sous la direction de Pierre Fargeton et Yannick Séité.
HERMANN Éditeurs. À paraître le 30 août.
ISBN : 979-1-0370-2131-1.
Les Musiciens de Jazz et l’Écriture ... Vaste sujet !
Réalisé sous la direction de Pierre Fargeton et de Yannick Séité (qui en signent cinq chapitres sur 32), cet ouvrage clair et didactique se répartit en quatre grandes subdivisions, traitant respectivement :
- De la présence des musiciens dans la presse, (écrite, radiophonique ou télévisée), avec des exemples caractéristiques de Jelly Roll Morton et W.C. Handy (The Baltimore Afro-American, Down Beat), Charlie Christian (Down Beat), Lennie Tristano (Metronome), Jeff Gilson et Henri-Claude Fantapié (Jazz Hot) ...
- Des musiciens qui se racontent, dans des chroniques, des correspondances, des autobiographies (avec ou sans ghostwriters), illustrées par les carnets de voyage de Louis Moreau Gottschalk (XIXème siècle), les biographies d’Armstrong, Danny Barker et Doc Cheatham (avec l’assistance d’Alyn Shipton), Mezz Mezzrow, Billie Holiday, la correspondance échangée entre Bobby Jaspar et André Hodeir ...
- Des Musiciens pédagogues et théoriciens, auteurs de méthodes instrumentales et/ou du jeu Jazz, de traités d’harmonie, de composition et d’orchestration ... auxquels sont associés les plus grands noms : Ron Carter, Jack DeJohnette, Steve Lacy, Pat Metheny, Jimmy Jiuffre, Dave Liebman, Jef Gilson, Bill Russo, Philippe Baudoin, George Russell, Steve Coleman, Roger Chaput, Pierre Cullaz, André Hodeir, Chick Coréa ...
- Des différentes formes d’écriture irrigant le jazz, de la versification initiale des textes de Blues aux écritures poétiques contemporaines, Du « Black Case » de Joseph Jarman (1977, Réédité en 2019) aux conceptions de Sun Ra, « Les poèmes sont de la Musique », bientôt retourné en « My Music is Words », et, si l’on pousse l’affirmation au bout : « Their Music is Words », la boucle est bouclée, et il devient évident que les musiciens de Jazz écrivent ! Et cela, depuis le début !!
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On dispose ici d’une profusion de textes de toutes origines, d’un foisonnement d’informations allant de traduction de livres ou textes universitaires, souvent peu accessibles ou jamais traduits en français, de notes de pochettes ou d’articles de revue, billets de blogs, ouvrages pédagogiques, l’ensemble passé au crible de la réflexion et de l’érudition des nombreux auteurs ici réunis **.
...Indispensable à qui s’intéresse et souhaite comprendre quelque chose au monde du jazz et de ses artistes !
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** on ne peut en nommer un sans les nommer tous : Philippe Baudoin, Didier Levallet, Vincent Cotro et Leila Olivesi, Jean-Jacques Birgé, Yolan Giaume et Adriana Carrillo, Alyn Shipton et Dan Vernhettes, Benoit Tadié et Raphael Imbert, Martin Guerpin et Ludovic Florin, Philippe Gumblowicz et Jacques Siron, Frederico Lyra de Carvalho, Laurent Cugny et Christian Bethune, Alexandre Pierrepont Brent Hayes Edwards, Cyril Vettorato William Parker et Pim Higginson.
Comme un rêve éveillé. Enregistrée à l’issue du concert de clôture d’une résidence artistique, cette musique aurait pu ne pas voir le jour sous forme d’un double disque. Les aléas d’un projet qu’il fut malaisé, en ces temps frileux, de faire revivre sur scène, puis la mort du batteur Éric Groleau, sans oublier la pandémie, ont failli nous priver de la découverte de cette pépite. La référence à l’École de Canterbury, et au groupe Soft Machine, est limpide. Car le nom du célèbre groupe britannique est emprunté à un livre du poète-romancier-plasticien Williams S. Burroughs, The Soft Machine ; tout comme ce disque renvoie à un autre écrit de Burroughs, The Naked Lunch. La musique qui se joue ici n’est réductible à aucune des appellations qui désignèrent naguère (c’est presque jadis….) le jazz conquis par l’électricité et l’électronique. Ni Jazz-rock, ni Jazz-fusion, ni Fusion tout court, mais Jazz assurément, car c’est un musique d’aventure, d’audace, de vertige et de prospective. Il serait vain de traquer des analogies avec la structure du roman de Burroughs, sa topographie singulière ou ses personnages. Peut-être doit-on s’en remettre au voyage intérieur sous substances, ou à la notion cut-up d’ou procède la littérature de Burroughs et de quelques autres. En tout cas l’esthétique et les compostions sont fécondes, les solistes sont inspirés, et le mouvement collectif est saisissant. Une seule composition, celle sui conclut le second CD, n’est pas du guitariste-leader : c’est Teeth ; elle avait été signée par le claviériste Mike Ratledge pour le quatrième disque de Soft Machine. Ce titre est ici dans une version étendue et reformulée. D’un bout à l’autre, ce disque est un très beau moment de musique vivante, et habitée !
Un rendez-vous annuel incontournable (pour moi) qui présente l’originalité d’un festival et d’un tremplin européen.
Début du mois d'août. Les murs grattent leurs peaux d’affiches, la ville tente de revenir à elle-même après le marathon théâtral de juillet. Avignon est alors une destination jazz tout indiquée.
Après la première soirée gratuite au Square Agricol Perdiguier avec les Yellbows, un quartet New Orleans, commence le Tremplin européen pour deux soirées très suivies par un public local, fidèle et ouvert au jazz. D'où un Prix du Public, très attendu qui, certaines années, rejoint le choix du jury . Public et jury partagent ainsi convivialement ce qui traverse le paysage musical de ces soirées estivales provençales, lieu d’ouvertures, de passages, toutes frontières abolies…
Retour donc au cloître des Carmes pour suivre l'aventure de ce concours initié en 1992 par des passionnés de musiques, Michel Eymenier, Jean Paul Ricard, fondateur de l’AJMI, la scène locale de jazz et Alain Pasquier. Le concours a commencé dans le quartier difficile de la Barbière puis dans le square Agricol Perdiguier avant de se fixer aux Carmes. Plus largement reconnu depuis 2000 qui consacra Avignon «Ville européenne de la Culture », le Tremplin Jazz s’est étoffé, le concours européen s’insérant dans un festival de Jazz.
Le Tremplin c’est aussi une équipe épatante de bénévoles qui se déploient sur tous les fronts, catering, technique, chauffeurs, photographes. Tous fidèles et depuis longtemps, en dépit des fragilités inhérentes aux associations organisatrices d'événements, dépendantes de subventions et de la générosité de mécènes.S’il est une chose qui ne change pas, c’est la qualité de l’accueil decette belle équipe qui, avec le temps a su surmonter le difficile exercice de gestion de groupe.
La vocation du Tremplin est d'aider à l'émergence de groupes pré-sélectionnés qui pourront mettre à profit cette expérience unique, jouer sur cette scène rêvée, à l'acoustique exceptionnelle. L’un des atouts du tremplin est en effet ce lieu mythique du cloître des Carmes. Restant à taille humaine, l’architecture de pierre et de gargouilles est mise en valeur par Mathieu, artiste des lumières, des découpes et de l'éclairage. Ce plaisir de l'oeil décuple l'écoute, surtout quand le son est assuré par Gaetan Ortega sur la terrasse, un maître de l'espace sonore.
Les six groupes de jeunes musiciens européens qui entrent en lice trouvent un espace d’expression pour s’affronter amicalement au cœur de la cité papale dans l'un des rares tremplins européens. Rappelons que le Grand Prix consiste en un enregistrement et mixage au Studio de la Buissonne et un concert en première partie d'une des soirées du festival de l'année suivante. Les autres prix (Soliste, Meilleure Composition) sont récompensés d'un chèque de 500 euros offerts par les divers partenaires, sans oublier le Prix du Public et des cadeaux offerts sur tirage au sort des votants.
2023 : Trente et unième édition et trente et unième année du Tremplin.
Sur les six groupes retenus cette année, on comptequatre français, un belge et un néerlandais. Soit 21 jeunes instrumentistes (dont 3 femmes) sur 390 participants (40 femmes), 10 pays représentés. Vision assez précise du jazz actuel, reflétant le spectre d’une musique qui continue de s’inventer sans perdre ses repères historiques. Et où les femmes doivent lutter plus durement pour se faire une place quand elles ne sont pas chanteuses.
Un quartet que présente avec soin Florian Marques, le saxophoniste ténor originaire d’Orthez, leader et compositeur après un long solo d'altitude sans accompagnement pour “Anglas” ( vallée d'Ossau ?). C’est le programme de leur premier album ADeep Color inspiré de la série et de l’univers de David Lynch, Twin Peaks. Le nom du groupe, le titre de certaines compos, “The Log Lady”, “A Deep Color”l (anagramme du personnage de Dale Cooper ), "A Fat Cat's Diary" trouvent ainsi leur justification. Chacun prend un solo, le guitariste Florent Souchet introduisant des nuances pop. Le contrebassiste Mathieu Scala remplaçant au pied levé Arthur Henn, assure vaillamment sa partie lors d’un solo ponctué de neuf coups en rythme du clocher voisin.Une écriture épurée, agile sans être vraiment labyrinthique aux influences bien assumées (fusion).
Mojo Jojo (Belgique)
Emanuel Van Mieghem contrebasse, Warre Van de Putte saxophone, Roeland Celis guitare, Umberto Odone batterie.
Le groupe qui suit est un autre quartet venu de Belgique (Bruxelles): avec la même configuration, la différence est immédiatement perceptible, l’énergie du collectif circule, soulignant une certaine dramaturgie dans une dynamique de groupe. Des récits structurés, oniriques aux ruptures de rythme imposées par un batteur subtil Umberto Odone. Les compositions astucieuses sont du contrebassiste leader Emanuel Van Mieghem qui jouera avec tant d’ardeur qu’il se fera des ampoules sur la basse prêtée par le Tremplin. [Les problèmes de transport SNCF pour les contrebassistes ne sont toujours pas résolus]. Avant un dernier titre plus rock que pop, plutôt connoté, “Another Day in the life” même si la ressemblance s’arrête là, une composition magnifique retient l’attention : c'est “Glee” (que l’on pourrait traduire par jubilation) où la musique trahit une certaine ambiguïté. Une allégresse nuancée d’un voile soudain de mélancolie que traduisent les éclats sensibles de la guitare de Roeland Celis.
DUO A+B (France)
Simon Riou saxophone alto, Sebastian Sarasa sax alto et baryton
Un titre simple pour un duo créé en 2018 qui ne l’est pas. Un choc musical avec une formule resserrée, un sax alto Simon Riou et un sax baryton Sebastian Sarasa (que j'imagine volontiers Argentin, Sud-américain en tous les cas, l’une de leurs compositions est d’ailleurs “Aleph Milonga” à couper le souffle). Une musique pas du tout hermétique mais qui demande une sacrée attention pour comprendre cette “fabricason”, une réflexion pour décrypter langage et codes. Sacrés “Birds” que ces zozios là, surtout quand ils s’expriment à l’alto, car ils jouent du même instrument par moment, faisant ressortir de façon poétique ce qui les différencie, comment ils rebondissent ou répondent dans ce qu’ils entendent de différences dans l’autre. Si “Je est un autre” justement, voilà un bel exemple de métamorphose, de ramifications qui se rejoignent pour ces Philémon et Baucis des sax.
Un duo envoûtant qui a tenu son formidable pari. Avec une rigueur toute classique, leur ensemble est parfait, parfaitement en place, un miracle d’équilibre dans ces deux voix qui s’éloignent pour mieux se retrouver, échangent aussi les rôles, même si le baryton ( slaps, souffle continu) assume sa fonction de basse, engendrant un rythme souple et groovy alors que l’alto s'échappe de temps à autre dans les Balkans. Leur habileté technique, différente est évidente. Ils ont sorti un CD Dédale avec des compositions aux titres expressifs “Zinc”, “Terre Neuvas”. De la matière à tordre, des sons à fondre qu'ils confondent, des idées neuves aussi. Des influences très diverses parfaitement assimilées dans leur polyphonie métisse. On ne sait jamais trop bien quand ils improvisent ou suivent leur écriture commune tant ils partagent tout, compositions et saxophones. Leur performance tient la route sur les quarante minutes imposées.
Le public est enthousiaste, le jury sereinement pourra échanger rapidement sur cette première soirée, heureux des propositions entendues. Même si le président Stéphane Kochoyan, pianiste venu de sa Nîmes voisine, a comme l’intuition que cela pourrait ne pas durer.
Deuxième partie : la nuit du 4 Août
Quelque chose me dit que cette dernière soirée du tremplin ne sera pas sans anicroche; il fait franchement froid, le mistral glacial est de sortie.
Nohmi (Pays-Bas)
Miran Noh piano, Aude de Vries batterie, Patricia Mancheno contrebasse, Claudio Jr De Rosa, Daniel Carson, trompette.
Trio à l’origine, la jeune formation devenue quintet européen (Pays Bas, Italie, Espagne ) sans oublier la Corée du Sud de la pianiste leader, compositrice des pièces présentées, fait entendre dès “Storm”des influences revendiquées, couleurs et atmosphères ravéliennes dans une esthétique hard bop, façon Blue Note années 60 avec des soufflants vraiment élégants aux unissons ( les trompettiste Daniel Clason et saxophoniste ténor Claudio Jr de Rosa). On est en terre connue, une écriture classique, dense, au déroulé un peu trop mécanique peut-être. Mais telle est la loi de ce genre.
Hugo Diaz Quartet (France)
Hugo Diaz saxophone, Alexandre Cahen piano, Louis Cahen batterie, Vladimir Torres contrebasse.
Ce nouveau quartet présente une suite de compositions singulières, au fil de l’eau, du leader Hugo Diazau soprano : de “Confluence” à “Electrolyse” en passant par un“Aiguo” à la provençale, le courant suit les inflexions du saxophoniste qui joint improvisation souvent free à son écriture raffinée, agrémentée de quelques effets électroniques dispensables. Le plaisir vient aussi du trio qui l’accompagne et le soutient habilement, une rythmique parfaite Alexandre et Louis Cahen, respectivement au piano et à la batterie, sans oublier Vladimir Torres,contrebassiste qui a du métier (et déjà une carrière) qui sculpte un solo mémorable sur sa propre contrebasse. Le public trépigne.
Cosmic Key (France)
Delphine Deau piano, effets, Alex Nouveau piano, effets.
La soirée va se terminer comme la précédente par un duo aussi inattendu qu'extravagant, créé il y a un an seulement, avec un unique concert au compteur avant ce soir, à Dunkerque : deux pianistes Delphine Deau et Axel Nouveau sur un seul piano, un beau Steinway évidemment "préparé" pour ce genre de recherches sonores avec pinces à linge et patafix auquel s'ajoute tout un set de “jouets” électroniques : un Moog, un synthé analogique, une boîte à rythmes, un métallophone intratonal expliquera Franck Bergerot! C’est parti pour un festival de “sons machiniques”... Là, je cite Laurent De Wilde, connaisseur de ces “fous du son”, dans un petit bouquin formidable sur Robert Moog aux éditions de la Philharmonie.
On se croirait sur un dance floor-l’un des titresrend d'ailleurs hommage à Giorgio Moroder, sorcier du disco, grand producteur de disques et de musiques de films qui a enregistré autant Bowie (“Putting out Fire” in La Féline ) que Daft Punk, Blondie qu’Arcade Fire, Nina Hagen que Queen…Pas que du "boum boum electro disco" donc.
La surprise est de taille, d’autant que l’on a accueilli Delphine Deau à Avignon dans un tout autre contexte, avec le quartet Nefertiti, dans le festival pour la cuvée 2019. J’ai d'autant plus hâtede l’entendre revoir à sa manière Dowland à Parfum de jazz, le 16 août prochain. Pourquoi pas, après cette incursion “Far far away” dans le “vertige analogique” en se souvenant de Jean Sébastien, annonce son complice. Il y aurait même une certaine logique...attendons son "Prepare for Dowland".
Que dire de cette performance au rythme très soutenu qui évoque unefougueuse techno sur des séquences pour la plupart enregistrées avec ( trop ) peu de chorus à mon goût? Une musique festive, plus dans le rythme que le sentiment? Le concert étant un laboratoire vivant, gageons que d’ici un an leur projet aura évolué...remodelant leur écriture de performance en performance selon le principe même du jazz.
CODA
Les jeux étant faits, le jury va longuement délibérer et leur choix se partager entre les groupes les plus saisissants, remplissant le contrat du tremplin. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises puisque la palme ira au dernier duo où l’alliage jazz et électro fonctionne, après un match très disputé où la voix du président qui a su mener l'affaire sera déterminante. Avec autorité Stéphane Kochoyan annonce ce palmarès qui confirme que le jazz essaie d’intégrer les styles les plus divers, d’évoluer tout en s’adaptant. Je crois comprendre ce qui a pu plaire à une partie du jury dans la tentation de Cosmic Key d' absorber et réinventer un autre style qui a fait ses preuves. Mais il faudrait que la part de jazz sorte davantage de l’ombre ou plutôt des nuages flottant dans la nuit qui remuait cevendredi.
Palmarès :
Cosmic Key obtint le Grand Prix du Jury (enregistrement et mixage au studio de la Buissonne et première partie d’un concert du festival).
Delphine Deau piano, effets, Alex Nouveau piano, effets.
Prix de composition : Emanuel Van Mieghem, le contrebassiste de Mojo Jojo.
Emanuel Van Mieghem contrebasse, Warre Van de Putte saxophone, Roeland Celis guitare, Umberto Odone batterie.
Prix dumeilleur instrumentiste : la paire inséparable d’ A+B.
Simon Riou saxophone alto, Sebastian Sarasa sax alto et baryton.
Prix du public : Hugo Diaz quartet.
Hugo Diaz saxophone, Alexandre Cahen piano, Louis Cahen batterie, Vladimir Torres contrebasse
Ainsi s’achève une bien belle édition avec des groupes de qualité habilement sélectionnés, des jeunes formations qui mixent nationalités, styles et cultures. Un vrai rêve de jazz qui confirme que ce Tremplin a toutes les bonnes raisons pour compter dans mon paysage musical.
Je me souviens de Sylvie Azam, l’une des photographes du Tremplin qui nous a quitté cette année. Et je n’oublie pas Pascal Anquetil, compagnon de jury qui nous manque à qui j’adresse une pensée affectueuse.
Un grand merci à mes photographes habituels du Tremplin Claude Dinhut et Marianne Mayen.
Denis est mort hier, 24 juillet 2023, emporté par la maladie.Cette photo date du dernier concert solo où je l’ai écouté, en septembre 2021 au festival de Trois Palis. Je l’avais retrouvé en 2022 à la Dynamo de Pantin dirigeant d’un clavier numérique l’Orchestre des Jeunes de l’ONJ, qui cette année là jouait son répertoire de l’ONJ. Et depuis des années, on se voyait à Sète ou dans la région, lors de mon escale annuelle à Montpellier. Dès 1982 j’ai assisté avec ferveur et enthousiasme à ses concerts, que j’ai chroniqués dans la presse spécialisée, et diffusés sur France Musique. J’admirais le pianiste singulier, le compositeur et l’arrangeur de très grand talent. J’aimais l’Ami plein de fantaisie, à l’humour décapant nimbé de bienveillance. Les mots me manquent. Adieu l’Ami
BRIAN BLADE & The fellowship : " Kings highway"
Stoner hill 2023
Brian Blade (dms), Jon Cowherd (p), Christopher Thomas (b), Myron Walden and Melvin Butler (saxs), and Kurt Rosenwinkel (g)
Voilà la bonne surprise en plein cœur de l’été : le nouvel album du batteur Brian Blade et de ses « fellowship ».
Album intensément…intense. Album porté par une certaine forme de puissance musicale.
C’est qu’il y a dans cet album et dans les compositions de celui qui fut de longue date le batteur de Wayne Shorter et de Joshua Redman quelque chose de particulièrement fort qui s'en dégage.
On peut parler de puissance évocatrice, narrative qui s'exprime au travers de ce groupe de très haute volée. Lorsque chacun de ses membres parvient ainsi avec autant de finesse que de puissance à faire se mouvoir le collectif, on sait qu’ils peuvent atteindre des choses à hauteur d'âme.
Le groupe fonctionne à merveille pour nous embarquer dans une forme magnifiquement bien huilée, soulful et d’un groove auquel nul ne peut résister (Kings highway).
La force des compositions de Brian Blade est de donner à ses musiciens matière à une forme d’expression libérée.
Que ce soit Kurt Rosenwinkel qui fait chanter sa guitare en insufflant un lyrisme flamboyant que ne rejetterait pas Pat Metheny (Catalysts) ou encore la paire de saxophonistes tous deux habités d’une sorte de feu sacré. On y (re)découvre aussi Jon Cowherd, fidèle fellow, lui aussi habitué à côtoyer John Patitucci et Brian Blade dans d’autres contextes et donc chaque intervention illumine l’ensemble (Migration). Quant à la rythmique, elle se trouve totalement impulsée et boostée par un Brian Blade véritable maitre des horloges et du tempo.
Si parfois l’album peut sembler hyper produit et ne renverse pas la table des canons du jazz actuel, il n’en reste pas moins un véritable moment d’osmose entre un sextet à l’unisson d’un jazz powerful.
Grand crooner devant l’éternel, Tony Bennett, disparu le 21 juillet à New York a 96 ans, aura réussi à réconcilier toutes les générations. Le créateur de ’’The Good Life’’ en 1963, adulé depuis par les anciens, séduira quatre décennies plus tard les fans de hip-hop par ses duos (acoustiques) avec Amy Winehouse, Diana Krall, Norah Jones, et surtout Lady Gaga.
Vingt Grammy Awards sont venus saluer une carrière engagée à la fin des années 40 pour ce New yorkais issu d’une famille italienne originaire de Calabre.
Anthony Benedetto devient alors Tony Bennett. Sa voix feutrée, son art du placement, sa nonchalance élégante lui assurent une place de choix dans la galaxie des crooners aux côtés des Franck Sinatra, Mel Tormé, Dean Martin…
Il prend son inspiration dans le jeu de Stan Getz et Dizzy Gillespie vante ses qualités. Sa carrière décolle au début des années 60 avec deux chansons ’’I left my heart in San Francisco’’ et ’’The Good Life’’, adaptation d’une composition de Sacha Distel.
Après une traversée du désert de quelques années -où il continue à se produire dans les casinos de Las Vegas et de Reno- Tony Bennett retrouve la faveur du grand public peu avant le tournant du siècle, à la faveur de duos avec des chanteuses de la jeune génération. Sa collaboration avecLady Gagadonnera lieu à deux albums dont le dernier, ’’Love For Sale’’, sorti en 2021.
Entre temps, il aura poursuivi son hommage au Great American Song Bookavec un disque dédié à Jérôme Kern en compagnie du trio du pianisteBill Charlap, qui lui vaudra un nouveau Grammy en 2016.
Diagnostiqué la même année de la maladie d’Alzheimer, Tony Bennett continuera de se produire sur scène jusqu’en 2021.
De ses quelque 80 albums, une attention particulière doit être portée aux deux disques enregistrés en duo en 1975 et 1977 avec Bill Evans.
C’est avec le programme de cet album que le mandoliniste Vincent Beer Demander a ouvert le troisième festival de Mandoline à Marseille le 5 juillet dernier. Un pas de côté certes par rapport au jazz, mais on retrouve des compositeurs qui aiment et ont pratiqué le jazz tout en s’adonnant à d’autres musiques.
Dans ce Mission Mandoline qui présente des concertos ou oeuvres concertantes pour mandoline solo et orchestre symphonique, ce professeur du Conservatoire Régional de Marseille sort cet instrument baroque du XVIIIème de son répertoire de routine pour aller à la rencontre de grands compositeurs commeVladimir Cosma qui peut tout composer, symphonie, thème de jazz et ici caprices,écho naturel aux 24 Caprices du violoniste Paganini( également mandoliniste). La mandoline en fait est un petit luth joué sans archet mais avec une plume, un plectre. On entend ici le dernier de ces Caprices qui reprend en le déjouant un de ses thèmes les plus connus, celui du “Grand Blond avec une chaussure noire” du film de 1972 d’ Yves Robert. Le caprice est une forme libre qui s’apparente aux thèmes et variations chers au jazz où l’on peut faire sonner l’instrument de façon ludique et virtuose.
Comme le titre de l’album le suggère, c’est avec un autre compositeur de musiques de films, tout autant éclectique, Lalo Schifrin que débute le CD avec des “Variations sur un thème de Lalo Schifrin” de Nicolas Mazmanian, collègue pianiste, enseignant au conservatoire.
Chacune dessept variations de cette suite-portrait évoque de près ou de loin le thème qui se diffuse tout au long du mouvement pour éclater au final. Ce qui paraît intéressant dans la démarche de Nicolas Mazmanian est d’avoir amené toutes ses variations vers le thème et non l’inverse. La conclusion est sans appel : le thème que tous connaissent et aiment, y compris les plus jeunes, aujourd’hui encore, celui de la série, sortie en 1967!
Encore du cinéma avec un autre grand compositeur Nino Rota et son “Padrino” arrangé magnifiquement par le pianiste marseillais Christian Gaubertavec cette reprise du thème du Parrain, conçue pour la mandoline : une mélodie simple, émouvante, jouant avec la matière musicale pour en faire une miniature pour mandoline.
C’est Ennio Morricone qui nous ravit ensuite avec une “Sérénade en forme de passacaille” : une autre atmosphère lancinante et mystérieuse. Les cordes graves exposent un ostinato glissant en pizz rejoints par des trémolos frottés, riffs plaintifs sur lesquels la mandoline s’installe et mène la danse.
Claude Bollingautre fou de jazz a composé son concertino “Encore” où la mandoline swingue si élégamment avec la contrebasse . Le final est en hommage au style de Earl Hines avec lequel joua Claude Bolling en 1948 .
Il y a une réelle cohérence dans cet album qui s’écoute en tendant l’oreille, car sous la virtuosité apparaît une certaine émotion. Un ancrage populaire où des mélodies raffinées, conjuguées à l’art savant de les réharmoniser, contribuent à une vraie découverte de la mandoline.
A l’écoute du programme de l’album, on est convaincu d’avoir fait le tour des possibilités, sonorités, techniques de cet instrument. Mais on est loin d’être au bout de ce que nous réserve le toujours inventif VBD? On attend donc qu’il se mette sérieusement au jazz.
Figure familière des clubs et festivals pendant plus de six décennies, fidèle à son Nikon F1, Christian Rose, reporter-photographe, nous a quittés le 11 juillet.
Sa première photo publiée en 1965 dans Pariscope, hebdomadaire de spectacles, était consacrée au trio de Martial Solal. Il avait 19 ans. Depuis, le jazz était sa passion et il apporta sa contribution à Jazz Magazine avec régularité, mais sans exclusivité, tenant à son statut de photographe indépendant.
Si le jazz fut son terrain d’exercice majeur, Christian Rose sut saisir aussi les moments forts et les expressions de toutes les scènes de la musique (pop, rock, blues, classique). Pour s’en rendre compte, il suffit de consulter les quelque dix mille références de son site (Christian-rose-photo.com). Ou de compulser ses cinq livres, ‘Instants de jazz’ (1996), ‘Jazz Meetings’ (2003), ‘Zappa en France’ (2003), ‘Black and Soul’ (2004), ‘Guitares : 60 portraits de légende’ (2005).
Christian avait les qualités maîtresses du photographe : il savait s’imposer pour être au bon endroit au bon instant et se faire oublier pour capter une expression sans troubler l’artiste au travail. Membre de l’Académie du Jazz, il participait très activement à ses manifestations, toujours présent lors de l’assemblée générale votant le palmarès et à la cérémonie de remise des prix, même en mars dernier, se refusant à baisser les bras face au cancer qui finira par l’emporter.
Discret, élégant, doté d’un réel sens de l’humour, Christian Rose nous laisse l’image d’un observateur engagé de la scène musicale.
Nous perdons un ami, un pilier, et présentons nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Une cérémonie se tiendra au cimetière parisien du Père Lachaise le 19 juillet à 11h30.
Très belle incursion/excursion de Bojan Z dans des thèmes très divers (les siens, et ceux de compositeurs essentiels : Jimmy Rowles, Wayne Shorter, Charles Mingus, Horace Silver, Clare Fischer….). Le piano respire la liberté, la spontanéité, la nuance (mais aussi la fougue). La sonorité chante, parfois aussi elle rugit. Nous le suivons dans ce cheminement de liberté, souvent enchantés, et aussi fascinés. La manière dont il joue, déjoue et rejoue les sinuosités du thème de The Peacocks, ses détours dans les chromatismes du pont, tout cela dans le seul but de faire chanter l’émotion si particulière de cette merveille de composition et de forme, est un pur régal, et un grand moment de musique. On peut en dire tout autant de ce qu’il fait sur les autres thèmes : libre, inspiré, Bojan est encore et toujours un pianiste d’exception.
Régis Huby (violon, composition) , Guillaume Roy (alto), Marion Martineau (violoncelle, viole de gambe), Olivier Benoit (guitare électrique), Pierrick Hardy (guitare acoustique), Joce Mienniel (flûte), Jean-Marc Larché (saxophone soprano), Catherine Delaunay(clarinette), Pierre François Roussillon (clarinette basse), Matthias Mahler (trombone), Illya Amar (vibraphone, marimba), Bruno Angelini (piano, piano électrique, synthétiseur basse), Claude Tchamitchian & Guillaume Séguron(contrebasses), Michele Rabbia (batterie, percussions, électronique)
Malakoff, juillet 2022
Abalone / l’autre distribution
Un somptueux foisonnement ! J’avais écouté ce groupe, et cette musique, en 2018 au festival D’Jazz Nevers, et j’espérais qu’un disque viendrait. C’est fait, et l’auditeur que je suis est comblé par ces retrouvailles. Réunissant une équipe de solistes au-delà de tout éloge, c’est une musique construite sur un exigence formelle qui ne brime en rien la vitalité, le rebond, et la créativité individuelle de l’improvisation. La complicité ancienne du compositeur-leader avec une bonne partie des interprètes n’est pas pour peu dans cette réussite. Mais ce n’est pas le seul ingrédient : l’investissement individuel de chacune et de chacun dans cette musique, dans son esprit, mais aussi ce qu’elle a d’organique, de charnel, fait que l’on court de séquence en séquence, étonné et ravi de ces transitions inattendues, de ces retours obstinés de pulsations entêtantes. Au moment des premières présentations publiques de cette œuvre presque monumentale, Régis Huby avait dans un entretien évoqué Steve Reich. Mais ce qui pour moi va au-delà de cette référence, c’est qu’il s’agit d’une musique vraiment collective, avec des interprètes qui sont constamment inspirés, dans l’écrit comme dans l’improvisé : le miracle de la vie même. De la (très) grande musique ou, si l’on préfère, du Grand Art. Chapeau bas !