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10 janvier 2023 2 10 /01 /janvier /2023 18:24

Emmanuel Borghi (piano, composition), Théo Girard (contrebasse), Ariel Tessier (batterie)

Les Lilas, 2-3 mai 2022

Le Triton TRI-22572 / l’autre distribution

 

Sans renier le trio qu’il constitue par ailleurs avec Jean-Philippe Viret et Philippe Soirat, le pianiste s’est lancé dans cette nouvelle aventure avec des partenaires de la nouvelle génération. Et après avoir improvisé avec eux de manière informelle, il leur a proposé d’enregistrer ces compositions. Ces petites graines de créativité, qu’il convient d’arroser pour en faire surgir le meilleur, il les a conçues, durant les confinements, à partir de ses réflexions sur la musique dodécaphonique. Le jazz a tenté, dès les années 30, et surtout après 1945, l’abandon du système tonal. Le compositeur et chef d’orchestre Rolf Liebermann formalisa cette démarche avec ambition par son Concerto pour jazz band et orchestre, créé en 1954 au festival de musique contemporaine de Donaueschingen par l’orchestre symphonique et le big band de jazz de la radio de Baden-Baden, avant d’être repris et enregistré aux USA et ailleurs par des chefs qui comprenaient mieux le jazz…. Une foule d’entreprises furent conçues par les jazzmen dans cette direction. Le grand intérêt de ce disque, et de sa musique, c’est de ‘penser jazz en trio’ tout en composant des lignes qui échappent à la tonalité. La qualité des partenaires n’est pas pour peu dans la réussite du projet : ils ne sont pas frileux, et se jettent à corps perdu dans l’aventure. Les thèmes sont tendus, car ils dérogent à nos repères en matière de mélodie, mais ils nous parlent de manière immédiate. Dans les improvisations, on voit resurgir parfois des centres de tonalité, mouvants et éphémères. Et ici ou là le souvenir du blues, ou le fantôme du grand Thelonious. Hardie mais pas ardue, cette musique accomplit son ambition car elle est pensée très artistement. Une réussite, à n’en pas douter.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

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7 janvier 2023 6 07 /01 /janvier /2023 18:51
  ICHIRO ONOE            MESSAGES FROM WATER 

MESSAGES FROM WATER   ICHIRO ONOE

 

PROMISE LAND / SOCADISC

Sortie 11 janvier 2023 et Concert le 11 Janvier au SUNSIDE.

 

 

On pourrait dire à l’instar du texte de présentation du dernier album du batteur japonais Ichiro Onoe que sa musique est comme l’eau vive qui change et se transforme en fonction de ce qu’elle rencontre...au fil des plages. 

Dans sa quête très personnelle What I Am qui tente d’augmenter sa compréhension du monde et de ses éléments, le musicien accompagné merveilleusement par un quartet très affûté suit la forme de l’eau à la recherche de signes, après s’être essayé au vent en 2014 avec Wind Child et au feu Miyabi en 2018. Raffinement et élégance continuent à imprégner les 9 compositions originales de Messages From Water sur le label Promise land, tant Ichiro Onoe fait chanter son percussif instrument. Construites avec soin, jamais trop longues, ses compositions adoptent le caractère essentiel de fluidité de l’élément qui inspire l’album.

Le “Diabolus Surf” initial démarre avec un groove irrésistible, bancal mais jamais chancelant d'un pianiste très monkien. Morceau de bravoure, le titre éponyme est présenté une première fois avec le chant de Thierry Péala qui sculpte la mélodie, eau bondissante qui se fraie un chemin du ciel à la mer, des montagnes aux rivières et la version instrumentale souligne les sinuosités de ce parcours accidenté. Dans la ballade “Ermitage” interprétée avec un juste mélange de ferveur et de mélancolie, le saxophone ténor de Geoffroy Secco donne sa pleine mesure alors que le batteur lance une pluie d’étoiles avant de finir par des résonances plus sourdes.

D’une pièce à l’autre, on bascule dans des climats différents, intrigant dans ce “Still Emotion” qui porte bien son nom où le pianiste Ludovic Allainmat valorise les détails de variations atmosphériques. Dans le “Flap’n Flow” qui suit, on ressent les nombreuses ruptures rythmiques qui ne perturbent pas les envolées vibrionnantes et insistantes du saxophoniste. Dans“Resistant” le Fender constitue un alliage fort avec le saxophone. Car tous participent de l’éclat comme de la vitalité de cette musique sans négliger des respirations comme dans “Stabiliology” qui donne la main au contrebassiste Damien Varaillon auquel s’arriment les membres de l’équipage. Autour de cette source fraîche, entretenue avec aisance, style et tempérament, sensibilité et sensualité, les différentes compositions font une ronde qui nous enveloppe de bonnes vibrations jusqu’au final alerte et rebondissant.

Compositeur impressionniste, musicien poète, Ichiro Onoe sait nous éloigner du chaos du monde dans la persistance d’un chant qui sait monter en puissance avec le jeu de son groupe. Du jazz comme on l’aime vraiment !

Sophie Chambon

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6 janvier 2023 5 06 /01 /janvier /2023 09:57

Disponible sur Arte.fr et dans les salles le 11 janvier 2023.

 

     En décembre 1969, Thelonious Monk débarque à Paris, étape d’une tournée européenne, pour un concert à la Salle Pleyel (le 15), et répond à cette occasion à l’invitation de l’ORTF pour une prestation en solo et un entretien avec Henri Renaud qui feront l’objet d’une émission télévisée, « Jazz Portrait » (31 minutes), réalisée par Bernard Lion et diffusée (en noir et blanc) le 28 janvier 1970.


    Le documentariste Alain Gomis  apporte aujourd’hui sa vision personnelle (et vivement controversée, on le verra) de cette rencontre dans ‘’Rewind & Play’’, montage de 65 minutes des rushes  de deux heures détenus par l’INA.
 


     « Les rushes qui ont été conservés nous montrent un Thelonious Monk rare, proche, en proie à la violente fabrique de stéréotypes dont il tente de s’échapper. Le film devient la traversée de ce grand artiste, qui voudrait n’exister que pour sa musique. Et le portrait en creux d’une machine médiatique aussi ridicule que révoltante. » indique le dossier de presse consacré au film coproduit avec l’INA, disponible sur le site Arte.fr et diffusé en salles le 11 janvier prochain.

 

« Renverser l’angle » des images


« Henri Renaud n’est pas journaliste, mais pianiste de jazz, pourtant il en endosse le costume aussi maladroitement qu’avec zèle, analyse Alain Gomis. Il développe sa vision fascinée d’un génie incompris, d’un artiste maudit avant la consécration... On sent bien qu’il est admiratif, mais le décalage est profond. Il semble lui-même le jouet d’un engrenage ».

     Convaincu de la nécessité de « se ressaisir des archives et leur donner de nouvelles lectures », le documentariste franco-sénégalais s’est ainsi attaché à « renverser l’angle avec lequel les images ont été filmées » et à « montrer la machine qui fabrique des points de vue tout sauf neutres et comment la télévision montre un musicien noir à cette époque ».

 

     Le montage sélectif effectué par Alain Gomis présente ainsi les différentes « prises » de l’interview de Monk (1917-1982) où l’on voit Henri Renaud (1925-2002) formuler ses questions, marquer des temps d’arrêt, hésiter, reprendre sa formulation. Rien que de très habituel dans ce type d’exercices pour un journaliste professionnel même si l’intervieweur occasionnel semble vraiment peu à l’aise dans cet emploi. L’amateur de jazz lui aussi se sent pris d’un certain malaise face au traitement réservé à Henri Renaud accusé par le réalisateur de « condescendance » vis-à-vis de Monk tout au long de l’entretien. Serait-il dans l’ignorance des liens amicaux existant entre les deux pianistes qui remontent alors à une quinzaine d’années : c’est Henri Renaud qui fit venir pour la première fois à Paris Thelonious Monk en 1954, qu’il considérait alors comme « un des artistes les plus puissamment originaux de notre époque » ? Serait-il aussi dans l’ignorance du caractère « taiseux » de Monk qui ne goûtait guère (un euphémisme) les interviews et cultivait l’art du silence comme personne, laissant plus d’un interlocuteur pantois, même le plus pointu soit-il ? Et encore passons-nous sous silence les commentaires haineux déclenchés par le documentaire sur la blogosphère où certains qualifient Henri Renaud de musicien « bourgeois » et « raciste » !

 

Monk et Renaud, des amis de longue date

 

    

     Les connaisseurs de Monk remarquent plutôt dans cet interview le regard amusé, empathique du compositeur d’Evidence face à un confrère qui « connaît la musique », respecté par ses pairs pour ses talents de musicien et de producteur (« Henri Renaud ? le grand genre » saluait Claude Carrière). Dans ''Blue Monk'' publié en 1995 par Actes Sud, Jacques Ponzio et François Postif écrivaient à propos de l’émission Portrait de Jazz : « il est évident qu’il (Renaud) connaît Monk depuis longtemps et que celui-ci l’apprécie ». Ayant visionné « Rewind & Play », les spécialistes de Monk contactés aujourd’hui par nos soins n’ont pas manqué de manifester leur « étonnement », leur « effarement » devant une telle relecture de l’histoire, devant une telle utilisation de rushes « simplement jetés en pâture au public ».

 

   

     Et la musique de Monk, me direz-vous ? Filmé au plus près, et disponible en couleurs avec gros plans sur un visage transpirant sous les projecteurs et sur les mains avec bagues aux petits doigts, Monk tel qu’en lui-même, fumant, s’abreuvant, joue en solo du Monk (Misterioso, Round Midnight…). Une heure de bonheur pur qui figurait sur le DVD publié par Mosaïc en 2011 en partenariat avec l’INA et présentant en bonus quelques images du séjour de Monk à Paris et des extraits de son entretien avec Henri Renaud, enrichis d’un livret éclairant. Un DVD hélas difficilement trouvable aujourd’hui. Pour paraphraser la loi de Gresham, « la mauvaise monnaie chasse la bonne ».

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo Jim Marshall & X. (D.R.)

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30 décembre 2022 5 30 /12 /décembre /2022 12:56
Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.
Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.

Franck Bergerot

John Coltrane

Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne

Jazz Image records, 2022.

 

On croyait que tout avait été dit, écrit sur John Coltrane mais le saxophoniste, cinquante-cinq ans après sa disparition, le 17 Juillet 1967, continue à inspirer musiciens et chercheurs. Une œuvre qui traverse le temps et continue d’interroger. Franck Bergerot a mis à profit ses compétences de critique pour commenter l’une des étapes marquantes de l’évolution coltranienne, la révolution de Giant Steps.

John Coltrane virtuose et révolutionnaire? Sauf que quand l’histoire commence (John Coltrane, Giant Steps, La pierre angulaire du jazz moderne sorti chez Jazz Image Records), Coltrane a vingt-cinq ans «et peine encore à s’imaginer un avenir. Rongé par le doute, il était avide de savoir. La Connaissance serait la grande affaire de ce petit-fils de pasteurs. Il s’élancerait bientôt vers elle «à pas de géant» avec l’album Giant Steps».

L’auteur appuie son travail de recherches sur une bibliographie sérieuse mais aussi une écoute attentive de cette musique, un travail de défrichage des terres coltraniennes, en retraçant les reliefs et dépressions d'un itinéraire obstiné. Une occasion de le mettre à jour, de confronter ses connaissances au mythe.

Coltrane n’a jamais cessé, en effet, dans sa quête insatiable de sens, de travailler, d’enregistrer, de chercher. On le suit pendant ses années de formation où, influençable, il se nourrit de rencontres, se perfectionne aux côtés de Dizzy Gillespie avec lequel il grave ses premiers solos de sax ténor, sans avoir encore de personnalité propre. Le tournant, il le vivra avec le premier quintet de Miles Davis qui sait provoquer la créativité de ses musiciens, et plus encore avec Thelonius Monk au Five Spot de New York. Ce court passage chez le pianiste l’inspire : il usera bientôt de la vitesse à l’état pur avec ces rafales de notes en grappes, ces “sheets of sounds” selon Ira Gitler, critique à Downbeat.

Il use de «beaucoup de notes, comme s’il faisait ses gammes sur scène». Des nappes de son comme avec une harpe, instrument qui le fascine -sa dernière femme, Alice en jouera d’ailleurs!

Soultrane signé sur Prestige chez Rudy Van Gelder annonce l’ émancipation de la période Atlantic. Mais il faudra d’abord en passer par le retour chez Miles avec un nouveau sextet, une session chez Blue Note (Blue Trane) et les deux séances de Kind of Blue intercalées avec les enregistrements de Giant Steps, marquant l’arrivée chez Atlantic, chez Tom Dowd, pionnier de la stéréophonie. Plusieurs rendez-vous, sessions supervisées par le producteur Nesushi Ertegun ( 26 mars, 4 et 5 mai, 2 décembre) seront nécessaires pour graver ces titres mythiques, une première pour Coltrane qui a écrit l’ensemble de ces compositions, références à son entourage familial «Cousin Mary», «Naïma», «Syeeda Song Flute», à son partenaire Paul Chambers «Mr PC». Car sa vie reste indissociable de son oeuvre.

Dans un développement passionnant, Franck Bergerot détaille la révolution de «Giant Steps» et de ce "Countdown" au tempo effréné ou l’harmonie au grand large dans lequel Coltrane enjambe le cycle des quintes, en créant des graphiques- mandalas qui lui permettent d’explorer les modulations ou changements de tonalité. Usant à son tour d’une représentation cartographique, il met au point par des métaphores maritimes, dans une recréation transposée tout à fait passionnante, une navigation au grand large, le long de la côte méditerranéenne, qui prend la forme d’une merkabah juive.

Il insiste aussi sur ce qui fait l’originalité de ce disque, qui ne perd pas pour autant sa qualité «chantante», son lyrisme avec « une comptine, un air de fête et des nymphéas ».

Pour finir, Franck Bergerot souligne l’exceptionnelle influence des solos de «Giant Steps» et «Countdown» dans l’imaginaire des plus grands musiciens de jazz, saxophonistes, pianistes, guitaristes jusqu’à la version toute récente de la  chanteuse Camille Bertault.

L’aventure ne s’est pas arrêtée là. Si cet album sonne le départ de la carrière météorique de Trane, il n’est qu’une étape dans son parcours : d’autres suivront où il continuera son expérimentation, creusant son obsession du plein, son cheminement intérieur vers l’avant-garde. Mais ceci est une autre histoire que l’on espère suivre bientôt sous la plume érudite mais toujours d’une grande lisibilité de Franck Bergerot. 

Un livre que les amoureux du jazz  liront d'une traite  en regardant les illustrations des plus grands photographes tout en écoutant le CD incluant toutes les plages de Giant Steps avec en bonus cinq titres choisis par l'auteur... 

 

Sophie Chambon


 

Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.
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26 décembre 2022 1 26 /12 /décembre /2022 17:25
BANDES ORIGINALES    THIERRY JOUSSE

BANDES ORIGINALES THIERRY JOUSSE

B.O! Une histoire illustrée de la musique au cinéma

Editions EPA/ Radio France

 

Voilà un livre parfait (et pas que pour les fêtes), un cadeau intelligent qui plaira aux amoureux de toutes les musiques, aux néophytes comme aux cinéphiles les plus avertis.

On ne peut que rendre hommage au travail nécessaire et remarquable de Thierry Jousse, qui vient combler une lacune aussi ancienne que profonde. A cause de l’étendue de l’entreprise, ses Bandes originales acquièrent le statut d’une référence désormais incontournable. Un livre de savoir, facile à lire qui se parcourt comme un roman, un geste d’amour de l’auteur, résultat d’années de passionnantes émissions sur le cinéma et la musique de films Cinéma Song (2011- 2015), actuellement Ciné Tempo sur France Musique, diffusé chaque samedi.

Profitant de l’engouement récent pour les musiques de films-les temps changent, il réunit deux passions, soulignant les liens étroits du cinéma dans tous ses états avec toutes les musiques, rock, pop, jazz, électro, symphonique…Le livre propose une vision à la fois précise et la plus large possible de l’histoire de la musique de films. Thierry Jousse avoue avoir essayé de dresser une ligne historique cohérente qui se divise en périodes et en styles, pleine de mutations et de filiations. C’est aussi l’un des points communs avec le jazz.

Si chaque période a ses inventions et ses artistes majeurs, depuis l’âge d’or des studios hollywoodiens avec un son façonnés par des compositeurs pionniers venus d’Europe ( les Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold, Miklós Rózsa, Dimitri Tiomkin, Franz Waxman,) ce qui nous intéresse aux DNJ, c’est l’irruption du jazz comme nouvelle esthétique dans les années 1950, même si les grands n’ont pas attendu que le jazz devienne musique de film pour apparaître à l’écran Louis Armstrong, Billie Holiday, Artie Shaw.

Le jazz comme nouveau langage musical avec Elmer Bernstein (L’homme au bras d’or en 1955), Duke Ellington ( Anatomy of a murder en 1959), Chet Baker (I soliti Ignoti de Mario Monicelli en 1958). Jazz et modernité vont de pair avec John Cassavetes dès son inaugural Shadows en 1958, Shirley Clark en 1962 (The connection), Jerzy Skolimowski (Le départ en 1967 avec JP Léaud), mais aussi Roman Polanski avec  le pianiste Krzysztof Komeda.

Dans le registre du jazz avec cordes, Gato Barbieri, musicien très cinéphile, écrit le score du Dernier Tango à Paris (1972), arrangé par le saxophoniste Oliver Nelson. Citons encore la partition d’Eddie Sauter avec Stan Getz dans le curieux film d’Arthur Penn Mickey One (1965). Ou beaucoup plus tard, la musique de Naked Lunch (Le Festin nu 1992) de David Cronenberg, composée par le musicien de prédilection du réalisateur, Howard Shore, avec un autre grand soliste le saxophoniste Ornette Coleman, qui improvise sur les motifs symphoniques d’un grand orchestre.

Que dire du cas Woody Allen, le cinéaste le plus identifié au jazz des années 1930-1940? Le« vieux jazz » a fini par devenir la marque de fabrique du cinéaste, lui même clarinettiste. Dans Midnight in Paris en 2011, c’est Bechet et son fameux “Si tu vois ma mère”, dans Sweet and Low down (Accords et Désaccords, 1999), Sean Penn joue le rôle d’Emmett Ray, guitariste fictif, rival éternel de Django Reinhardt. Comme dans Zelig (1983), le personnage imaginé permet à Woody Allen de plonger dans une époque, les années 1930, et un milieu, celui des pionniers du jazz.

Dans la grande histoire du jazz au cinéma, Thierry Jousse n’oublie pas un moment français, fin des années 1950-début des années 1960. Louis Malle fait sensation avec son Ascenseur pour l’échafaud : dans la nuit du 4 au 5 décembre 1957, au Poste parisien, le trompettiste Miles Davis, entouré de Barney Wilen au sax ténor, René Urtreger au piano, Pierre Michelot à la contrebasse, Kenny Clarke à la batterie, improvisent sur les images nocturnes de Jeanne Moreau arpentant les Champs.

Même Marcel Carné, pourtant de la vieille école, violemment critiqué par les jeunes cinéastes, intègre le jazz dans Les Tricheurs (1958), un film sur la jeunesse. La bande-son permet de croiser Dizzy Gillespie, Coleman Hawkins et Stan Getz, rien que ça! Édouard Molinaro pour Un témoin dans la ville (1959), polar nerveux urbain, confie la musique au saxophoniste Barney Wilen, déjà présent dans la séance d’Ascenseur pour l’échafaud. C’est là encore une vraie réussite. Quant à Jean-Pierre Melville, grand connaisseur de jazz,  il demande à Christian Chevallier, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, la musique de Deux hommes dans Manhattan (1959) avec un thème du pianiste Martial Solal. Le cinéma français est décidément jazz. C’est l’attraction d’une nouvelle génération de cinéastes pour cette musique  : Vadim revisite les Liaisons dangereuses 1960 avec Thelonius Monk, Art Blakey, Martial Solal compose la musique d’A bout de souffle, le premier et retentissant Godard. Les premières partitions de Michel Legrand, au début des années 1960, témoignent également de son inclination réelle pour le jazz.

Mais le jazz au cinéma sera bientôt supplanté par le rock, la pop au milieu des années 1960. Le jazz n’apparaîtra plus que de façon ponctuelle dans la filmographie de grands cinéastes: parmi les vingt huit collaborations de Spielberg avec John Williams, "il en est une qui est tout à fait à part. Pour Arrête-moi si tu peux, dont l’action se déroule dans les années 1960, le compositeur renoue en effet avec ses amours anciennes pour le jazz. Le thème principal est une miniature parfaite, ponctuée par de mini cellules percussives et traversée par la voix expressive d’un saxophone très coloré. L’ensemble du score est un pur bonheur et un moment d’allégresse teinté à plusieurs reprises d’une mélancolie sous jacente".

Thierry Jousse continue évidemment son exploration de la musique au cinéma selon diverses thématiques, le nouvel Hollywood, l’électronique, les genres (de la comédie musicale au cinéma d’horreur), des décennies particulières comme 80 et 90, les cinéastes DJ, et l’émergence encore trop discrète des femmes.

Quand il étudie des couples de légende qui sont inséparables Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Nino Rota et Fellini, Sergio Leone et Morricone, il montre que le compositeur est le troisième auteur du film, Bernard Herrmann  ayant compris le rapport entre musique et image. Il sera suivi par Philippe Sarde, Alexandre Desplat...

Si Thierry Jousse a fait des choix, limité par la contrainte des pages( le livre fait 288 pages), ils ne sont pas vraiment subjectifs, le résultat est bluffant et on chercherait en vain de grosses impasses-il avoue lui même avoir négligé Georges Van Parys et Georges Auric. Mais il n’a pas oublié l’immense Maurice Jaubert disparu trop tôt (auteur de L’Atalante de Vigo, de la valse à l'envers de Carnets de Bal de Duvivier ).

L’intérêt de ce travail tient à l’abondance des exemples répertoriés selon plusieurs axes, pas toujours chronologiques qui restent accessibles grâce à la présentation claire des éditions EPA, aux illustrations et aux explications fournies. Des annexes pertinentes, une bibliographie et un index tout à fait indispensables.

Un bonus : 57 titres appartenant à l’histoire de la musique au cinéma forment un complément musical à cet objet-livre, occasion de surprises et de souvenirs. Cette playlist a été constituée par l’auteur, avec l’aide précieuse de Guillaume Decalf de France Musique.

Vous l’aurez compris, voilà mon gros coup de coeur et coup de chapeau pour ce livre-somme qui donne plus que jamais envie de voir et revoir des films en étant attentif à leurs musiques.

Sophie Chambon

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22 décembre 2022 4 22 /12 /décembre /2022 11:43

Jean-Marc Larché (saxophones soprano & alto) , Yves Rousseau (contrebasse)

Paris, mai & juillet 2022

Label MCO / Socadisc

 

Ce disque prolonge une ancienne complicité, au sein d’un groupe, puis de ce duo que j’avais eu la chance d’écouter sur scène à deux reprises. On pourrait dire qu’il y là une tonalité générale assez mélancolique. En fait c’est plus que cela : l’attachement aux musiques du passé : Bach est l’un des inspirateurs, par sa science autant que par sa sensualité (je fais partie de ces hétérodoxes qui ne réduisent par l’illustre Jean-Sébastien à l’austère source religieuse….). L’attachement aussi à la liberté que fait naître le présent de l’improvisation, terrain de jeu des deux protagonistes (même si, dans le cas présent, l’écrit et le préconçu sont difficiles à distinguer l’un de l’autre). On y perçoit aussi le souvenir des musiques d’avant le baroque, d’une connivence surgie de la nuit des temps. Parfois le saxophone timbre comme une flûte : mystère d’une science musicale qui ne livre pas tous ses secrets. Deux instrumentistes hors-norme qui sont avant tout profondément musiciens. C’est par cette qualité précieuse, et pas si courante, qu’ils rendent évidente et simple une musique dont la complexité s’efface dans la force de l’expression. C’est tout simplement BEAU !

Xavier Prévost

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20 décembre 2022 2 20 /12 /décembre /2022 10:12

Avec Yotam Silberstein (guitare), Vitor Goncalves (piano, claviers, accordéon) et Daniel Dor (batterie, percussions).
Invites : Itai Kris (flûte), Carlos Aguirre (percussions), Grégoire Maret (harmonica) et Valerio Filho (pandeiro).
Big Orange Sheep, Brooklyn, NY, mai 2021.
Jazz & People/PIAS.


    Soyons sports au lendemain de cette rencontre épique qui vit le 18 décembre à Doha le couronnement de Lionel Messi et de ses co-équipiers de l’Albiceleste terrassant la bande de Kylian Mbappé pour brandir le trophée Jules Rimet.
  Ecoutons deux compositions du guitariste Yotam Silberstein : un hommage (Requiem for Armando) à deux de ses idoles récemment disparues lors de la pandémie du Covid 19, Chick Corea et Diego Maradona, gloire éternelle du ballon rond et quasiment déifé dans son pays natal, l’Argentine; une évocation de Parana (Entre Rios), cité où le jazzman israélien séjourna avec son ami Carlos Aguirre, percussionniste argentin.


   Ces deux cartes postales musicales, où s’expriment virtuosité et sensibilité, participent d’un périple sans frontières que nous propose le guitariste. Nous sommes conduits en Amérique latine (après l’Argentine, l’Uruguay, le Venezuela, le Brésil) mais aussi dans l’Espagne du flamenco, sans négliger son Proche Orient natal.
   Autant d’illustrations du penchant d’Yotam Silberstein pour les musiques folkoriques, qu’elles se nomment, pour se limiter à l’Amérique du Sud, merengue, samba, choro ou candombe.

     Ne boudons donc pas notre plaisir avec cet « Universos » qui nous invite à la découverte et à l’illustration de traditions revisitées et dynamisées.


Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo X. (D.R.)

 

 

 

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17 décembre 2022 6 17 /12 /décembre /2022 08:22

Soirée magique Jeudi 15 à la MECA (Bordeaux)  : les subtils ramages de Fred Pouget

Fred Pouget (cl), Guillaume Scmidt (saxs), Anne Colas (fl), Benoît Michaud ( vielle à roue), Rozann Bezier (tb), Maarten Decombel (g, mandoline), Maïlys Maronne (claviers), Janick Martin (accordéon), Ömer Sarigedik (b, effets), Adrien Chennebault (dms, percus)

 

Fred Pouget présentait jeudi dernier son nouveau projet ( « Sauvage ») en sortie de résidence de 3 semaines à la Meca de Bordeaux, sous la houlette de son collectif Maxiphone.

A la lecture du dossier de presse nous y allions un peu circonspects sur ce que nous allions y entendre, tant il est vrai que sur le papier l’idée de réinventer les suites pour clavecin de Jean-Philippe RAMEAU avec cet instrumentarium inédit nous semblait relever d’une gageure. Pensez-donc : réunir pour l’occasion  clarinettes, saxophones, flûtes, vielle à roue (!), guitare, mandoline, piano, basse , batterie et même des effets électro pour réinterpréter l’oeuvre de Rameau ne pouvait qu’aiguiser notre curiosité.

 

Et le fait est que le travail de Fred Pouget qui s’était aussi appuyé sur la direction artistique de Daniel Yvinec ( orfèvre en la matière) nous a absolument conquis dans cette mini-présentation de 4 morceaux. 

Ce travail est brillant de créativité sans jamais donner dans la démonstration. Les parties sont imbriquées dans des rouages fluides où les timbre se marient en toute nuance et avec une grande douceur dans l’expression. Pas un travail harmonique qui serait prétexte à des solistes flamboyants mais plutôt un « ramage » harmonieux où s’ouvrent très subtilement des tiroirs qui captent l’auditeur avec une très grande finesse. Ce tentet nous a marqué par son sens de l’équilibre et presque de funambulisme où la gravité est dans une certaine forme de respect entre ces musiciens de grand talent, concentrés, à l’écoute et au service d’un collectif raffiné et moderne.

Il s’agissait d’une présentation en format court et j’avoue, nous en sortions sous le charme mais néanmoins un peu frustrés de n’avoir entendu que quelques pièces de cet ouvrage. Nous en voulions encore.

Et ce sont les Corréziens et les Corréziennes qui auront la chance de découvrir l’oeuvre en entier à l’occasion du festival Du bleu en hiver au théâtre de Tulle le 19 janvier.

A ne pas manquer.

Jean-Marc Gelin

 

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15 décembre 2022 4 15 /12 /décembre /2022 16:40

David Linx (voix, textes), Guillaume de Chassy (piano, transcriptions), Matteo Pastorino (clarinette & clarinette basse)

Udine (Italie)

Enja Yellow Bird / l’autre distribution

 

«Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants» : c’est en s’inspirant de cette phrase, rapportée par Jean de Salisbury et attribuée à Bernard de Chartres (philosophe néo-platonicien du Moyen-Âge, qui faisait ainsi référence aux sagesses anciennes) que David Linx et Guillaume de Chassy ont choisi de se lancer dans ce projet à peine raisonnable, et pourtant totalement convaincant : sur des pièces pour clavier (avec même un concerto pour piano et orchestre), et transcrites par le pianiste, poser les mots imaginés par le chanteur. Les clarinettes viennent en renfort de nuances (lesquelles sont déjà extrêmement développées par la voix et le piano). Rachmaninov, Schubert, Bach, Ravel, Chostakovitch, Chopin, Mompou et Scriabine sont à l’affiche de cette fête de la beauté. Ils se tiennent sur les épaules de ces géants avec une maestria confondante, apportant la richesse de leurs parcours respectifs de sculpteurs d’univers musicaux si chargés d’émois et d’esthétiques adoubées par l’histoire. Les textes de David Linx sont d’une grande poésie (on trouve l’un d’eux sur la vidéo Youtube ci-après). Je vais encore faire sourire certains de mes amis en usant d’une formule que j’affectionne, que j’emploie souvent, de manière anachronique, à propos du jazz (au sens large) : c’est beau comme du Schubert ! Et pour une fois je ne suis pas totalement hors sujet…. Ces lieder pour un temps présent chargé de mémoire sont une véritable Œuvre d’Art.

Xavier Prévost

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Des avant-ouïr sur Youtube

à partir de l’Étude-Tableau Op39 N°5 de Rachmaninov

à partir de la Sonate D537 de Schubert   

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14 décembre 2022 3 14 /12 /décembre /2022 17:14

Tim Berne (saxophone alto), Matt Mitchell (piano)

Montréal, 4 octobre 2021

Intakt CD 395 / Orkhêstra

 

Retour de ce duo qui a déjà publié dans cette formule ; le pianiste a en outre été maintes fois sideman dans les groupes du saxophoniste. Familiarité donc, avec la très grande liberté qui en découle. Le disque commence par un lyrisme très assumé de Tim Berne. Lyrisme très libre, qui part en de multiples circonvolutions, soulignées par le piano, avec des passages en unisson, des détours, des retraits, des bifurcations. C’est extrêmement élaboré, et cela paraît pourtant couler d’une source vive, celle de la liberté que donne la complicité. Des surprises, des écarts soudains, des moments de parfaite osmose. Les compositions sont de Tim Berne, sauf celle de deuxième plage, signée Julius Hemphill. Les parties écrites semblent relever de fondus-enchaînés avec les improvisations, sans qu’il soit vraiment possible (ni d’ailleurs utile) de faire le départ entre l’écrit et l’improvisé. Et de ce flux aventureux émergent d’indiscutables formes, soulignées par une intense dramaturgie. Captivant, émouvant : magnifique !

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Bandcamp

https://timberneintakt.bandcamp.com/album/one-more-please

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