Ajmiseries
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Distribution Abalone Socadisc
Voilà un disque qui a pris son temps avant de paraître. En 2004, un quartet franco-américain se retrouve à l’AJMI (Avignon). Le guitariste Rémy Charmasson est le lien avec le duo américain Gress /Rainey, bien que jamais le saxophoniste André Jaume ne soit en reste, toujours prêt à se lancer dans de nouvelles aventures. Ce souffleur« branché free » de son propre aveu est un musicien de jazzs avec un « s ».
Voilà un groupe improvisé, un projet de rencontre particulièrement convaincant qui fait œuvre collective, dans un partage à deux, trois, quatre, l’entente inconsciente, étant la condition première de toute création improvisée.
Compromis entre écriture et improvisation, cet album élégant se prête à l’exercice de formes ouvertes, rythmiquement complexes qui restent heureusement immédiates, « organiques » comme le suggérait lors de l’enregistrement le batteur Tom Rainey : écoutez donc le formidable « Rock me » de Charmasson au riff inoubliable et toxique. Une musique qui évolue de climats labyrinthiques en ambiances plus engagées et percussives avec le duo rythmique superlatif de Drew Gress et Tom Rainey, cœur d’un quartet des plus toniques qui manie l’audace dans ces rythmes volontairement fragmentés « Oubliés ».
Une formation qui joue d’évidence ses propres compositions mais sans exclusive puisque, parmi les belles pièces de cet album, se trouve le morceau inaugural « Fuchsia Norval » du saxophoniste Frank Lowe (de la Great Black Music), le « White Horses » toujours inspirant de l’ami contrebassiste Bernard Santacruz, un superbe « Cassavetes » du guitariste un peu oublié aujourd’hui, Gérard Marais.
La cohérence dans le jeu est telle qu’il semble difficile de reconnaître l’auteur de certains thèmes d’autant que tous les intermèdes sont des créations collectives à 2 ou 3, prédelles d’exposition, à la manière d’Alechinsky qui brodent et bordent le centre dur de la représentation.
Aucune règle ne détermine ce qui se produit là, si ce n’est une complicité intelligente alliée au travail le plus rigoureux. Ces quatre-là savent s’écouter, se chercher, se trouver par mini-solos interposés, échanger questions-réponses, dialoguer dans une virtuosité réjouissante, avec le goût de la mélodie au besoin déconstruite. Peut-être pourrait-on avancer que la brillance, l’extravagance sont la marque du guitariste qui ne tombe pas dans le piège attendu du lyrisme alors qu’ il en a toutes les possibilités, les compositions plus lentes, mélancoliques telles ce « Fumaccia » du fait d’un souffleur, capable d’une douceur extrême du jazz de chambre à la Giuffre.
Un album que l’on aime pour ce qu’il éveille dans notre imaginaire, à la recherche d’élans lumineux et d’horizons éclatés, dans un chatoyant travail de textures : clarté et élégance de la mise en place, agencement finaud de petites pièces, pas si faciles et de compositions plus élaborées.
Exigeant sans être jamais déroutant, pénétrant enfin, pour peu que l’on se laisse happer par ce lyrisme étrangement sinueux.
Ce bel objet au graphisme de Gianfranco Pointillo, designer fidèle aux Ajmiseries, a vu le jour en 2013 : Jean Paul Ricard raconte comment cet enregistrement a pu enfin paraître, traduisant une « forme de résistance à une sorte de fatalité dans une période qui s’inquiète peu de reconnaître à sa juste valeur ce type d’expérience dès lors qu’elle n’est pas le fait de personnalités plus ou moins starifiées par les medias dont la seule préoccupation consiste à amplifier des événements qui font déjà l’unanimité d’un anonyme grand public ».
Le public aime reconnaître plus que connaître.
Si Frank Sinatra nous exhortait de sa voix de velours à le suivre dans son « Come fly with me », le jazz étant, de surcroît, né à l’époque où se réalisait le rêve de voler, n’hésitez pas vous embarquer dans cette rutilante machine et…bon vent de toute façon !
Sophie Chambon
Souvenir d’un enregistrement longtemps retardé
Work in progress de FLY BABY FLY printemps 2004
Chronologie de l’opération
La création s’est échelonnée sur une semaine .
• Vendredi 5 et samedi 6 mars : Répétitions dans le but d’établir un programme, d’essayer différentes combinaisons en se faisant plaisir.
• Dimanche 7 mars : Départ pour l’Hérault et concert- test à L’archipel au Lauret .
• Lundi 8 mars et mardi 9 mars : Enregistrement au studio Lakanal de Montpellier sous la vigilance de Boris Darley, dans le studio sans piano qui correspond parfaitement à la structure de cette formation. Départ de Drew Gress pour Séville où il jouait le soir suivant
• Mercredi 10 mars : Relâche
• Jeudi 11 Mars : Attente du retour mouvementé du contrebassiste ( son vol fut retardé à Madrid à cause des événements tragiques d’Atocha ). 21 heures : Concert à l’Ajmi comme prévu .
• Vendredi 12 et Samedi 13 mars : Masterclasse sur le rythme donnée par les musiciens, encore une occasion de jouer certaines compositions. Perrine Mansuy se joint au groupe ravie d’être entourée par une rythmique de choc.
Vendredi 5 mars : Premier jour des répétitions
10 heures : Les Américains, toujours très ponctuels, attendent devant l’ Hôtel de l’Horloge (sur la place du même nom, à cinq minutes du Palais des Papes qu’on vienne les chercher pour les conduire à l’Ajmi. Arrivée à « l’atelier », le travail va pouvoir commencer .
Rémi Charmasson propose des titres, Drew Gress et Tom Rainey suivent les indications, le quartet commence à jouer.
Rock me (babe) composition plutôt funk à la James Brown : tout de suite le ton est donné, on est dans l’ambiance. Indications sur la dernière phrase qu’il s’agit de faire tourner .
Souvent les échanges, interrogations, reprises concernent la façon de sortir du thème, proposent des solutions pour éviter une succession de solos, ou la répétition trop systématique de certaines phrases. C’est que visiblement les musiciens prennent du plaisir à jouer et veulent transmettre ces sensations.
Tom propose de partir de façon totalement improvisée pour construire peu à peu l’édifice. Au lieu de se constituer un ordre des solos, il s’agirait de les rendre collectifs au contraire. Il devient vite évident que le batteur s’interroge tout particulièrement sur l’architecture des morceaux, tente en permanence de rendre plus vivante les structures .
André Jaume propose ensuite Pour Buddy (Collette), autre souffleur avec lequel il joua et qui fut, pour l’anecdote, le premier musicien noir californien à jouer pour la télé : c’est une autre esthétique, un thème plus classique qui entraînera une discussion sur la structure des thèmes AABA de 32 mesures. Les musiciens s’interrompent, marquent au crayon quelques indications, sur les mesures…
11h 30 A la pause, Drew Gress qui parle un français très correct feuillette le dernier exemplaire des Allumés du jazz , André Jaume sirote son café, content de la tournure des événements et de la belle vitalité de l’ensemble alors que Tom et Rémi continuent à s’entraîner sur une phrase, un accord.
On reprend ce thème plusieurs fois jusqu’au déjeuner.
12h30 Déjeuner au Grand Café qui fait partie de La Manutention : c’est la « cantine » de l’Ajmi, de très bonne qualité . Echanges sur des souvenirs de concerts, anecdotes de la vie de musiciens, évocation de Claude Nougaro qui vient de tirer sa révérence.
14h00 Reprise avec un morceau de Frank Lowe Fushsia Norval qui « se veut étrange mais tourne bien » . Certains suggèrent à Tom d‘être encore plus libre, puisque Drew et André tiennent la cadence. Tom toujours phlegmatique assure sa volonté de jouer « organic ». Ah les subtilités de la traduction. « Play it organic » est une expression essentielle en américain qui pourrait se traduire……. En tous les cas, rien à voir avec « fonctionnel ».
La partition sert à proposer, à rassembler mais tout reste ouvert à ces improvisateurs. Il n’y a jamais de version définitive. La plupart des reprises, en début d’après midi, se feront sur tempo plus rapide. Mais le travail important est la mise en espace . Les Américains se coulent tout de suite dans les compositions et ne font des suggestions qu’à la fin de chaque pièce. C’est dire que l’interaction est rapide, pertinente.
15H 00 Un troisième thème plus free de Rémi Charmasson Sans Histoire introduit une discussion sur la coda.
Puis les musiciens enchaînent avec :
Valse habile (à BILL) d’André Jaume : le thème joué à la flûte induit encore un changement de rythme,de style, le A étant plus long (16 mesures) le pont ne constituant qu’un interlude de 8 mesures…la discussion s’engage encore sur la façon de finir le morceau, retourner sur le si bémol….
Partir au loin : André Jaume assure que sa composition ne sera pas retenue nécessairement, mais qu’il aimerait l’entendre avec ce quartet, « il n’y a personne pour jouer ça en Corse… » Repris finalement dans une version plus rapide, il conclut, ravi : « ça sonne comme je veux ! » on a ainsi ce son chaleureux, ample, charnel.
16H 30 : Pour finir Oubliés, un hommage à Django splendide joué sur un tempo rapide .
17H30 Fin de la première journée. Les musiciens s’estiment satisfaits du travail réalisé.
Avec de tels professionnels, le travail semble facile, tant cela se passe bien , sereinement et efficacement. Les thèmes entendus laissent présager que le disque qui n’a pas encore de titre sera un petit bijou .
Samedi 6 mars : Dernier jour des répétitions
Poursuite des répétitions sur le même rythme et choix des morceaux pour le concert du lendemain au Lauret. On prendra un autre thème de Frank Lowe (Gepetto) et Cassavetes de Gérard Marais . Discussion sur les films et aussi sur la série de Johnny Staccato qui vit débuter le réalisateur alors acteur, série culte dont la musique était signée Elmer Bernstein.
Laissons au guitariste Rémi Charmasson le soin de finir l’article en nous donnant son « bilan » de l’opération :
CODA :
« Les morceaux joués en concert le dimanche soir ont été retenus pour l'enregistrement...
La première prise en studio chez Boris Darley au Studio Lakanal s'est faite le lundi à 11h....
Le même jour à 18h, 80% du futur cd était dans "la boîte".
Le lendemain, 3 nouvelles versions de 3 titres étaient enregistrées pour finir la séance à 15h...
André a joué fabuleusement bien pendant cette aventure. Il est incontestablement un des meilleurs improvisateurs de sa génération avec un son et un jeu de ténor inimitable ...et Boris a une fois de plus prouvé qu'il est un des meilleurs ingénieurs du son de la planète...
16h Batterie et guitare chargées dans mon break, Boris sur le trottoir nous salue et nous réaffirme admiratif, qu'il n'a jamais vécu une séance aussi rapide et efficace. »
Les titres:
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Fushia Norval ( Franck Lowe).
Sans histoire ( Rémi Charmasson)
Cassavetes ( Gérard Marais)
Oubliés ( Rémi Charmasson)
Rock me ( Rémi Charmasson)
White horses (Bernard Santacruz)
Gepetto( Franck Lowe).
Valse habile (André Jaume)
Pour Buddy n'est pas retenu pour des questions de cohérence ...
Entre les titres ont été prévus de courtes saynètes, une dizaine d’impros, des duos très courts, créent les enchaînements , les transitions
Le titre du cd n'est pas encore arrêté, mais l’album devrait sortir dans moins d'un an.
Le quartet tournera en France et en Europe en mai 2005.
Qu’on se le dise !
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