FUTURA 2009
Sophia Domancich (p), William Parker (cb), Hamid Drake (dm)
Il y a des personnalités incontournables sur la scène du jazz. Assurément le duo que forme ensemble William Parker et Hamid Drake est de ceux là. On a souvent vanté leur façon quasi-télépathique de jouer ensemble, de se fondre dans les pas de l’autre. Sorte d’entente surnaturelle qui de concert en concert ne se dément jamais. Et lorsque ces deux-là accueillent auprès d’eux une autre personnalité incontournable, celle de la pianiste Sophia Domancich, la magie de l’instant ne manque pas d’opérer. Et s’il est des concerts qui méritent absolument d’être gravés dans la cire, celui que ce trio donna un soir de juillet 2008 en est un. Hommage en soit rendu à Gérard Terrones et son label Futura Marge pour avoir su saisir l’importance de l’événement et laissé traîner ses micros du côté de la scène de la rue des Lombards. Car ce concert-là est tout bonnement exceptionnel. Sophia Domancich est dans le jazz. Elle incarne le jazz dans son jeu exaltant, exultant, dans l’intelligence de l’improvisation, en quête continue de la construction de la phrase suivante. Il y a dans cette façon de jouer le jazz, une façon de le vivre intensément, intelligemment mais aussi avec les tripes. Il y a du Cecil Taylor dans ce jeu-là. Dans ce jeu qui danse, qui s’interrompt et repart en scansion, en tensions et en relâchement. Rien d’étonnant alors qu’à ses côtés William Parker ,ancien compagnon de jeu du pianiste de Long Island y trouve son compte. Comme dans un univers qui lui est familier et où il peut lui aussi scander la pulse, faire rebondir le tempo ou le colorer par de judicieux coups d’archets. Hamid Drake est encore une fois un monument d’inventivité, de science de la relance sans frénésie, sans frémissement mais avec une autorité qui l’installe en maître du temps. Juste trois morceaux. Après un premier thème composé collectivement (Washed away), le trio suspend le temps avec un thème profond et grave de Mal Waldron ( The Seagulls of Kristiansund). Superbe. Mais le moment fort de ce concert, sorte d’apothéose, est l’interprétation que le trio livre de Lonely Woman. Conçue comme une suite de 36’27, cette version passe par d’incroyables chemins entre improvisation libre et revirement, changements de direction dans le cours, dans le flot de la musique collectivement inspirée. Ces trois-là nous font passer par d’innombrables détours au point d’en oublier le thème qui n’était là que comme point de départ. William Parker, Hamid Drake et Sophia Domancich fusionnent et apportent enfin la transe, celle qui tourne et atteint des sommets dans un moment où les ostinatos rejoignent l’extase dans un moment de possession du rythme. Magique et intense ! Jean-marc Gelin