Vincent Bourgeyx (p), Pierre Boussaguet (cb), André Cecarelli (dms)
Dans une interview menée par son frère, Bill Evans disait qu’il est primordial de « libérer la conscience pour se concentrer sur le développement créatif spontané »[1]. C’est certainement ce choix qu’à fait le talentueux pianiste Vincent Bourgeyx, lui qui déclare préférer s’occuper de sa musique plutôt que de se soucier de sa médiatisation. C’est ainsi que d’album en album, Vincent Bourgeyx tisse son œuvre.
Pour son dernier disque « Hip », sorti en mai 2012 chez le label Fresh Sound New Talent, Vincent Bourgeyx s’est associé à deux solides musiciens : le batteur André Ceccarelli et le contrebassiste Pierre Boussaguet. La participation de Pierre Boussaguet était - dit le pianiste - l’aboutissement naturel de dix années de collaboration sur la scène parisienne, tant en duo qu’en trio. Avec André Cecarelli ce fut un « coup de foudre ». Réunis en studio pour l’enregistrement d’un disque de Frédéric Couderc, l’entente tant humaine que musicale a été instantanée.
L’album reflète l’image duelle que le pianiste a de lui-même : un artiste partagé entre tradition et modernité, attiré aussi bien par l’interprétation des standards que par l’écriture de compositions. Bien sûr, cela peut déplaire à une certaine orthodoxie du jazz qui aime et réclame « l’unité ». Mais diversité ne veut pas forcément dire hétérogénéité. Et c’est bien ainsi que le pari de Vincent Bourgeyx est relevé. Car sa « patte » se retrouve au fil des morceaux même si ces derniers semblent appartenir à des mondes différents.
Dans un incessant balancement qui n’est pas du qu’au swing, l’album oscille entre ces deux versants de la musique du pianiste. Les compositions aussi bien que les arrangements sont d’une beauté parfois époustouflante. L’opus démarre en force par une version puissante et créative de « Daahoud », un morceau de Clifford Brown. Celui-ci et la très monkienne composition « Shoes Now » croient déjà placer le pianiste dans la catégorie « post be-bop » ! mais les compositions suivantes « For Françoise », « Renaissance » et « Zig Zag » nous plongent dans un autre univers de Vincent : un univers classique, romantique, empreint des mélodies de la fin du XIXe – début du XXe ; un autre visage de lui-même, comme un paysage qui défilerait et montrerait les deux versants d’une même colline. « For Françoise » est un hommage, nostalgique et poétique, à la mémoire de Françoise Hougue, la professeur de piano classique de Vincent, qui, dit-il, lui a « tout appris » de son instrument. La magnifique composition « Renaissance » est un cadeau d’amitié fait à Pierre Boussaguet qui a l’honneur d’en jouer la mélodie. Kafka’s Nightmare et Blue Forest, deux autres remarquables créations, sont comme une île entre deux eaux, entremêlant indistinctement ces deux facettes du pianiste. A noter également : un arrangement frais et original de Prelude to a Kiss, qui illustre encore une fois les talents d’arrangeur de Vincent Bourgeyx[2]. Ce dernier à déjoué la tradition de la potion langoureuse généralement administrée à ce morceau pour le transformer en une joyeuse danse où piano et contrebasse se répondent « fugueusement ».
Vincent Bourgeyx fera parler de lui avec ce dernier album dont on peut tirer plusieurs « singles », si tant est que ce terme s’applique à un album de jazz. Des titres riches, travaillés, que le public appréciera à l’écoute de l’album et dès que le nouveau trio se retrouvera sur une scène, ce que l’on souhaite pour très bientôt. En attendant, Vincent Bourgeyx sera en tournée en Allemagne du 16 au 27 octobre avec le groupe du saxophoniste Ed Kroger.
Yaël Angel
Introduction (2003 – Utica Records)
Un Ange qui Ricane (2007 – Cristal Records)
Again (2008 – Fresh Sound New Talent)
Hip (2012 – Fresh Sound New Talent)