Jazz Village / Hamronia Mundi 2012
Encore une fois l' ONJ signe un album magnifique. Après le travail sur Robert Wyatt, après « Shut up and dance », Daniel Ynivek rempli parfaitement son rôle en proposant cette relecture de l'un des plus grands compositeurs de XXeme siècle que pour ma part je met à égalité avec Jobim, Shorter et Mc Cartney. Mais toute la difficulté est pourtant de voir dans ce travail autour de l’œuvre d’Astor Piazzola, un album de l’ONJ. Car il faut bien dire, que de la même manière que l’on avait apprécié la collaboration de John Hollenbeck, cet album-là est avant tout celui de la rencontre de l’arrangeur Gil Goldstein avec l'un des plus grands compositeurs de ce siècle, Piazzolla. Et de cette rencontre avec ce génial arrangeur ( écoutez son travail dans le dernier album de Laika) naît une véritable pépite de délicatesse et de raffinement harmonique chère au génial bandonéoniste. Il fallait alors des interprètes de haute volée, soucieux et respectueux de cette double écriture pour exhaler ce que recèle cet écrin. Yninek de toute évidence les avait avec cet ONJ de jeunes et hypra talentueux musiciens, magnifiques et sages dans leur exécution.
Gil Goldstein crée pour eux des espaces de jeu incroyables, des couleurs mystérieuses parfois comme ce Soledad à l'épure envoûtante, comme une avancée dans un territoire instable. Le tango d' Adios Nonino revit d'une autre façon, proche de l'idée et de la mélodie mais tirée vers le jazz par les ressors d'un arrangement à tiroirs. Où Goldstein met tout l'orchestre en mouvement, où l'un passe devant l'autre et se transforme insidieusement de leader en soutien rythmique et harmonique tour à tour. Goldstein part toujours de la mélodie, comme balise, comme repère, pour nous ancrer dans un terrain reconnaissable immédiatement et nous emmener ensuite dans une déambulation onirique magnifique (Mi refigio - morceau sublime) avec autant d'élégance que de grâce et surtout d'apparente facilité qui n'exclut pas la formidable richesse des textures harmoniques. Il se permet même parfois des paraphrases modernes et presque rock comme sur ce Tres minutos con la realidad très cinématographique tout en privilégiant aussi le mouvement dans ses arrangements. Dans ses choix orchestraux, Goldstein a, avec beaucoup de sens, choisi d’éviter la présence du bandonéon qui aurait sonné un peu kitsch. C’est même tout le contraire dans sa recherche du son puisque l’arrangeur place comme pièce maîtresse, la flûte de Joce Meniel, ici absolument remarquable et essentiel, créant ainsi une sorte de paysage sonore nouveau autour de ces mélodies bien connues. Un soin apporté particulier est apporté au traitement du son n'hésitant pas d’ailleurs à surprendre et à se jouer de la texture sonore comme sur el dia ma quieras).Le bandonéon n’apparaît ainsi que furtivement au travers d’une pièce d’archive en milieu d’album.
Il est alors facile de se laisser emporter et surtout envoûter par cet album qui rend à la modernité la musique universelle de Piazzola. Au travers de ce travail on y trouverait presque une sorte de continuité avec les travaux sur Robert Wyatt autour de cette musique faite de grands espaces et de sentiments.
Jean-Marc Gelin