La Buissonne RJAL 397013/Harmonia mundi
Sortie le 17 avril 2012
On se souvient de Carlos Maza et de sa joyeuse troupe de musiciens cubains entendus en Avignon il y a juste dix ans : il fut question de métissage, d’amitié et de générosité pour une musique amérindienne et sudaméricaine, fièvreuse et très inventive.
Le pianiste nous revient en solo, ou plutôt en homme orchestre, jouant d’ une guitare dix cordes, du merveilleux piano de la Buissonne et de sa voix pour accompagner sa musique toujours itinérante.
Car à Cuba, tous les enfants, même les plus pauvres, reçoivent une sérieuse éducation musicale, le destin et le talent feront la sélection. C’est ainsi que Carlos joue non seulement du piano, mais d’instruments à vent dont flûtes et charanga, sans compter le chant qui s’intègre à sa culture.
Louis Sclavis qui a l’art d’être présent, au bon endroit et au juste moment, écrit un texte sensible, en préambule de ce Descanso del Saltimbanqui : « la musique de Carlos Maza c’est l’Amérique latine qui s’amuse avec l’Europe, une guitare espagnole qui s’amuse dans les mains d’un Indien, une flûte inca qui s’introduit dans une sonate de Liszt. »
Il faut absolument s’armer du viatique de l’auteur pour percevoir l’origine de ces petites pièces, dédiées à chaque fois à un ami : on s’aventure ainsi dans un imaginaire musical qui franchit allégrément les frontières, réunit des cultures différentes, propose des rapprochements impensables pour une oreille formatée. On prend le livret et la musique fait le reste.
Au piano, Carlos a la virtuosité, l’impétuosité d’un concertiste classique (« Remando hacia del sol » , « Rosacolis », « El Amor en tiempos de crisis »). A la guitare, il s’inscrit dans une tradition plus populaire et locale, rendant hommage par exemple au voyage en train -toute une aventure à Cuba- pour apporter la canne à sucre « El tren de Hershey », ou à sa mère avec cette cueca, danse populaire de couples et danse nationale du Chili (dont il est originaire) « Cueca a mi Madre »
Le ciel est bon pour rêver, la mer est bonne pour naviguer… nous grandissons comme les plantes et tissons l’arbre de la vie.
Dans cet hymne à la vie, à l’autre, l’humain, le frère, il est question de soleil, toujours, celui qui efface les larmes dans le cœur de ce Chilien nomade, de chant évidemment, un chant incantatoire qui en appelle à la tolérance et à la paix entre les hommes, comme dans le final « Magia e ascenso». Carlos Maza sait que le temps presse, c’est un poète qui écrit et compose ce que le cœur lui inspire, évoluant selon les rencontres et influences. Il célèbre à sa façon la grande île qui l’a reçue dans une vision mystique, cosmique qui le pousse à transfigurer son art de toutes les façons, en y insufflant une musique inouïe, qu'il doit à son apprentissage classique, à un rythme et un souffle rares, à l’ardente volonté de faire rendre à sa partition son contenu essentiel. Si la musique passe avant tout, Carlos Maza est sensible à tout le reste, et il ne se laisse pas réduire à une tradition locale, déploie un univers musical cosmopolite en nettoyant les clichés d’un répertoire connoté, dans une mise en jeu du cœur et de l’âme dans cette musique intense et tendre. Il garde la nostalgie d‘un âge d’or, sans perdre la lucidité et la réflexion que demandent des temps aussi durs et implacables. Une leçon d’optimisme à prendre … rapidement en méditant sur le fond et la forme.
Sophie Chambon