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11 février 2022 5 11 /02 /février /2022 16:22
IDANTITÂ FLORIAN FAVRE

IDANTITÂ FLORIAN FAVRE

Piano, piano préparé, voix

 

Sortie le 21 janvier 2022

CONCERT DE SORTIE 8 Février au SUNSET

 

www.florianfavre.com

 

Traumton records Traumton - Label, Musikproduktion & Studios

 

Florian Favre a déjà beaucoup enregistré dans toutes les configurations possibles, en solo, duo, avec son propre trio créé en 2011 et en quintet. Huit albums à son actif et des projets très variés comme ce Neology dans lequel ce pianiste Suisse s'essaie au slam.

Il est certain que pendant le premier confinement, il y a bientôt deux ans, nous nous sommes tous interrogés sur le futur, la vie d’après et les artistes avec plus d’acuité, car ils ont vécu cet isolement en n’ayant souvent d’autre ressource que de travailler seul leur instrument.

Lors de cette période d’angoisse, propice à toutes les interrogations existentielles, Florian Favre est retourné chez lui, dans la région de Fribourg et s’est mis à travailler un solo que nous écoutons aujourd’hui, Identitâ, après son précédent Dernière Danse en 2014.

Sur les douze titres de cet album, quatre compositions sont de sa plume dont la première éponyme, mais il est allé puiser aux sources du pays natal en adaptant des compositions qui parlent au coeur des Helvètes, celles du maître de chapelle Joseph Bovet. Ce nom ne nous évoque pas grand chose, à nous Français, mais si je vous dis “le vieux chalet”…un fredon resurgira, une madeleine pour moi, une boîte à musique que mes parents avaient acheté en Suisse justement, lors d’un séjour dans le canton de Fribourg. Un chalet d'où sortait cette musique qui égrènait :

"Là-haut sur la montagne, était un vieux chalet

Mur blanc toit de bardeaux

Devant la porte un vieux bouleau..."

Terriblement exotique pour moi mais le pianiste en donne une version enlevée qui transfigure la mélodie simple de cette chansonnette, avec un final très expressif.

Ce sont des histoires de lutins, de montagnes, d’exil, de beauté naïve sur un beau pays, un imagnaire collectif revisité afin de monter qu’une tradition, figée est une tradition morte”...Objectif réussi, on ne saurait mieux dire.

C’est après la réussite esthétique d’un petit film tourné sur le lac de Gruyère, pour le thème populaire “Adyu mon bi payi” que Florian Favre a recherché d’autres morceaux entendus et chantés parfois jusqu'au ressassement dans les chorales,  selon la tradition dans chaque village du canton de Fribourg. Il sait faire résonner son piano de son jeu alerte, vigoureux, jamais mièvre et rendre ces mélodies tout de suite accrocheuses.

L’album est conçu avec soin dans une intelligente alternance des thèmes: sur quelques pièces de sa composition, il cherche et obtient ce son de caisse claire en triturant, farfouillant, bricolant dans le ventre de l’instrument. Il se sert d'un piano préparé, avec l’écharpe dont il ne se défait jamais, coincée dans les cordes par exemple sur “Dont’ burn the witch”, morceau en 5/8 plus percussif de ce fait, aux accents métalliques, aux motifs secs et répétitifs.

Une seule composition est de Cole Porter “I Got a crush on you” qu’il délivre avec humilité sur un tempo lent, qu’il revisite en explorant la part de l’ombre d’un amour peut être non partagé. Rien à voir avec la version solaire de Sinatra, sûr de lui quand il proclame son béguin. Et cette interprétation est sans doute un hommage plus juste au véritable tempérament du songwriter américain.

Si Florian Favre avoue travailler comme un fou les standards américains et apprendre tous les jours de la fréquentation des grands pianistes comme Oscar Peterson ou Bill Evans, il confie que les Suisses n’osent pas s’accaparer un patrimoine musical qui ne leur appartient pas. Une question de légitimité et quand il est question de racines et d’identité, autant aller puiser dans les ressources  de son pays. Une démarche intègre qui me fait songer au trio cent pour cent helvète de Humair/Blaser/ Kanzig dans leur 1291. L’Amérique reste un territoire fantasmé cependant, une source d’inspiration et s'il existe des convergences, Florian Favre s'amuse à les traiter finement  dans “Our cowboy”, en pensant aux gardiens de troupeaux suisses. Avec une interpétation chaloupée, dansante, un certain swing, on est dans un film, un western dans les alpages...

Ecouter ses émotions, s’affranchir peut être de ce que l’on ne veut pas être, aller plus loin, Florian Favre ne se limitera pas au seul folklore suisse : il rêve d’ expansion peut-être, en introduisant des instruments de cultures différentes comme le oud, de se retrouver non plus au coeur mais à un carrefour d’identités.

Lyrique mais jamais sentimentale, atmosphérique, fougueuse, cette musique semble le fait d’un groupe et non d’un seul homme. Le pianiste a su admirablement gérer les qualités harmoniques, mélodiques et rythmiques de son instrument, swingant comme un combo pour le moins dans “La fanfare du printemps”, un titre qui est une gajeure en solo!

Avec une grande sincérité dans son engagement pianistique, Florian Favre sort un album combatif et plein d’espoir. Avec cette version triste, romantique de Cole Porter qu’il a gardée pour la fin, il évolue en équilibre sur des émotions pures, modifiant les climats de sorte que l'album s’écoute d’un trait. Recette instinctive et pourtant réfléchie que l’on adopte instantanément. On se désaltère à cette source fraîche, ayant envie d’y replonger très vite.

Sophie Chambon

 

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8 février 2022 2 08 /02 /février /2022 19:29

Sébastien Texier (saxophone alto), Gautier Garrigue (batterie), Henri Texier (contrebasse)

Les Lilas, 27 février 2021

Label Bleu LBLC 6743 / l'autre distribution

 

Un nouvel exemple des musiques nées du confinement : au printemps 2020, le contrebassiste a pris l'habitude de jouer régulièrement avec son fils Sébastien, confiné comme lui, et qui réside dans le même village de l'Essonne. Et le répertoire s'est naturellement tissé, entre des standards du jazz et d'anciennes compositions. À l'orée du troisième confinement, ils se sont retrouvés sur la scène du Triton pour un concert sans public, et avec le renfort du batteur Gautier Garrigue, partenaire régulier depuis plus de 5 ans. Un concert diffusé en direct sur France Musique dans l'émission 'Jazz Club' d'Yvan Amar, concert prolongé d'une enregistrement pour Label Bleu. Le répertoire, et le disque, sont à l'image des libertés que donne cette formule du trio : plaisir des standards, joués dans la richesse de leur évidence mélodique (Round About Midnight, Besame Mucho) ou abordés 'à la hussarde' en entrant directement dans l'improvisation et la paraphrase, en esquivant l'exposé du thème. Sur What Is This Thing Called Love, Sébastien Texier pratique cet exercice de voltige, cher au regretté Lee Konitz, et qui consiste, dès la première mesure, à se jeter dans l'inconnu avec pour seul filet la trame harmonique. Avec un thème du batteur, un autre du saxophoniste, et deux anciennes compositions du contrebassiste, c'est un programme qui fait vibrer l'essence même de cette formule instrumentale : clarté des lignes, liberté d'une interaction rendue plus grande encore par un effectif intime, avec un espace privilégié pour l'expressivité et le lyrisme. Le nouveau thème composé par Henri Texier, Bacri's Mood, est une évocation du comédien Jean-Pierre Bacri, mort quelques semaines avant l'enregistrement du disque. Comme une touche supplémentaire de cette belle mélancolie qui traverse quelques plages du disque, et nous va droit au cœur.

Xavier Prévost

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Le trio jouera le 9 février à Auxerre (au Silex), le 12 à Paris (Théâtre de l'Athénée) et le 25 à Tours (Petit Faucheux)

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Un avant-ouïr sur Youtube

 

Sur le site du Triton, une entrevue du contrebassiste avec Stéphane Olivier

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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 19:35

Deux nouveaux CD, deux rencontres de leaders, et deux albums marquants. Pour OGJB Quartet, c'est le deuxième disque, après « Bamako », enregistré trois ans plus tôt. Et pour l'autre CD, c'est la réunion de trois musiciens qui, à des moments différents, ont été les partenaires de Cecil Taylor

The OGJB QUARTET «Ode to O»

Oliver Lake (saxophones alto & soprano), Graham Haynes (cornet, electronique), Joe Fonda (contrebasse), Barry Altschul (batterie, percussion)

New York, 7 & 8 juin 2019

TUM Records TUM CD 058 / Orkhêstra

 

Chaque membre apporte des compositions, que complètent des titres conçus collectivement. La première plage, qui est le thème-titre de l'album, est signée Barry Altschul. C'est un hommage à Ornette Coleman, dont le souvenir nourrit une partie de cette musique. Au fil des plages tend en effet à prévaloir une conception tendue de la musique, sur le plan mélodique comme dans les harmonies. Et ce goût d'aller loin, jusqu'au bord du point d'équilibre, à la limite entre la continuité du rythme et l'explosion en vol. On trouve aussi, comme chez Ornette, des thèmes lents et mélancoliques, dont les phrases déchirées marquent la fin d'un monde musical et sa mutation. Le tout respirant un esprit de profonde liberté, qui s'épanouit encore dans les deux plages totalement improvisées. C'est à la fois un manifeste pour une histoire assumée (celle du free jazz) et pour son prolongement dans le présent ; et, à ce double titre, précieux.

 

ANDREW CYRILLE, WILLIAM PARKER & ENRICO RAVA «2 Blues for Cecil»

Enrico Rava (bugle), William Parker (contrebasse), Andrew Cyrille (batterie)

Paris, 1er et 2 février 2020

TUM Records TUM CD 059 / Orkhêstra

Enregistré à Paris (studio Ferber), au lendemain d'un concert au festival Sons d'Hiver, ce disque restitue les traces d'une aventure doublement commune : celle que fut, pour chacun d'eux, le fait de jouer avec Cecil Taylor, et celle aussi qui consiste à se rassembler dans le souvenir de ces expériences pour donner naissance à de nouvelles musiques.

©Luciano Rossetti 

 

Quatre improvisations, dont deux blues (hétérodoxes et pourtant reliés à l'esprit de cette musique, et au sens de l'évocation de Cecil Taylor), et deux digressions très libres, chargées de l'esprit du jazz. Et aussi des compositions de chacun d'eux, où l'individualité se fond dans le projet collectif. Pour conclure, ce sera un standard, My Funny Valentine, peuplé par le souvenirs des fantômes (Miles, Chet) et pourtant doté d'une singularité neuve. Le grand art du standard en somme : pétrir le passé pour un horizon encore inédit. Bref ce trio est vraiment une belle rencontre, pour un grand moment de musique.

Xavier Prévost

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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 17:20
LE DON    PABLO CUECO

 

LE DON PABLO CUECO

Dessins de ROCCO

 

Qupé éditions

www.qupe.eu

 

Don mystérieux, Loi unique, Éthique sanguinaire, Mission magnifique, Cycles mortels, Destin impitoyable... Ces mémoires d'un tueur, adepte forcené de la contre-vélorution, enchanterons le mal-pensant qui sommeille en chacun de nous. Un roman noir à l'humour outre-noir.

 

Le Don est un livre original et vraiment très drôle. Jubilatoire même, passée la surprise de premiers chapitres déroutants, voire glaçants qui exposent le “coming out” d’un tueur en série, en masse serait plus juste, qui met au point une école du crime et réussit sa petite entreprise de démolition en chaîne si j’ose dire car cela commence avec l’élimination de la catégorie des cyclistes.

Une sévère opération de nettoyage à sec dès le début et la cadence ne fait que progresser, à force d’ingéniosité et de travail dans une frénésie exponentielle, une folie des grandeurs qui a tout du plan de masse.

Le tableau est saisissant, grinçant, essoré de toute compassion pour les victimes, même innocentes qui ne le  sont peut-être  pas tellement, dans le fond. Et le tueur et son armada a vite des circonstances exténuantes. Se livre-t-il à quelques règlements de compte en dézinguant de plus en plus de socio-types ? 

Notre tueur ou plutôt notre auteur excelle à mettre en jeu autant qu’en joue notre histoire sociale. Il parvient à donner forme et épaisseur à un projet extravagant avec une jouissance manifeste quand il va voir du côté de l’humaine condition dans ses aspects les plus tordus. Il y a même du militantisme chez celui qui finit par devenir le Robin des Bois des EHPAD- c’est la cause la plus longuement développée dans ce roman et l’actualité toute récente souligne une certaine justesse de ses observations. Ses petits vieux, vite intouchables, cabossés par la vie et démolis un peu plus en institution, sont bien résolus à ne pas se laisser faire, à mourir dignement c’est-à-dire rapidement et proprement s’ils sont condamnés ou à se battre, en devenant les parfaits disciples du maître. 

La réussite majeure de l'auteur, son tour de force est de se tenir au plus près des émotions et de la colère de son personnage principal. Ce qui fait qu’il n’hésite pas à le rendre tour à tour détestable, déroutant dans son fonctionnement psychologique, et même attachant car il ne ménage pas les rebondissements : il y a du feuilleton dans la succession de ces 41 courts chapitres ( de La révélation première-rien à voir avec Le Don nabokovien, jusqu’à La canonisation précédant L’épilogue logique) avec un suspense appelant la suite.

On sent que Pablo Cueco biche en clignant de l’oeil à ses lecteurs! Il aime le polar, il y a fait ses classes, on le dirait du moins, pourtant ses deux livres précédents n’ont rien à voir avec le genre, Pour la route et Double vue chroniqués sur le site. Dans son petit théâtre social, on voit assez vite où vont ses préférences, car une certaine empathie avec son tueur le mène au choix du “je”. ll devient vite difficile de ne pas éprouver une admiration stupéfaite pour cette mauvaise graine, ce gibier de potence et ses méthodes expéditives, radicales mais si ingénieuses. A la manière d’un Lupin, expert de la rocambole, d’un Lacenaire, il met au point un art du geste parfait qu’il peaufine en permanence.

Comment alors ne pas s’inquiéter de ce qui va lui arriver? On pressent en effet que plus dure sera la chute ( pardon du jeu de mots) et qu’il va se faire prendre, au terme d’une cavale ingénieuse, d’une fuite par les toits qui est proprement cinématographique. Mais par un rebond dont ce maître conteur a le secret, et avec l’aide d’un “bavard” inspiré, on évite un dénouement tragique et moral qui aurait tout gâché! Pablo Cueco dont les convictions anarchistes s’expriment au long du livre mêle finement roman policier à la Jim Thomson (The killer inside me), néo-polar au sens de Manchette auquel on peut penser par la description au scalpel de certaines exécutions, humour noir et révolte sociale.

Le style, vif et musclé ne dédaigne pas les belles phrases et les énumérations à la Perec. Autrement dit, Cueco fait des phrases mais n’oublie pas de raconter une histoire formidablement drôle. Un roman très mauvais genre plus que conseillé de cet artiste qui a toutes les cordes à son arc ( ou son zarb plutôt)!

 

Sophie Chambon

 

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4 février 2022 5 04 /02 /février /2022 09:24

Bill Charlap (piano), Peter Washington (contrebasse), Kenny Washington (batterie).
Studio Sear Sound, New-York. 24-25 mai 2021.
Blue Note/Universal.

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Un quart de siècle! Le pianiste Bill Charlap joue en trio avec Peter Washington, contrebassiste et Kenny Washington, batterie, depuis 1997. Et même s’il n’existe aucun lien de parenté entre Peter, californien, et Kenny, new-yorkais, ces trois là s’entendent et s’écoutent comme « larrons en foire ».

 

Avec le temps, ils sont parvenus à un état de grâce fait de lyrisme, de sensibilité, cet art de dire tant avec si peu. Leur dernier album s’intitule « Street of Dreams », une composition de Victor Young datant de 1932.

 

Les autres titres enregistrés fleurent bon aussi le répertoire classique du jazz et des musiques improvisées, relevant ainsi de l’univers de Duke Ellington (Day Dream, œuvre co-signée avec Billy Strayhorn, et The Duke, hommage de Dave Brubeck) ou de Michel Legrand (What Are You Doing The Rest of Your Life, de la bande originale de The Happy Ending en 1969).

 

Tout effet est banni dans cet enregistrement soigné par un ingénieur du son de référence (James Farber), on se laisse emporter au fil des notes. Que demander de plus ?

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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2 février 2022 3 02 /02 /février /2022 21:23

Joe McPhee (saxophones ténor & soprano), voix), Michael Bisio (contrebasse), Fred Lonberg-Holm (violoncelle), Juma Sultan (percussions)

 Hurley (État de New York), 26 janvier 2021

Rogue Art ROG-0114 CD

https://roguart.com/product/the-sweet-spot/182

 

Comme une explosion cathartique après la contention provoquée par la pandémie. Dès la première plage, percussions et pizzicati donnent le ton d'un courant libérateur qui va circuler tout au long du disque, puis le sax soprano fait une entrée en jubilation. Le ton est donné, la musique se libère, une fois de plus, d'un joug temporaire (un temps très long....). Le titre de l'album suggère que l'on se trouve au point d'écoute optimal. Effectivement, on est aux premières loges pour déguster cette énergie créative et musicale. Improvisations bien sûr, mais aussi thèmes proposés par les membres du groupe, et aussi des emprunts aux musiciens révérés. Après une impro en trio sans le le sax, le quartette joue un thème de Charlie Haden, structuré de bout en bout autour d'un capiteux son de basse. À la plage suivante le violoncelle prend la main et entraîne ses partenaires à sa suite. Vient le thème-titre, où la voix et le saxophone de Joe McPhee se font incantatoires. Et le CD se conclut par une composition en hommage à Django, signée Henry Grimes qui avait enregistré ce titre en 1965 pour le label ESP avec Perry Robinson et Tom Price : éloge de la liberté, de la première à la dernière plage. 

Simultanément Rogue Art assure la diffusion dans notre pays d'un disque du tromboniste Steve Swell, sous le label Silkheart, en Hommage à Luciano Berio, entre liberté absolue et cadre formel élaboré. Avec lui la vocaliste Ellen Christi, les saxophones de Marty Ehrlich & Sam Newsome, le marimba de Jim Pugliese, et la batterie de Gerald Cleaver. Autre manière de dire la liberté en musique

https://roguart.com/product/steve-swells-hommage-x-3/188

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Xavier Prévost

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1 février 2022 2 01 /02 /février /2022 09:53

Editions Les Soleils bleus. Novembre 2021.
Couverture de Philippe Ghielmetti.

« Le vent du jazz m’emportait déjà au large ». Ainsi s’achève « De la musique plein la tête », chronique échevelée des années pop, funk et discos vécues par Pierre de Chocqueuse, dans le désordre batteur amateur pour soirées mondaines, chroniqueur dans des journaux spécialisés, attaché de presse, responsable de label. A cette époque là, à grands traits du milieu des sixties à la fin des seventies, l’actuel auteur infatigable du Blog de choc (blogdechoc.fr) respecté et craint dans la jazzosphère et pilier de l’Académie du Jazz au poste-vigie de secrétaire général, naviguait (et pas seulement à Paris) dans cet univers des musiques populaires anglo-saxonnes.

Le récit donné à la première personne, savoureux, drôle, nous fait découvrir un jeune homme de bonne famille déroutant, désespérant son père par sa vie bohème sur les bancs des écoles privées (on pense au film-culte de Claude Zidi, les Sous doués), et de l’université (le droit à Nanterre après 68).

 

Son entrée dans « le monde de l’entreprise » nous permet de pénétrer dans les coulisses des médias (Best, Rock & Folk), les bureaux des maisons de disques (Polydor). Autant d’occasions d’évoquer des rencontres souvent épiques (Amanda Lear, Gloria Gaynor, Ringo Starr), pleine d’imprévu, et d’approcher la drôle de mécanique de la fabrique des succès.

Mais le jazz commençait à instiller son venin dans la tête (et le cœur) de notre chroniqueur. Il avait rencontré en 1977 Maurice Cullaz (« petit monsieur rondouillard aux yeux rieurs ») vendant Jazz Hot sur le trottoir de la salle Pleyel où se produisait Al Jarreau, ne se doutant nullement qu’il présidait alors l’Académie du Jazz. Il avait donné le bras à Ella Fitzgerald pour monter sur scène au Palais des Congrès.

Passant de l’écoute aux actes, il concocta pour Polydor une sélection, « The Jazz Rock Album » (1979) comprenant la crème du genre (Return to Forever avec Chick Corea et Stanley Clarke, George Benson, Tony Williams, John McLaughlin…). L’aventure chez Polydor prenait fin, notre témoin-acteur pouvait à loisir entamer sa période « jazz à 100  % » toujours en cours au début de cet an 2022. Et ce (l’auteur de ces lignes peut en témoigner), sans abandonner cet « esprit rock » qui s’exprime tout au long de ce périple de 259 pages (index bien utile compris).

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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29 janvier 2022 6 29 /01 /janvier /2022 17:42
BENOIT MOREAU TRIO          REVE PARTY

 

BENOIT MOREAU TRIO REVE PARTY

 

Sortie 21 janvier 2022

Inouïe Distribution

 

Benoît Moreau guitare/compositions  Olivier Pinto contrebasse Raphaël Sonntag batterie

Issus du Conservatoire National à Rayonnement Régional Pierre Barbizet de la cité phocéenne, les musiciens du trio du guitariste Benoît Moreau, connus de la scène Marseillaise, sont les acteurs d’un premier album prometteur Rêve Party.

On est vite frappé par l’homogénéité du son, l’équilibre constant des voix, le souci d’un chant mélodieux, dans ce triangle équilatéral parfait (guitare,contrebasse, batterie ) dès le “Stellar” originel qui prend jusqu’au crescendo final. Tout semble couler de source sous les doigts du guitariste qui sait doser les effets de réverb et de saturation, ne jouant jamais d’éclats trop tranchants ni de riffs torturés fréquents avec l’électrique.

Benoît Moreau installe avec cette suite de huit morceaux qui évoluent sans se perdre comme dans cet “Encore” qui débute pop pour virer à un rock plus énergique, ou flottant comme dans la ballade étrange, suspendue “Aurinko”. “Day Fever” est contre toute attente plutôt raisonnable, alors que le titre qui sonne résolument jazz est ce “Blues boppers” dansant de façon plus endiablée.

Si le guitariste est un passionné et virtuose du skate, il semble loin des acrobates-joueurs un peu trop impulsifs. Peut-être compulsif dans l’utilisation de tout un jeu de figures dans l’espace sonore ( l’équivalent des “tricks”du skate), il exploite les silences, occupant l’espace sonore avec des variations subtiles d’intensité.

La musique de ce Rêve Party a un style certain, une  qualité introspective traversée d’un souffle original. C'est une épure accrocheuse par la clarté des plans et des traits, les articulations soigneusement amenées, la fluidité et sophistication du phrasé.

Ce disque d’une juste durée, cohérent dans l’enchaînement des titres, creuse une veine souvent instrospective, jamais froide, ni sentimentale, distillant un climat onirique, aux effets souvent hypnotiques. La rythmique n’y est pas étrangère : jamais dans l’énergie brute, elle suit, soutient, relance en parfait accord. La pulse est tenue vigoureusement mais avec finesse tout du long, le tempo se nourrit d’un groove moelleux, délicieusement triste parfois (“5321”), la contrebasse sinue souterrainement sans précipitation avec une intensité palpable, magnétisante.

Doté d’une musicalité certaine jouant de l' alliage heureux des timbres, cette première réalisation est une réussite. L’album se referme avec une douceur et une grâce qui détourne astucieusement le titre “She says I talk too much about my music”.

 

 

Sophie Chambon

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28 janvier 2022 5 28 /01 /janvier /2022 09:44

Fred Hersch (piano, compositions), Drew Gress (contrebasse), Jochen Rueckert (batterie), Regento Boccato (percussions) et le Crosby Street String Quartet (Joyce Hammann, Laura Seaton, violons; Lois Martin, alto; Jody Redhage Ferber, violoncelle).
Samuraï Hotel. Astoria (NY) août 2021.
Palmetto Records/L’autre distribution.
Sortie le 28 janvier en cd et vinyl.
En concert au Bal Blomet (75015) du 11 au 14 mai.


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Nous étions en novembre 2017. Fred Hersch nous confiait : « J’ai 62 ans. Je n’ai plus rien à prouver à qui que ce soit. Je fais seulement ce que je fais ». Serein, épanoui, le pianiste américain n’a rien perdu de son état d’âme durant la (trop) longue période de confinement entamée voici deux ans.


Seul à son domicile rural de l’état de New York, Fred Hersch avait donné rendez-vous chaque soir à ses fans sur la toile pour un concert intime, enregistrements publiés en 2020 ("Songs from Home" -Palmetto). Un exercice qui passe aujourd’hui pour une mise en oreille quand sort une suite composée dans le même environnement bénéficiant d’un quatuor à cordes. Le pianiste se souvient de ses jeunes années où à Cincinnati il écoutait le prestigieux Quatuor Lassalle et de sa formation initiale qui le conduisit plus tard à consacrer un album ("The French Collection : Jazz Impressions of French Classics". Angel/EMI) à Ravel, Debussy, Fauré ou encore Satie.

Que le lecteur-auditeur ne se méprenne pas. The Sati Suite ne constitue pas un hommage au compositeur des Gymnopédies et autres Enfantillages pittoresques. Fred Hersch a trouvé son inspiration dans la méditation bouddhique Vipassana où le terme sati correspond à la pleine conscience. Les huit mouvements proposés, de sa propre main, sont autant d’incitations à la réflexion, à la méthode nécessaire pour y parvenir, en contrôlant notamment sa respiration dans le titre « Breath by Breath ». Cette introspection à laquelle nous invite Fred Hersch se conclut par un hommage à Robert Schumann, titré Pastorale.

Inclassable, aérien, intime, d’un charme par moment suranné, « Breath by Breath » révèle une autre facette de la personnalité de Fred Hersch, musicien rare.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

En concert au Bal Blomet (75015) du 11 au 14 mai.
Artiste en résidence en mars à Leuven (Belgique) www.leuvenjazz.be, Fred Hersch se produira également en Italie notamment en duo avec le trompettiste Enrico Rava en mars (Bergame, le 18 et Rome le 20).

 

©photo X. (D.R.)

 

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23 janvier 2022 7 23 /01 /janvier /2022 17:00
RHODA SCOTT   LADY ALL STARS
RHODA SCOTT   LADY ALL STARS

RHODA SCOTT LADY ALL STARS

 

Sortie d’album le 15 janvier 2022

Label SUNSET RECORDS/ BACO

 

Un septet féminin qui entoure la célèbre organiste? On croit rêver, la chose est assez rare pour qu’on s’interroge une fois encore sur la place des femmes dans le jazz. Les musiciens de jazz ont toujours aimé les femmes auxquelles ils ont consacré fort aimablement de nombreuses compositions, cherchant celles qui font rêver ou qui sont inspiratrices. Sans vraiment leur laisser une autre place. Dans l’histoire du jazz, il y eut pourtant des femmes formidables, souvent pianistes, car il faut bien l’admettre, les anches et les cuivres n’étaient pas prédominantes. Si on admet que la femme est un homme comme les autres, dans cet univers masculin pour ne pas dire machiste, les choses évoluent et les jazzwomen n’ont rien à envier à leur petits camarades.

L’organiste aux pieds nus, Rhoda Scott, plus de quatre vingt ans, installée en France depuis 1968, est l’une de ces pionnières qui continua d’innover en créant dès 2004 un premier Lady Quartet, avec Sophie Alour au saxophone tenor, Airelle Besson à la trompette et Julie Saury à la batterie. Puis l’arrivée de la saxophoniste alto Lisa Cat Berro, se substituant à Airelle Besson, transforma le groupe en un quartet à deux saxophones. Ces musiciennes ayant l’étoffe de leaders, avec des projets définis et leur propre groupe, la formation devint un collectif selon les disponibilités de chacune, accueillant de nouvelles venues, Géraldine Laurent et Anne Pacéo, puisque l’idée était de garder un personnel exclusivement féminin. Du souffle et une puissante rythmique! Cet septet girl power accompagnant une véritable lady du jazz, qui prit des leçons d’harmonie et de contrepoint auprès de la grande Nadia Boulanger, fut nommé Lady All Star par Stéphane Portet, le patron du club Sunset/ Sunside de la mythique rue des Lombards. Ce club ouvert en 1982, essentiel à la jazzosphère, pas simplement hexagonale, ouvert 7 jours sur 7, fête fin janvier ses 40 ans au Châtelet, et dans ce qui sera une fête illuminant comme dans le standard (sublimé par Fred Astaire, Chet Baker) "the night and the music", le groupe de Rhoda Scott a sa place!

Rhoda Scott qui a toujours ses entrées au club a d’aillleurs joué en quartet le 31 décembre dernier. Et c’est sur le label du Sunset que fut enregistré en live cette formation cuivrée et musclée, qui ne manque pas de charme, tant il est vrai que cet équipage a toutes les qualités, bousculant joyeusement un certain ordre établi sans renoncer à la tradition du jazz dans l’interplay et l’improvisation collective.

Ecoutons donc cette wild party de  HUIT musiciennes qui font le jazz français actuel. L’album est emblématique de sensibilités et de jeux différents et complémentaires qui concourent à une mise en oeuvre collective autour de huit compositions sans recyclage, un matériau neuf pour cette rencontre au sommet de musiciennes aguerries, Rhoda Scott et Lisa Cat-Berro apportant deux titres, Julie Saury, Sophie Alour, Airelle Besson et Paceo Anne un seul, sans oublier les interventions décisives des saxophonistes baryton et alto, Céline Bonacina et Géraldine Laurent. Un mariage des timbres des plus heureux que tous ces cuivres, anches donc bois qui se réajustent en permanence. Les musiciennes surgissent, se glissent et se fondent, plus qu’elles ne s’effacent dans la masse orchestrale. Nous ayant définitivement conquis, elles emmènent sans effort, partageant l’affiche de la barefoot contessa, avec une complicité et un respect mutuels concourant à la réussite musicale de l’ensemble. Du lyrisme certes mais du rythme et de la vigueur impulsée aussi par nos deux batteuses, complétée par les ponctuations du baryton et le jeu de la ligne de basse de l’orgue Hammond grâce au pédalier. Pas vraiment de ballades sentimentales, seuls “Les châteaux de sable” d’Anne Paceo introduisent un climat délectable mais élégiaque. Les thèmes, accrocheurs, sont d’une efficacité certaine, mélodies lumineuses à la tension très moderne, que l’on a envie très vite de retenir et de fredonner. On aime toutes ces compositions sans distinguo “City of the rising sun”, “Escapade”, “I wanna move” qui contribuent au bel équilibre de l’album. Rhoda Scott ouvre le bal avec un premier thème de son cru, “R&R” où sa vitalité et sa créativité sont intactes, son chant hérité du blues et du gospel privilégiant conviction et urgence qui fusionnent en harmonie. Elle ferme la marche avec un “Short Night Blues”, où elle se déchaîne, soutenue par de subtils unissons et des chorus toujours vifs. C’est enlevé, allègre et ça swingue du tonnerre avec l’orgue qui ronfle de plaisir. Plus que réjouissant et hautement conseillé pour oublier ces temps difficiles!

 

Sophie Chambon

 

 

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