JJJ edouard BINeau / sebastien texier: “L’obsessioniste” Le Chant du Monde 2007
Le propos de cet album en duo est tout entier centré sur la poétique. Cette poésie singulière qui trouve son inspiration profonde dans l’œuvre du Facteur Cheval, ici « l’obsessioniste ». A l’occasion du festival de jazz « Jazz au palais », Edouard Bineau eut l’occasion en 2004 de jouer au Palais Idéal, l’œuvre architectural du Facteur Cheval, symbole de l’Art Naïf.
L’histoire en elle même est magnifique. « En avril 1879, durant l'une de ses tournées, le pied de Ferdinand Cheval buta contre une pierre, manquant de le faire tomber sur le chemin. Son œil ayant été attiré par la forme curieuse de la pierre, il la ramassa et la glissa dans l'une de ses poches avec l'intention de la regarder plus tard à tête reposée. Le lendemain, repassant au même lieu, il constatait la présence d'autres pierres ayant des formes encore plus singulières et, à son goût, plus belles que celle qu'il avait trouvée la veille. Il se fit alors la réflexion que, puisque la nature pouvait « faire de la sculpture », il pourrait très bien lui-même, fort de ses longues rêveries préparatoires, se faire architecte, maître d'œuvre et ouvrier dans la construction d'un « Palais idéal ». Durant les 33 années qui suivirent, Ferdinand Cheval ne cessa de choisir des pierres durant sa tournée quotidienne. Revenu à son domicile, il passait de longues heures à la mise en œuvre de son rêve, travaillant de nuit à la lueur d'une lampe à pétrole. Cheval passa les vingt premières années à construire la façade est du Temple de la nature. Ferdinand Cheval acheva la construction du Palais idéal en 1912. »
A partir de cette histoire folle, cette obsession grandiose, cette magnifique folie qui fonde l’homme, Edouard Bineau a conçu le projet d’un album très intime racontant avec douceur l’histoire de ce Palais Idéal. Avec le saxophoniste Sébastien Texier (au soprano ou à la clarinette), Edouard Bineau semble partager la même tendresse pour leur sujet. Deux musiciens connivents murmurant comme on raconte entre enfants des histoires merveilleuses à la nuit tombée. Entre nostalgie et discrète mélancolie, les auteurs alternent les formats en solo ou en duo. Le thème Ideal Circus, point de départ du projet (le thème avait été composé en 2004 en hommage au Facteur Cheval), marque un moment fort de l’album. Mais l’exercice est difficile et l’on accède beaucoup moins aux petits clins d’œil, dont ce Ricochet comme une autre histoire de petits cailloux dont le thème central rappelle la musique de Yann Tiersen ( Amélie Poulain).
Avec un souci assumé de l’anachronisme, cet album possède la couleur sépia des musiques du début du siècle dernier. La dialogue piano / Clarinette évoque parfois certains lied de Fauré pour une musique de chambre à la poésie intacte. Au charme délicieusement désuet.
Jean-Marc Gelin