10 ans déjà qu’ils ouvrent la saison des festivals d’été en animant le mythique quartier de Saint Germain des Près. 10 ans que Fred (Charbaut) et Donatienne (Hantin) propagent dans la capitale leur amour du jazz avec la flamme des passionnés. À l’écoute et à l’affût, ces deux-là s’investissent depuis 10 ans dans ce qui est assurément l’une des plus belles réussite festivalières. Avec une générosité grosse comme ça, et une fidélité à toute épreuve Fred et Donatienne ont le jazz gourmand. Pétillants à l’idée des belles rencontres qu’ils suscitent ( on a encore en tête par exemple la belle initiative d’avoir réunit Bojan Z et Petra Magoni autour du Blanc des Beatles), ces deux-là ont aussi à cœur d’être autre chose que de simple programmateurs. Multipliant les lieux du jazz, des plus institutionnels ( académiques presque) au plus populaires ( les Starbucks par exemple), Fred et Donatienne vont à la rencontre des autres (jusqu’à organiser de concerts en milieu pénitentiaire), ouvrent à d’autres horizons du jazz ( jazz et littérature, jazz et Photo) et s’ouvrent aux jeunes talents à qui ils offrent un tremplin. Fred et Donatienne ont le jazz contagieux. Et ce qu’ils nous transmettent, c’est de l’amour du jazz, de la passion et une bonne dose d’amitié. Ouverte à qui veut bien passer la porte.
© Jérémy Charbaut
Dans quel état d'esprit abordez vous cette 10ème édition et que représente pour vous ce 10eme anniversaire ?
FRED ET DONATIENNE : Plutôt sereinement car le stress des premières années a disparu.
Ce 10è anniversaire nous permet de réaliser que plus de 1000 musiciens ont joué au festival avec une majorité de français. Nous bénéficions d'une équipe extraordinaire de personnes passionnées et de très grandes qualité professionnelles, qui n'en sont plus à leur premier festival non plus ce qui permet à la fois une harmonie dans l'organisation et tout le bénéfice de l'expérience. 10 ans est à la fois une longue période mais un éclair au regard des reconnaissances qui se manifestent plus massivement seulement depuis peu : celles du public, des médias et des partenaires. 10 ans marque aussi l'envie d'imaginer de nouveaux projets, non plus comme des rêves repoussés d'années en années, faute de temps, de moyens ou au regard des priorités, mais plutôt comme de futurs événements fondés sur le socle de l'expérience et des moyens réels : introduire la littérature dans le Festival, créer L'esprit Jazz Café où public et musiciens se retrouveraient après les concerts, un peu à l’instar de ce que nous avons découvert à Montreux il y a quelques années.
Les lieux du festival ont changé : quels sont ceux qui restent, qui
disparaissent et ceux qui apparaissent ?
F&D : Pour info, restent la MCM, L’église St Germain des Prés, L’hôtel Lutetia, Le Show Case
Disparaissent pour l’instant L’amphi de Sciences Pô (à cause des examens), l’amphi de la Sorbonne (frayeur après annulation de l’année dernière)
Nouveaux lieux, l’Institut océanographique, l’Institut Pasteur, le théâtre de l’Odéon, l’hôtel Méridien.
Ce festival est un véritable apprentissage philosophique de la vie et les lieux qui changent beaucoup en sont une très bonne illustration. Nous installant souvent le temps d'un soir dans des lieux appartenant aux patrimoines historique, culturel, architectural ou intellectuel du quartier, nous prenons les risques des "one shot", car tous ne sont pas destinés à accueillir des concerts live et parfois une seule date s'avère possible ! Cela apporte des découvertes magnifiques comme l'amphithéâtre Richelieu de La Sorbonne, l'Institut Océanographique, construit en 1910 et alors entouré de parcs, l'auditorium en bois de l'Institut Pasteur, construit grâce aux dons de la Duchesse de Windsor, le bouleversant Théâtre de l'Odéon qui fut en rénovation pendant plusieurs années, les salons des hôtels Méridien et Lutetia et des renouvellements impossibles comme Sciences Po, en période d'examens, ou l'église Saint Sulpice en travaux. Nous passons une période à la fois tendue et passionnante de recherche de nouveaux lieux remarquables dans le cadre de la préparation, qui ouvre des portes inimaginables sur des lieux saisissants, auxquels nous renonçons parfois ; toute l'équipe s'y met et des surprises sont encore à venir...
Pas de concert en club, à l'exception de ceux du Tremplin. Pourquoi ? Est ce dans un souci de démocratiser le jazz ou est-ce une contrainte ?
F&D : Il ne s'agit pas d'une question simple. D'une part, et à notre plus grand regret, de nombreux clubs ont disparu dans le 6ème comme les regrettés La Villa, Le Bilboquet ou le Montana ou le Franc Pinot dans le 5ème, à savoir des établissements consacrés à l'écoute de concerts de jazz et où l'on peut boire un verre. Par ailleurs, les clubs survivants, ou souvent bars, brasseries et restaurants qui programment de la musique live, comme par exemple le Tennessee, le caveau des Oubliettes, le caveau de la Huchette, le Montana, la Rhumerie ou Chez Papa sont indépendants dans leur programmation musicale et souhaitent le demeurer. Enfin, l'inscription dans le cadre du festival peut susciter des frais supplémentaires pour ces établissements pour la rémunération des groupes, qui ne peuvent pas être pris en charge par le Festival sans contre-partie de billetterie, qui est rarement mise en place dans l'année.
En revanche, il est intéressant de noter que le Café Laurent de l'Aubusson, le bar du Lutetia et le Bar du Bel Ami, les hôtels partenaires du Festival, font une programmation spéciale à cette période où l'on pourra écouter de remarquables musiciens comme Christian Brenner et ses invités, Daniel Rocca et son trio accompagné par des chanteurs (ses), ou encore des pianos solos de Manuel Rocheman ou Nico Morelli.
Cette année encore les pianistes sont mis à l’honneur. Parti pris de programmation ?
F&D : Outre le fait que nous aimons les pianistes, il y a aussi le hasard (heureux) qui fait que la même année se retrouvent Yaron Herman, Jacky Terrasson, Jean Pierre Como, Murat Öztûrk, Edwin Berg ou Giovanni Mirabassi. En revanche, depuis plusieurs années, nous avons institué la Nuit du piano à l’Eglise St Germain des Prés en invitant des pianistes à se produire en solo. C’est ainsi que Brad Mehldau, Yaron Herman, Martial Solal, Kenny Barron ou Jacky Terrasson ont été programmés. Cette année nous aurons le bonheur d’y écouter Michel Legrand et Bojan Z. Et puis comment imaginer un festival de jazz sans pianistes leaders ?
Quels sont les chiffres du festival :
Nombre de spectateurs l'an dernier ?
F&D : Entre 12 000 et 15 000.
Nombre de concerts ?
F&D : Une quarantaine
Nombre d'artistes ?
F&D : Environ 200
Nombre de spectateurs attendus pour cette année ?
F&D : Le plus possible (rires !) Plus sérieusement, nous avons ouvert la billetterie sur Internet dès février cette année et ainsi qu'une boite mail sur le site pas encore en ligne à cette époque. La bonne surprise a été le démarrage des ventes dès la mise en ligne et les nombreuses demandes en provenance de l'étranger (personnes anglophones) sur la programmation et l'achat de places à distance. A ce jour, nous avons déjà deux concerts complets qui sont une immense satisfaction : Richard Galliano au Théâtre de l'Odéon et la nuit Jazz and Soul avec Ben L'oncle Soul, et en première partie Abyale + DJ Funky JV. Les ventes se passent bien dans l'ensemble avec toujours les tête d'affiches internationales qui attirent en priorité. Tout notre travail consiste à gagner la confiance du public et que le Festival JAZZ à SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS devienne un label de qualité et de découvertes bouleversantes (comme Jacky Terrasson en 2001, Norah Jones, premier concert en France au festival en 2002, Mina Agossi en 2004, Yaron Herman en 2005, Ndidi O. l'an dernier, la regrettée Marva Wright en 2006 accompagnée par l’orgue de Lucky Peterson à l’église St Sulpice ou le retour de Sam Moore en 2004 accompagné par un chœur de gospel dans cette même église, la rencontre de Georgie Fame et de Ben Sidran en 2007, cette même année Laurent de Wilde et son trio qui invite Abd Al Malik, etc…) et que ce public ait aussi l'envie et la curiosité de passer la soirée en compagnie de Portico, de Murat Osturk et Jean-Pierre Como ou de découvrir le réjouissant projet de Diane Tell et Laurent De Wilde sur des textes inédits de Boris Vian écrit sur les plus grands standards de l'histoire du Jazz.
Nous prenons vraiment très à coeur de faire découvrir tous les ans, à travers les premières parties ou soirées plus audacieuses, les artistes de demain ; et sans aucune modestie, nous sommes fiers d'avoir compté tant de musiciens devenus de grands talents aujourd'hui. Il est de notre devoir de penser à ceux qui enchanteront les foules d'ici quelques années dans d'autres festival offrant aussi la possibilité d'accueillir un public très nombreux sur des lieux aux capacités que nous n'avons pas sur le territoire du Festival.
Comment se finance le festival ?
F&D : Le Festival est un alliage, dont nous tendons à équilibrer les proportions afin de minimiser les risques, entre : les partenaires privés, les mécènes, les partenaires public et la billetterie. Il est très composite et cela nous plaît car, bien que cela représente un travail de titan et de longs mois de préparation impliquant beaucoup de personnes, cela reflète l'idée qu'un grand événement est le fruit de la mise en commun de moyens différents dans leur nature et leur montant. N'est-ce pas là encore un clin d'oeil philosophique à nos vies quotidiennes ? Que certes, nous aimerions idéalement simplifier en un seul et (très) gros chèque, mais nous avons appris a faire la part du rêve et de la réalité. Pour ce qui est du financement, nous gardons les pieds sur Terre, laissant les rêves s'exprimer dans l'artistique et cela fonctionne pour l'instant pas trop mal (sourires).
Quels seront selon vous les moments forts ?
F&D : Difficile de privilégier tel ou tel événement, car tous nos concerts sont mijotés, choisis et attendus avec impatience. Mais les rencontres et les créations sont toujours très excitantes comme Yaron Herman en quartet inédit (avec entre autre Michel Portal), Térez Montcalm et son quartet qui accueillera en guest David Linx, Géraldine Laurent et un invité surprise. Il n'est toutefois pas possible de répondre à cette question sans citer Richard Galliano et son quintet à Cordes au Théâtre de l'Odéon. Cette soirée réunit tout ce dont nous rêvons pour chaque concert du festival ; un plateau exceptionnel pour une occasion exceptionnelle : la sortie du nouvel album de Richard Galliano, ce maître et pionnier à la fois qui parle de violon dans sa main droite et de violoncelle dans sa gauche à propos de son instrument (l’accordéon), et d'un lieu exceptionnel qui ne s'ouvre que très, très rarement à la musique. Nous voudrions y rajouter tout un étage pour l'occasion !
Le jazz est une culture qui passe, pour nous, aussi par la photographie qui produit des émotions très fortes. Philippe Lévy Stab a mené un travail, comment le qualifier..., à la fois inouï, patient et remarquable auprès des musiciens de New-York "qui SONT le jazz" pour lui et accroche dans le bar et la brasserie du Lutetia leurs portraits. Il a accompagné ces portraits de photographies des ponts de la ville, pour le symbole qu'ils incarnent : ce lien, ces ponts si présents dans la musique jazz, depuis toujours. Outre l'indéniable force esthétique de ses images, tirages de collection qu'il réalise lui-même, les connaisseurs ne manqueront pas d'entendre ces musiciens jouer et respirer depuis leurs cadres.
Quelques habitués reviennent régulièrement ( Yaron , Terrasson) : pourquoi ?
F& D : Yaron a donné l'un de ses premiers concerts au festival en 2005 et nous étions si fans qu’il est revenu plusieurs fois passant de la première partie à la tête d’affiche. Comme il le dit lui-même « Le festival et moi, nous grandissons ensemble » . Il est bon parfois de laisser s'exprimer nos coups de coeur et d'accompagner sur le long terme des artistes comme Yaron, dont la personnalité séduit autant que le jeu.
Concernant Jacky Terrasson, Joël Leroy qui a créé ce festival avec nous, était un ami des parents de Jacky et l’a donc connu petit et vu évoluer musicalement. Il avait très tôt détecté le futur grand pianiste en lui. En 2001, pour la première édition, Jacky était naturellement invité à jouer. Malheureusement, Joël est décédé quelques jours avant le festival et Jacky, très affecté, nous a demandé ce que nous pourrions faire ensemble car il n’était pas imaginable que l’aventure s’arrête là. En sa mémoire, Jacky a décidé de venir chaque année avec un nouveau projet, comme cette année avec son nouveau trio. Il a été notamment le premier à inaugurer de nouvelles salles, comme l’institut Océanographique cette année.
Comment choisissez vous les musiciens ?
F&D : En priorité parce que nous aimons leur musique. Nous avons la chance de recevoir une bonne partie des nouveautés des maisons de disques
et d’assister à pas mal de concerts. Nous sommes toujours très heureux de pouvoir découvrir des nouvelles formations et imaginer, en discutant avec les musiciens, des rencontres musicales qui ne sont pas forcément évidentes tout de suite . C’est ainsi, par exemple, qu’en 2008 nous avons imaginé de faire se rencontrer Bojan Z et la chanteuse Petra Magoni pour un hommage au « Double Blanc » des Beatles qui avait 40 ans, ou l’idée folle de mettre sur une même scène Jan Garbarek, Jacky Terrasson, Manu Katché et Rémi Vignolo. La connaissance personnelle avec certains musiciens et le remarquable travail d'accompagnement des agents et managers permet l'échange sur des idées, la meilleure connaissance des choses et l'alchimie se fait ainsi. C'est ainsi que 15 jours de programmation sont le fruit de plus de 25 ans d'écoute et de rencontres. Les propositions sont évidemment toujours les bienvenues et, en particulier, celles provenant des personnes jeunes de notre équipe qui ont des oreilles nouvelles. Il est important de les solliciter.
Dans le cadre du tremplin jeunes talents, comment sélectionnez vous
les candidats ?
F&D : Chaque formation candidate qui aura répondu aux critères de sélection (pas d’album commercialisé, jouer des compos) est retenue. Ensuite après écoute, neuf groupes se retrouvent candidats. L'information est diffusée auprès des clubs de jazz, des studios et des conservatoires.
Le jury composé de professionnels de la musique (Sacem, compositeur, musicien, journaliste…) constatent avec nous la qualité croissante des musiciens tant artistiquement que techniquement. Ceci donne envie de dire que la relève est assurée.
Les groupes vainqueurs des éditions précédentes (Anne Pacéo trio, S Mos 5tet, Inama, …) sont suivis et programmés dans le cadre du festival l’année suivante.
Votre rêve le plus cher pour ce festival ?
F&D : Que le public et les musiciens prennent du plaisir, comme nous, que l’équilibre financier nous permette de pérenniser ce festival ; que Saint-Germain-des-Prés redevienne synonyme de rendez-vous jazz incontournable au moins une fois par an dans le monde entier ; que Paris, dont Miles Davis disait qu'elle est la capitale de la musique (!) soit fière de compter un rendez-vous annuel musical où têtes d'affiches et nouveaux talents se côtoient ; que les médias donnent envie au public d'éteindre la télévision pour retrouver le plaisir de déambuler le soir après un concert-plaisir dans l'un des quartiers les plus agréables de la capitale ; que la musique nourrisse le public en profondeur et qu'aucun d'entre nous ne puisse plus jamais s'en passer, car les musiciens sont des funambules sur un fil d'argent qui ont choisi de délivrer leur empreinte émotionnelle au monde et qu'il est indispensable de ne pas passer à côté de ce partage.
et pour ceux à venir ?
F & D : Que nous ayons la chance de travailler avec une équipe aussi sublime le plus longtemps possible car cela a des conséquences indéniables sur le rendu final du Festival. Et que nos partenaires, tous, soient toujours aussi heureux de contribuer à laisser nos rêves s'exprimer, car la réserve en est pleine.
Propos recueillis le 11 mai 2010 par Régine Coqueran et jean-Marc Gelin
Le site du festival
Et la programmation....
Premier rendez vous sur la parvis de l'Eglise de Saint Germain à la découverte de les chanteuses de jazz, dimanche 16 mai. Accès libre et gratuit.