Festival de création, D’Jazz Nevers dérange toujours. De Vincent Peirani à Dan Tepfer, immersion 24 heures à l’occasion de cette 26ème édition.
« Vivifiant ». Tel est le qualificatif choisi par son directeur-fondateur Roger Fontanel pour définir D’Jazz Nevers Festival. Aux environs du 11 novembre, c’est un rendez-vous prisé des amateurs et pas seulement des Nivernais (un spectateur sur quatre vient des départements limitrophes et d’ailleurs). Une semaine de concerts (10-17 novembre) de midi à minuit sous le signe de la création, miroir du jazz contemporain, sans tentation passéiste. Visite sur place- à deux heures en train de Paris- les 15 et 16 novembre.
12h. Vincent Peirani solo. A un jet de pierre du lieu de tournage d’Hiroshima mon amour (1959), une petite salle voûtée (Pac des Ouches) prise d’assaut. L’entrée est libre et on délaisse le Beaujolais nouveau, au goût de pêche, pour une dégustation plus rare, un solo d’accordéon. Accompagnateur de Youn Sun Nah pour le concert d’ouverture, Vincent Peirani, prix d’accordéon classique du conservatoire de Paris (1996), connaît son instrument sur le bout des doigts.
Vincent Peirani © Jean-louis Lemarchand
Dix minutes d’improvisation pure en introduction tout en ralenti. Il prend son temps et nous emmène pour un tour du monde (I Mean You de Monk, Smile de Chaplin, un titre du brésilien Egberto Gismonti) qui se boucle avec une valse mais très peu musette. Nos spectateurs en sortent convaincus : l’accordéon, dans de telles mains juvéniles, peut tout faire.
Roger Fontanel © Jean-louis Lemarchand
15 h. Entretien avec Roger Fontanel. Le directeur, et fondateur du festival, ne se laisse pas gagner par la morosité ambiante du milieu culturel. Les partenaires de D’Jazz Nevers –Agglomération de Nevers, Drac Bourgogne et Conseil général de la Nièvre-ont la veille renouvelé leur convention pluriannuelle d’objectifs pour 2012-2014. Et même avec une « légère » revalorisation des moyens. Ce soutien apporté depuis 1995 assure la pérennité du festival et aussi des actions locales menées tout au long de l’année sur l’ensemble du département. Sur un budget global de 650.000 euros/an, provenant à 65-70 % des financements publics, un tiers est en effet alloué à cette action territoriale se traduisant entre autres par une vingtaine de concerts dans une dizaine de communes. Pour l’instant, Roger Fontanel se félicite de la bonne fréquentation du festival-environ 6000 spectateurs, comme en 2011-déjouant ses craintes initiales. S’il reste fidèle à une politique de prix abordables (de 8 à 25 euros pour les soirées avec deux formations, concerts gratuits à midi….), il ouvre la programmation à d’autres formes (photo, théâtre, danse, poésie). « Je ne veux pas être autocentré » confie ce défenseur des jazzmen qui « cherchent, inventent, dérangent ». Intransigeant chef d’orchestre de ce festival « de création », il reste maître à bord : » « en 26 ans, il n’y a jamais eu aucune intervention sur la partie artistique ».
Ping Machine © Christophe Alary
18h30. Ping machine. Ils sont à l’étroit, ces treize là sur la scène de l’auditorium Jean Jaurès. Là aussi, les places sont rares (une petite centaine) et les spectateurs curieux. Baptisé du nom d’une scène-culte d’un film des Monty Python, Ping Machine fait partie de ces grandes formations qui cultivent la différence. Musique très écrite, échappée vers Zappa ou Ligeti, un monde à découvrir, déconcertant à l’image de cette composition évoquant, selon son leader, Fred Maurin (guitariste), « un univers apocalyptique post-industriel ». Big band sans piano mais pas sans imagination, Ping machine étonne et détonne.
La grande campahnie des musiques à ouir © Jean-louis Lemarchand
20h30. La grande campagnie des musiques à ouïr. Là aussi sur la scène de la Maison de la culture, le piano joue les absents. Et pourtant, le programme annonce une relecture d’Ellington et de Monk. Explication du patron de La grande campagnie des musiques à ouïr, le batteur Denis Charolles : « Ce serait difficile pour le pianiste car il chercherait par exemple à ne pas faire comme Monk et Ellington ». Nous sommes prévenus. Le temps n’est pas à l’hommage. Par moments, on retrouve une phrase des deux géants compositeurs mais priorité à la parodie. Dans ce maelström, mention spéciale au tromboniste Gueorgui Kornazov et à l’accordéoniste Didier Ithursarry.
© Jimmy Katz
22h30. Vijay Iyer. Le piano est de retour ! Et de quelle façon sur cette même scène. Vijay Iyer. Une allure de consultant –n’est-il pas diplômé en mathématiques et physique- mais qu’on ne s’y trompe pas. Le pianiste new-yorkais d’origine indienne n’a (plus)rien du monstre froid. Avec ses comparses,Stephan Crump (basse) et Marcus Gilmore (batterie), c’est Noël avant l’heure. Guirlandes et Champagne. A eux trois ils illustrent le propos utilisé dans le registre politique par Edgar Faure, l’indépendance dans l’interdépendance. Sur un répertoire où compositions de Vijay Iyer côtoient des airs d’Henry Threadgill, Herbie Nichols ou encore Billy Strayhorn, le trio atteint les sommets. Confidence d’un musicien-spectateur : ce groupe a 20 ans d’avance !
Dan Tepfer © Vincent Soyez
12 h. Dan Tepfer. Il croque une pomme pour se revitaminer. La veille au soir, il jouait à Barcelone. Roger Fontanel l’annonce en soulignant (en souriant) l’inconscience de Dan Tepfer : s’attaquer aux Variations Goldberg de Bach. Question de temps, le pianiste n’en donnera que la moitié (15).Mais il ne les joue pas à moitié. D’aucuns évoqueront Glenn Gould. Dan a sa propre vision. Tout le rythme du compositeur allemand est mis en valeur. « Je ne suis pas le premier à dire que Bach était le premier jazzman » confie Dan Tepfer. L’accompagnateur délicat-notamment de Lee Konitz-sait aussi se montrer soliste généreux.
Jean-Louis Lemarchand
Ping Machine © Jean-louis Lemarchand
Vijay Iyer trio © Jean-louis Lemarchand
La grande campagnie - DUKE & THELONIOU- Duke & Thelonious © Jacky Cellier