Zig-ZAg 2010
François Couturier (p), François Mechali(cb), François Laizeau (dm)
C’est un des « choc » de cette rentrée. La plongée dans l’album de ce trio composé du pianiste François Couturier, du contrebassiste François Mechali et du batteur François Laizeau révèle à la fois un trio rare mais aussi un superbe projet dont la charge émotionnelle ne faiblit pas un seul instant de la première à la dernière note. Il y a donc choc sur la forme mais aussi choc sur le fond. Choc sur le verbe et sur la phrase. Choc sur le « dit » et le « dire ».
Car ce qu’ils nous proposent ici c’est la découverte (pour certains) ou la redécouverte (pour d’autres) de l’œuvre d’un compositeur relativement méconnu et pourtant essentiel du XXème siècle, Frederico Mompou [1893-1987], auteur entre autres des Musica Callada et des Cancions y Danses. Ceux qui ont en tête les belles versions des Cancions données par le pianiste espagnol Jordi Maso pour le label Naxos comprendront l’évidence de cette matière précieuse, formidable matériau pour faire vivre un trio de jazz sur la base des mélodies sublimes créées par le compositeur catalan. On sait combien les jazzmen se sont inspiré de Debussy ou de Ravel. Il est évident qu’un compositeur comme Mompou leur offre la même liberté d’appropriation par de structure même de sa musique. A l’instar de Darius Milhaud, il y a en effet chez le compositeur espagnol quelque chose d’une évidente simplicité mélodique, entre accords majeurs et mineurs, résonance des harmoniques, espaces silencieux d’une musique légèrement égrenée, presque contée à la manière des berceuses douces ou au contraire d’une profondeur presque mystique. Ce qui rend la musique de Frédrico Mompou unique et terriblement émouvante. Et ce qui, à l’inverse l’oppose à une certaine école classique plus prompte à suivre les voies du dodécaphonisme cher à Arnold Schoenberg que celles des mélodies juste simples et belles de Chopin, de Satie ou de Frederico Mompou.
Dès l’ouverture de l’album l’introduction en forme de délimitation de l’espace musical permet ainsi au trio de prendre ses marques, de définir l’aire de jeu pour rendre finalement le trio vibrant, frémissant dans toute sa plénitude. L’imbrication des thèmes composés par le trio plus axés sur la pure improvisation jazz et des thèmes de Mompou se fait naturellement, comme le prolongement du geste. Le continuel retour continuel aux Musica Callada et aux Cancions comme un fil conducteur de l’album apparaît comme la mise en évidence de l’extrême beauté des formes simples des mélodies de Mompou et agit comme un véritable révélateur mettant en lumière leur poésie poignante, presque enfantine. La musique de trio est alors la continuation des espaces crées par celle du Catalan, la prolonge et en révèle la dramaturgie peut être poignante.
Et pour que le miracle se produise il fallait un trio vivant pleinement cette musique. Un trio fusionnel et cohérent. Couturier/Mechali/Laizeau c’est alors une autre évidence. Les trois hommes se connaissent parfaitement. Couturier et Laizeau parce que jadis associés dans Blackmoon. Couturier et Mechali parce qu’ils ont eu aussi l’occasion de travailler plusieurs fois ensemble ( associés notamment dans
l’album Archipel paru en 1995). Mais surtout c’est la réunion de trois immenses talents. La mise en commun d’une science et d’une passion vibrante. Couturier, maître dans l’improvisation c’est l’alliance du grave et du léger, un dénicheur d’espaces harmoniques sublimes. Mechali est assurément l’un des nos très grands contrebassiste. Jadis associé à Braxton, Mechali impose ici un jeu d’une force magnifique, portant la structure sur ses larges épaules, lui donnant à la fois vie et âme. Jamais tout à fait derrière il s’offre par ailleurs quelques solis de pure beauté. Et enfin François Laizeau, indispensable c’est le relief et la couleur de la pièce dont il dessine patiemment et savamment les contours. A la fois coloriste et polyrythmicien toujours inspiré. Le souffle du trio.
De cet alliage là naît une musique juste belle. D’une beauté rare.
Jean-Marc Gelin
Album sorti le 26 août 2010