Autoprod 2011
Jean-Michel Couchet (as, ss), Andrew Crocker (tp), Marc Abrams (cb), Peter Perfido (dm)
Il aura attendu de souffler ses 50 printemps avant de se lancer direct, du haut de la falaise et de sortir son premier album. Jean-Michel Couchet est comme ça, il prend son temps avant d'y aller ( quand on pense que l’album a été enregistré en 2004 puis mixé en 2006). Et pourtant, nous étions quelques-uns à l'avoir découvert (ou redécouvert pour d'autres) avec ce formidable big band, Ping machine dont il est l'une des pierres angulaires, une des superbes fondations dont les envolées nous ont toujours cloué le bec. Je sais même que nous l'avions écrit dans ces colonnes. Mais je dois reconnaître qu'on l'avait un peu catalogué dans la catégorie des sidemen géniaux mais trop rares, restant dans l'ombre et prenant leurs heures de gloire à l'heure de s'avancer pour prendre leur chorus avant de regagner leur siège là bas derrière.
Autant dire que je me suis littéralement rué sur son album lorsqu'il me l'a envoyé, curieux de découvrir de quoi cette première galette serait faite, et surtout de découvrir ses propres inspirations. Et l'on a de quoi vous confirmer aujourd'hui ce que l'on savait hier : Jean Michel Couchet fait bel et bien partie de la classe des très très grands altistes. Dans cet album en effet où il puise dans la tradition ici sublimée, rappropriée, Jean-Michel Couchet va chercher, au-delà de ses propres compositions, vers celles notamment de Ornette Coleman dont on sent bien que les premiers quartet avec Don Cherry sont une source inépuisable d'inspiration pour lui. A l'instar de son aîné légendaire, notre saxophoniste fait la brillante démonstration que le jazz, au-delà de la science de l'improvisation, est affaire de puissance contrôlée et d'énergie, d'urgence à dire, d'urgence à exprimer cette palette large de sentiments qui va de la passion forte à la passion douce. Ainsi Happy House d'Ornette ( justement) laisse place à la pétillance du jeu partagé avec le trompettiste americano-parisien, Andrew Crocker dans le pur esprit d'un quintet libéré comme l'on en fait plus beaucoup. Au-delà du cadre formel il y a la place laissée à l'émergence de la phrase, l'émergence du swing, les questions et les réponses qu'ils se lancent tous les quatre comme des défis, comme si c'était pas prévu, comme si ça venait du spontané, du pas calculé, du qu'il faut se dire absolument là tout de suite, parce que c'est le moment, parce que le tempo est bon et qu'ils sont là tous les 4 embarqués dans la même histoire et qu'on ne sait pas trop où tout cela va les mener. Mais aussi ce jeu en trio dans cet In another Life où tout est affaire de sensibilité ( ce que j'imagine on appelle le feeling), ce soft beat où excelle l'art de faire surgir la note bleue, où le trio s'enroule, lascif dans un pur plaisir du jouer et de se laisser porter par la vague de l'alto de notre serviteur.
Jean-michel Couchet excelle, porte la vague à lui tout seul, semble porter toute une histoire du jazz dont il fait là l'admirable synthèse. Car Jean-michel Couchet a compris que dans le jazz tout est dans la colonne d'air. Celle qui va de la plante des pieds au cerveau. Celle qui lui donne l'aisance, la fluidité, le son, le lyrisme au phrasé qui swingue, l'art de se promener dans les espaces de l'harmonie et enfin la puissance du geste qui dynamite tout. C'est ça Jean-michel Couchet + ce syncrétisme du jazz moderne qui regarde devant.
Jean-marc Gelin