Columbia 1956 - rééd
A partir de 1955, Duke Ellington commence une nouvelle et dernière phase de sa carrière tout aussi foisonnante et qui illustra une fois encore combien le génie Ellingtonien s’est constamment ouvert à de nouvelles formes musicales lorsqu’il ne les créaient pas lui même. C’est ainsi que durant cette période Duke Ellington enregistra avec Mingus et Roach le célèbre « Money Jungle » ou encore le très faleux duo avec Coltrane. Mais surtout durant cette période, Duke voit dans son orchestre le retour de quelques unes de ses figures mythiques comme Johnny Hodges dans le rôle de l’enfant prodige. Les figures marquantes de l’épopée Ellingtonienne sont toujours ses solistes préférés comme ses fameux trompettistes « Cat » Anderson, Clark Terry ou Ray Nance ou encore Russell Procope éblouissant et Paul Gonsalves qui la même année qu’il participait à ce « A drum is a woman » signait son fameux chorus de Newport. Quand à la rythmique, c’est toujours la paire Sam Woodyard à la batterie associé à Jimmy Woode qui tient la baraque.
En 1956, Ellington exhume un projet qui lui tenait à cœur depuis longtemps, l’écriture d’une suite conçue comme un opéra autour de l’histoire du jazz. Cette idée d’écrire une œuvre racontant l’histoire du jazz était venue à l’origine d’une rencontre en 1941 entre Ellington et Orson Welles, ce dernier lui ayant demandé de réaliser ce travail. Le projet était alors resté dans les cartons et Ellington petit à petit, entre deux tournées écrivait cette pièce, la testant parfois entre deux concerts avec son orchestre comme ce Congo Square qui figure comme l’un des morceaux majeurs de « A drum is a woman ».
L’histoire : A la base se trouve Joe, Carribee Joe, le primitif attaché à sa jungle et à sa batterie. Celle-ci n’est autre qu’une femme, Madame Zajj. Mais Madame Zajj veut voyager, exposer ses charmes (sa musique) dans le monde avec un « M » universel. Alors Madame Zajj (qui est rappelons le « a drum » c'est-à-dire le rythme, la pulsation dans tout ce que le terme comprend – Ellington le dit dans chaque batterie que l’on entend il y a une femme) part à la Nouvelle Orléans où elle deviendra à l’occasion du mardi gras la reine du King of the Zulus, défilant dans la rues de canal Street au bras de Buddy Bolden figure mythique s’il en est des origines du jazz. Mais Madame Zajj va voyager et triompher partout dans le monde de New York à Los Angeles, San Francisco en passant par Paris et Londres, se nourrissant des multiples influences, évoluant sans cesse vers le swing. Mais où qu’elle soit, dans la nuée des fumée qui enveloppent les clubs de la ville, toujours la mémoire de Joe reste chevillée au corps de Madame Zajj qui malgré tout ce périple et les innombrables Joe qu’elle rencontre partout dans le monde ne parvient pas à l’oublier. Et bien sûr Joen Carribe « Joe » dont le non retentit tel un appel à plusieurs moments de la pièce, n’est autre qu’une belle métaphore de cette Afrique toujours présente (Congo Square) que le jazz ne parvient à oublier. L’Afrique, comme un réminiscence prégnante et éternelle.
Dans cette œuvre, Ellington dont on entend la voix de narrateur, remet les chanteurs à l’honneur avec une chanteuse lyrique qui intervient en introduction, Ozzie Bailey admirable chanteur carribéen et surtout le rôle de Madame Zajj chanté non moins admirablement par Joya Sherrill dont l’histoire est assez belle pour être racontée. La jeune femme, alors qu’elle était étudiante etait venue un jour chanter à son collège en l’honeur de Ellington qui toma immédiatement sous le charme de sa voix syuave et l’embaucha sur le champ.
Alors tout se mêle dans la continuité de cette épopée, où la progression du discours la logique historique, celle qui aboutit à cette « catastrophe féconde » qu’est le jazz, et qui traîne avec elle la nostalgie de Carribe Joe, la nistalgie de cette Afrique dont la mémoire ne s’efface jamais du rêve de Madame Zajj. Cette Afrique toujours présente dans la pulsation primitive, cette sorte d’animalité tribale. Mais le jazz est une femme et une batterie et les solistes apportent à cette histoire autant de l’esprit jungle que de cette puissance érotique, qu’elle vienne des caresses sensuelles de Johnny Hodges (a drum is a woman part 2 ou Ballet of the flying sauce), de la danse envoûtante de Russell Procope ( New orleans) ou des jaillissements spermatique de Clark Terry (Hey Buddy Bolden ) – après tout le jazz ne serait il pas étymologiquement lié à l’orgasme !
Claude Bolling avait repris cette œuvre de Ellington malheureusement trop peu souvent jouée.Cette réédition a le mérite de nous permettre de la redécouvrir. Car il s’agit incontestablement d’un moment essentiel du génie d’Ellington. Jean-Marc Gelin