Django, reconnu par son seul prénom, comme Miles ou Ella, valait bien un hommage de Paris, la ville qui l’a inspiré tout au long de sa (trop brève) carrière : à peine deux décennies séparent le premier concert du quintette du Hot Club de France en décembre 1934 du dernier enregistrement en studio avec un certain Martial Solal au piano, au printemps 1953.
La Cité de la Musique remplit parfaitement sa mission avec « Django Reinhardt, Swing de Paris », exposition richement documentée, regorgeant d’inédits, sur la vie du guitariste manouche (1910-1953).
Commissaire de l’exposition, Vincent Bessières, auquel on devait l’exposition « We Want Miles » en ce même lieu, a fait le choix d’illustrer « un trajet social ». Jean Cocteau en 1947 avait salué cette évolution dans une lettre à Django : « Toute la merveilleuse poésie des voleurs d’enfants, des tireuses de cartes et du cheval blanc qui rêve attaché au bord de la route, vous escortait à votre départ. Transformer une roulotte en voiture grand sport n‘est pas le moindre de vos tours ».
A la Cité de la Musique, le visiteur est ainsi invité à suivre ce parcours de Jean (pour l’état-civil) dénommé Django ( je réveille en langue manouche) fils de Jean-Baptiste Reinhardt (musicien) et de Laurence (une acrobate mais l’extrait de naissance donne comme profession ménagère) né dans une roulotte en Belgique le 23 janvier 1910. Son enfance sur la route et dans « la zone »- terrains au-delà des fortifications de Paris, ses débuts dans des orchestres de bal musette, l’incendie en 28 de sa roulotte qui conduit à la perte de deux doigts de la main gauche, la découverte du jazz sur la Côte d’Azur (grâce au peintre Emile Savitry, qui signe également les deux photos ci-contre, de 1933), la rencontre fortuite et décisive de Stéphane Grappelli, la création du quintette du Hot Club de France, le succès énorme sous l’Occupation (Nuages), l’aventure (inachevée) aux Etats-Unis avec Duke Ellington, le rebond de Saint-Germain-des-Prés aux accents du Be-Bop, pour finir avec les parties de pêche et de peinture à Samois-sur-Seine où il expire le 16 mai 1953.
Toutes les grandes étapes de la vie de Django sont abondamment traitées avec moult documents provenant de collections privées et aussi du fonds Charles Delaunay (disponible à la BNF) présentées dans des vitrines : des photos (on entame l’expo avec Django et sa famille en 1920 et on l’achève avec le guitariste en tournée en 1952 avec Line Renaud), des lettres (une maison de disque jugeant « astronomiques » les prétentions financières du quintette du Hot-Club), des contrats, des affiches, des programmes de concerts, des disques, des articles de presse (Paris-Match de 1950 qui titre « Ce gitan infirme est un des rois du jazz ») et même le registre d’admission de l’hôpital Lariboisière le 22 novembre 1928 pour « brûlures »…
L’attention se porte plus spécialement sur les lettres et cartes postales manuscrites de Django qui avait appris à écrire avec Stéphane Grappelli, et sur ses tableaux, œuvres colorées et naïves. Tout au long de ce parcours, le visiteur peut à loisir écouter la musique de Django dès ses premiers enregistrements de 1928 (sous le nom de Jiango Renard !) avec des casques ou dans des cabines sonorisées. Il peut également visionner les rares documents filmés avec Django dont un extrait de « La Route du bonheur »(1952) qui reprend tous les clichés sur les manouches mais offre quelques gros plans sur les mains du génial guitariste.
« Django Reinhardt, Swing de Paris » présente le grand intérêt de ne pas se limiter à la seule carrière stricto sensu du jazzman français le plus célèbre à ce jour et d’ouvrir le champ d’investigation à l’environnement sociétal et culturel : la culture manouche, les bals musette, la vie de la scène parisienne du jazz dès les années 30, évoquant notamment l’activité des jazzmen sous l’Occupation allemande …
Jean-Louis Lemarchand
Django Reinhardt, Swing de Paris, du 6 octobre au 23 janvier 2013. Cité de la Musique. 75019 . www.cidelamusique.fr/django. Catalogue de l’exposition. Michel Dregni et Vincent Bessières. 224 pages. 250 documents. Editions Textuel.39 euros. Musique : le CD de l’expo et le coffret collector 5 CD chez Le Chant du Monde/Harmonia Mundi.