ONJazz records/ L’Autre distribution
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Le premier opus de l’ONJ d’Olivier Benoît[i] ? Un double CD avec des bonus tracks, une suite parisienne en 6 parties, soit plus de deux heures de musique. Aucune note de pochette[ii] mais un montage de superbes photos de Benjamin Trancart, censées représenter Paris de nuit, la place de la Concorde, les rives de la Seine et une statuaire qui évoque une fontaine de place royale...
Le propos de cet Europa Jazz Paris est de présenter en un « work in progress » nomade, sur les quatre ans du mandat du compositeur Olivier Benoît, une série de portraits de villes. Quoi de plus naturel que de commencer par Paris, la ville-lumière, le lieu moderne de l’expérience poétique, artistique? Relier la musique à la découverte actuelle de la ville, voilà une extraordinaire matière à une succession de tableaux inspirés par « l’effervescence artistique et la diversité d’invention de la scène musicale », les réalisations architecturales passées et présentes, l’urbanisme contemporain. Il est vrai que le sens de la respiration et de la circulation, les flux générés par l’activité humaine sont essentiels dans la compréhension du tissu urbain. On retrouve d’ailleurs cette conception urbanistique dans la musique, échanges et autres interactions entre tous les musiciens. C’est à une vision actuelle, moderne que nous sommes confrontés avec ce nouvel orchestre intergénérationnel, composé de 11 musiciens dont Bruno Chevillon (également conseiller artistique) et Eric Echampard, entourés de jeunes musiciens.
Voilà une version différente certes de l’ONJ précédent de Daniel Yvinek, mais toujours animée d’un authentique « esprit » jazz européen. Une sorte de cohérence, de continuité qui installe plus confortablement encore le principe d’un orchestre national de Jazz. Un attelage coloré et composite, emmené à un rythme soutenu par la paire rythmique superlative qu’il n’est plus nécessaire de présenter, un alliage de toutes les musiques actuelles avec cet éternel mélange d’écriture et d’improvisation.
On retraverse en tous sens les artères de la capitale, ville heureuse, où, à la différence d’une Métropolis bipolaire, tout paraît aérien, léger dans cet ensemble aux tonalités majeures, ensoleillées. Les partenaires mélodiques comme harmoniques se dévoilent : envolées lyriques, exubérantes de la trompette de Fabrice Martinez, salut piaffant du trombone de Fidel Fourneyron, interventions maîtrisées de Théo Ceccaldi au violon et alto, claviers aux multiples effets de l’expérimentateur Paul Brousseau et « piano étendu » subtilement amené par la fidèle Sophie Agnel.
Olivier Benoît mène finement le jeu, très discret à la guitare, mais on ressent qu’une certaine jubilation a dû le diriger, électrisant à son tour ses partenaires. Il situe ce projet complexe, pharaonique, au croisement de nombreuses influences sans abuser des collages, accélérations et déséquilibres permanents usuels dans ce genre d’entreprise, avec cependant assez de contrastes pour que chaque musicien intervienne avant de laisser à d’autres l’espace de la respiration créative.
Cette vision urbaine n’a rien à voir avec le prélude urbain minéral de West Side Story ou les tableaux picturaux de Vincente Minnelli / George Gershwin dans Un Américain à Paris. Point de cartes postales touristiques non plus, mais cette musique projette dans l’univers passionnant d’Olivier Benoît et devient la B.O d’un film à l’énergie phénoménale, sous-tendue par l’expression exaltée mais jamais hystérique des soufflants. Citons au passage ceux non mentionnés auparavant, à savoir Jean Dousteyssier (cl), Alexandra Grimal (ts, ss) et Hugues Mayot (as). Une heureuse complémentarité de styles (avec une prédominance rock cependant ) confère à l’album son relief singulier où les musiciens savent tisser un langage musical commun qui soutient l’ensemble.
Ce décloisonnement bienvenu est bien l’une des plus belles réussites de cet album électrisant. La musique tient en haleine jusqu’au final. La toute dernière pièce, le dernier bonus du double Cd que vous n’entendrez pas forcément sur scène, formerait d’ailleurs un final exemplaire à ces tableaux parisiens.
Si vous n’avez pas l’occasion de voir ce programme en live, sachez que la musique écoutée est admirablement mise en valeur par le travail de l‘ingénieur son Boris Darley et mérite de remplir son rôle d’exposition de nouveaux talents, représentants de cette musique aimée. Saluons en tous les cas, le démarrage de ce nouvel ONJ.
Sophie Chambon
[i] Olivier Benoît fut pendant quatorze ans à la tête de Circum Grand Orchestra et La Pieuvre, du collectif lillois Muzzix que l’on a souvent chroniqué aux DNJ
[ii] Et ce sera une de mes seules réserves, pourquoi ne pas donner quelques rudiments d’explication sur l’ordre des pièces, leur fonction ?