelques cellules, isoler des fragments épars pour les retravailler. Les excellentes notes de pochette du leader précisent avec pertinence le sens de son engagement et de son travail. C’est une vraie « jazz attitude » que laisse entendre ce titre faussement interrogatif « Is That Pop Music ? » : une recherche transversale, multidisciplinaire qui reprend des « standards », les refaçonne. Au lieu de revoir encore le Great American Song Book et les merveilles de Tin Pan Alley, on recycle de la pop, du rock. Times are changin’
Pas de problème et aucune ambiguïté, quand on aime jazz, pop, rock, ça fonctionne et avec une telle équipe, on se met à fredonner de bon cœur. Quand la musique est bonne, pourquoi se priver de ces émois ?
Sophie Chambon
Les Dernières Nouvelles du Jazz