IDANTITÂ FLORIAN FAVRE
Piano, piano préparé, voix
Sortie le 21 janvier 2022
CONCERT DE SORTIE 8 Février au SUNSET
Traumton records Traumton - Label, Musikproduktion & Studios
Florian Favre a déjà beaucoup enregistré dans toutes les configurations possibles, en solo, duo, avec son propre trio créé en 2011 et en quintet. Huit albums à son actif et des projets très variés comme ce Neology dans lequel ce pianiste Suisse s'essaie au slam.
Il est certain que pendant le premier confinement, il y a bientôt deux ans, nous nous sommes tous interrogés sur le futur, la vie d’après et les artistes avec plus d’acuité, car ils ont vécu cet isolement en n’ayant souvent d’autre ressource que de travailler seul leur instrument.
Lors de cette période d’angoisse, propice à toutes les interrogations existentielles, Florian Favre est retourné chez lui, dans la région de Fribourg et s’est mis à travailler un solo que nous écoutons aujourd’hui, Identitâ, après son précédent Dernière Danse en 2014.
Sur les douze titres de cet album, quatre compositions sont de sa plume dont la première éponyme, mais il est allé puiser aux sources du pays natal en adaptant des compositions qui parlent au coeur des Helvètes, celles du maître de chapelle Joseph Bovet. Ce nom ne nous évoque pas grand chose, à nous Français, mais si je vous dis “le vieux chalet”…un fredon resurgira, une madeleine pour moi, une boîte à musique que mes parents avaient acheté en Suisse justement, lors d’un séjour dans le canton de Fribourg. Un chalet d'où sortait cette musique qui égrènait :
"Là-haut sur la montagne, était un vieux chalet
Mur blanc toit de bardeaux
Devant la porte un vieux bouleau..."
Terriblement exotique pour moi mais le pianiste en donne une version enlevée qui transfigure la mélodie simple de cette chansonnette, avec un final très expressif.
“Ce sont des histoires de lutins, de montagnes, d’exil, de beauté naïve sur un beau pays, un imagnaire collectif revisité afin de monter qu’une tradition, figée est une tradition morte”...Objectif réussi, on ne saurait mieux dire.
C’est après la réussite esthétique d’un petit film tourné sur le lac de Gruyère, pour le thème populaire “Adyu mon bi payi” que Florian Favre a recherché d’autres morceaux entendus et chantés parfois jusqu'au ressassement dans les chorales, selon la tradition dans chaque village du canton de Fribourg. Il sait faire résonner son piano de son jeu alerte, vigoureux, jamais mièvre et rendre ces mélodies tout de suite accrocheuses.
L’album est conçu avec soin dans une intelligente alternance des thèmes: sur quelques pièces de sa composition, il cherche et obtient ce son de caisse claire en triturant, farfouillant, bricolant dans le ventre de l’instrument. Il se sert d'un piano préparé, avec l’écharpe dont il ne se défait jamais, coincée dans les cordes par exemple sur “Dont’ burn the witch”, morceau en 5/8 plus percussif de ce fait, aux accents métalliques, aux motifs secs et répétitifs.
Une seule composition est de Cole Porter “I Got a crush on you” qu’il délivre avec humilité sur un tempo lent, qu’il revisite en explorant la part de l’ombre d’un amour peut être non partagé. Rien à voir avec la version solaire de Sinatra, sûr de lui quand il proclame son béguin. Et cette interprétation est sans doute un hommage plus juste au véritable tempérament du songwriter américain.
Si Florian Favre avoue travailler comme un fou les standards américains et apprendre tous les jours de la fréquentation des grands pianistes comme Oscar Peterson ou Bill Evans, il confie que les Suisses n’osent pas s’accaparer un patrimoine musical qui ne leur appartient pas. Une question de légitimité et quand il est question de racines et d’identité, autant aller puiser dans les ressources de son pays. Une démarche intègre qui me fait songer au trio cent pour cent helvète de Humair/Blaser/ Kanzig dans leur 1291. L’Amérique reste un territoire fantasmé cependant, une source d’inspiration et s'il existe des convergences, Florian Favre s'amuse à les traiter finement dans “Our cowboy”, en pensant aux gardiens de troupeaux suisses. Avec une interpétation chaloupée, dansante, un certain swing, on est dans un film, un western dans les alpages...
Ecouter ses émotions, s’affranchir peut être de ce que l’on ne veut pas être, aller plus loin, Florian Favre ne se limitera pas au seul folklore suisse : il rêve d’ expansion peut-être, en introduisant des instruments de cultures différentes comme le oud, de se retrouver non plus au coeur mais à un carrefour d’identités.
Lyrique mais jamais sentimentale, atmosphérique, fougueuse, cette musique semble le fait d’un groupe et non d’un seul homme. Le pianiste a su admirablement gérer les qualités harmoniques, mélodiques et rythmiques de son instrument, swingant comme un combo pour le moins dans “La fanfare du printemps”, un titre qui est une gajeure en solo!
Avec une grande sincérité dans son engagement pianistique, Florian Favre sort un album combatif et plein d’espoir. Avec cette version triste, romantique de Cole Porter qu’il a gardée pour la fin, il évolue en équilibre sur des émotions pures, modifiant les climats de sorte que l'album s’écoute d’un trait. Recette instinctive et pourtant réfléchie que l’on adopte instantanément. On se désaltère à cette source fraîche, ayant envie d’y replonger très vite.
Sophie Chambon