Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 janvier 2008 6 12 /01 /janvier /2008 07:47

 elias.jpg

 

 

 

 

 

La pianiste et ancienne épouse de Randy Brecker vit depuis 25 ans avec le contrebassiste des derniers temps de Bill Evans. Ensemble ils ont exploré le catalogue du géant des années 50 à ses oeuvres ultimes. Un trésor à la clé : peu avant sa mort le pianiste avait remis à son accompagnateur, une cassette d’œuvres ébauchées .

 

INTERVIEW CROISEE AU TERRASS HÔTEL, A LA MI-NOVEMBRE, ALORS QUE LA GRÊVE DES TRANSPORTS FIGE PARIS.

 



Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

 

 

DNJ : Pourquoi ce projet ?

 

EE J'ai souhaité partager l'émotion ressentie à  l'écoute de ce grand pianiste avec le public. Vous ne pouvez pas imaginer dans quel état m'a plongée l'écoute de la bande. Je suis dans la musique depuis trente ans. J'en ai vu passer des chefs d'oeuvre. Quand j'ai retranscrite la cassette qu'il avait léguée à  Marc, je me suis trouvée dans un état jamais éprouvé, indescriptible. Il y avait mélangées de la joie, de la profondeur, de la nostalgie, de la solitude ; autant d'états traversés sans doute par Bill au moment d'écrire ces notes. Le sentiment, enfin, qu'il était parmi nous. J'ai voulu que tout le monde puisse en profiter.

 

DNJ : Quand exactement vous a-t-il remis a cassette ?

 

MJ : Il me l’a remise une semaine avant de mourir

 

DNJ :En combien de temps avez-vous enregistré ce disque ?

 

MJ : En quatre jours seulement. Rien de plus normal. Bill Evans c’est toute notre vie. La première prise suffisait à chaque fois. Nous n’avons eu besoin ni de préparer ni de forcer notre talent. L’enregistrement était quasi spontané, tout venait naturellement.

 

EE : L’ingénieur, Al Schmitt nous a offert un son sans pareil. Quelque chose a maturé en moi. Mon âme est ressortie sur le champ. Les parties vocales surgissaient d’un jet. Je re nnais que la section rythmique y est pour beaucoup. Et puis Marc avait déjà joué avec Joey Baron.

 

DNJ : Quelles sont les particularités de la musique de Bill Evans ?

 

EE : Personnellement j’ai démarré le piano en étudiant les maîtres. Bill Evans faisait partie de ce Panthéon.  Sur les vidéos le mouvement de ses mains me captivait. Le son est d’une clarté de rivière. Les harmonies sont également merveilleuses. M’ont également frappés la beauté des accords, leurs structures et leurs enchaînements ; une sorte de voix intérieure (Inner voice) qui émerge, se laisse captiver puis s’évanouit. Le fait aussi qu’au sein même de la mélodie des évènements surprennent, prenant la mélodie à contre-pied ( Counter mélodies). En fin l’interaction (Interplay) de son trio m’ahurit à chaque fois. Son piano dirige et accompagne simultanément. C’est fascinant.

 

MJ : Je reconnais, parmi toutes ces forces de Bill, qu'Éliane maîtrise avant tout l'art des harmonies. Elle a intégré cette approche dans son vocabulaire, et en maîtrisé la conception du début à  la fin. Ses expressions ("Statements") sont limpides. Bill insistait ("focussed") sur point. Elle possède un sens du temps qui trouve sa source dans le Rythm'n blues des années cinquante. Du coup ses choix sonnent clairement, comme des déclarations.

 

 

DNJ : quelles sont les autres influences qui vous ont rendue sensible à l’art de Bill Evans

 

EE : Sans hésiter : Jobim ! Je ne vois pas d'autre créateur du niveau d'Evans. Notez qu'on se rappelle d'une mélodie de Jobim, aussi bien que celles de Bill vous imprègnent complètement. Je dois aussi citer comme source la musique classique. Le jazz, je le connais par coeur parce que ma mère en était folle.

 

DNJ : Vous chantez des mélodies de Bil Evans, comment l’idée vous en est elle venue ?

 

EE :  Oh, il adorait les chanteurs. Voyez Tony Bennett. Je me suis d'ailleurs inspirée de ce dernier pour But Beautiful. J'ai également été sensible à la version de Waltz for Debby par Jeanne Lee. J'ai mis mon coeur à nu. Tant mieux si cela contribue à sensibiliser le public à sa musique en chantant les morceaux. Mais tel n'était pas mon but premier. Mon obsession, c'était de sentir ces pièces. Pour Here's something for you, un des morceaux inédits, j'ai écrit les paroles que les notes me faisaient ressentir. J'ai testé les paroles autour de moi : ça fonctionnait! Si vous saviez le plaisir et les émotions qui m'ont fait transcrire My Romance, par exemple... Je courais au piano dès qu'une idée me venait. Les mains de Bill m'ont guidée, car je pensais à  ses mains sans arrêt. Je pleurais du matin au soir.

MJ J'ajoute que Minha était dans le répertoire du trio de Bill. Nous le jouions tous les soirs. Il tenait à  garder le lien avec la tradition brésilienne. Enfin, retenez que Bill adorait le répertoire de Broadway. Il s'en inspirait énormément.

 

DNJ : Pourquoi tel morceau plutôt que tel autre ?

 

MJ Cela s'est avéré une épreuve de sélectionner. Je produisais le disque et j'aurais voulu que l'on grave un triple CD. En définitive, l'on s'est tenu au concept suivant. Nous ne retenions que des chansons ("Songs").

 

DNJ : Le concept a-t-il été d’emblée accepté par les maisons de disques ?

 

EE : Pensez-vous ! A l'époque j'étais à BMG. Je ne faisais pas que du jazz. Nous leur avons présenté la cassette dans un état d'excitation surnaturelle. Le projet les a laissés de marbre. J'ai failli leur claquer la porte au nez! Nous sommes allés voir le label le plus prestigieux du jazz, Blue Note. Entre temps, BMG m'avait transféré sur la filiale RCA, plus jazz; ils voulaient récupérer le disque. Mais je suis restée à  Blue Note. De toutes façons, leur marketing est meilleur!

 

DNJ : Eliane, vous définissez vous comme pianiste ou comme chanteuse ?

 

EE Je suis pianiste, mais j'ai commencé la voix à quatre ans. Puis j'ai perdu. J'ai pris il y a quelques années un coach de voix, William Riley. Il a notamment entraîné Stevie Wonder, Pavarotti,  Bill Clinton et Céline Dion. Il vous fait intégrer les différentes fonctions du son avant de raconter une histoire. L'échauffement de la voix induit tout le reste. Vous ne préparez pas la gorge de la même façon pour un concert ou pour une interview

 

DNJ : Marc, quelle relation aviez vous avec Bill Evans ?

 


MJ Je me souviens une personne merveilleuse. Il m'encourageait beaucoup. Il m'a permis de me débarrasser de mes défauts, mais ne me critiquait jamais. J'ai pu m'améliorer sous sa houlette. Un soir Bill s'est levé. A enlevé la partition devant moi et a dit : "maintenant tu es en mesure de faire ce duo sans les notes". Il se plaignait que je ne prenne pas suffisamment de risques. Il disait du choix d'un accord ou d'une clé : "une fois que la décision est prise dans ton esprit, elle est solide". Un soir, je faisais un duo avec Bill. Je prenais soin d'avoir la partition sous le nez.
J'aurais voulu que l'aventure dure plus longtemps. J'étais si jeune (24 ans, en 1978) quand j'ai commencé avec lui. Quand il est mort, j'ai dû tout revoir. J'étais anéanti ("devastated").

 

DNJ : Racontez nous une anecdote

 

MJ : Je me souviens d'une boîte attenante à  un Holiday Innn, le Riggs Café America, à  Chicago. Le public était composé d'éleveurs descendus à  l'hôtel. Un soir, après le set, un de ces paysans est venu s'appuyer à  côté de moi, au bar. Il m'a dit texto : "je suis venu pour du business. Je viens de vous écouter par hasard, les gars. Quelle expérience ! Je vous bénis. J'ai l'impression de sortir d'une église. Votre musique est divine."

 

Eliane Elias sings and plays Bill Evans
"SOMETHING FOR YOU"

 

Partager cet article
Repost0
11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 08:36
Nocturne 2007


MOUTIN.jpg
A la dernière note de leur morceau lors de la soirée organisée par la radio TSF le 17 décembre à  l'Olympia (chaque artiste, ou formation ayant marqué l'année jazz jouait), la salle pourtant déjà  très chaude a hurlé. Le quartet, en effet, et c'est peu de l'écrire, dégage une énergie d'éclatement atomique. On se dit que si le moindre spectateur s'était retrouvé assis au milieu d'eux, il aurait implosé quasi-instantanément, ratant ainsi la suite. Sur scène, ces gars-là  défient les lois de la chaleur. On comprend mieux que Nocturne ait décidé de joindre à  leur dernier CD, un DVD Live (au Skokie Théâtre de Chicago, en janvier 2007). Les morceaux (ceux de leur précédent CD) durent plus longtemps. Les cinq morceaux totalisent un minutage de 70 minutes environ. Autant s'en féliciter de suite : l'amateur en a pour son argent, car l'attention ne faiblit pas une seconde. L'on comprend que le groupe soit demandé à  ce point outre-Atlantique. Le morceau de bravoure des frangins (Bird's Medley) captive; Echoing (composé par François Moutin) déménage, et Take it easy emballe. La présence du live offre un autre intérêt et non des moindres : c'est d'observer l'évolution du répertoire. Prenons justement Take it easy.  Le morceau, part sur une ligne de batterie puissante. Rien de surprenant : il est composé par Louis Moutin. La contrebasse met immédiatement ses lignes en position, et, magie du virtuose, la musique se met à  danser. Le Live restitue ces interactions. D'un CD l'autre, la section rythmique la plus identifiable du monde occidental transmute son oeuvre. En effet, Kuki's dance, sur le nouveau CD, s'appuie sur les bases de Take it easy, et emmène le morceau plus loin. Avec l'idée harmonique de départ, la nouvelle composition introduit deux mélodies. Écoutez : c'est tout simplement magicien. De dansante, la pièce devient festive, et du Ballroom américain de départ, elle nous téléporte dans un village africain. L'émotion, nous enveloppe à  son tour sur Two Hits on the NJTP (chorus délicieusement bluesy de François !), ou avec les caresses de Blue Dream. Le reste est du même bois, celui dont on fait les fûts et les caisses. Les Moutin composent 7 des 8 morceaux du CD. Ils ne sont pas seulement un groupe qui évolue à  grande allure. Ils représentent également un répertoire en progression incessante.                          Bruno Pfeiffer

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2008 4 10 /01 /janvier /2008 08:34

Fresh Sound new talent 2007

 ROGER-MAS.jpg

 Cela fait déjà près d’une dizaine d’année que  Roger Mas, jeune joueur de Fender, écume les clubs de Barcelone. Au départ il s’agit d’une banale histoire de copains qui se sont rencontrés à l’Ecole Supérieure de musique de catalogne à Barcelone. Un trio de base auquel sont venus s’ajouter  le ténor Jon Robles, le guitariste  Jaume Llombart et le non moins ténor Enrique Oliver. Les thèmes sont tous signés Roger mas à l’exception d’un thème de Coltrane (Moment notice) et d’un autre de Jobim (God and devil in the land of the sun). Parce que leur culture n’est pas exactement la même, les musiciens évoluent alors entre deux styles opposés, d’un côté un jazz très ancré dans la tradition, axée sur un bop assez classique où la reprise de Coltrane sonne très bien  ainsi que sur un blues de J. Kern réarrangé par Roger Mas dans un genre très old style où le ténor cherche à sonner comme Lester. Ils abordent alors cette musique sans complexe et se jettent avec beaucoup de talent dans l’histoire du jazz qu’ils n’ont pas besoin de beaucoup dépoussiérer. Ils lui rendent vie. Lorsqu’ils s’attaquent au répertoire de Roger Mas, les jeunes musiciens semblent chercher à tout prix à se démarquer de l’esthétique post Rosenwinkel chère au manager du label tout en en conservant la patte, évidemment ; Du coup tout se passe comme s’ils n’allaient pas au bout de l’émancipation qui à l’évidence bouillonne sous leurs doigts. La musique est de qualité et les solistes sont remarquables. On retiendra le lyrisme très doux de Roger Mas qui évoque parfois Larry Golding (comme dans ce God and Devil). On aime aussi le jeu des ténors qui se livrent sans forcer à une joute  sympathique sur Mason ou encore les belles sinuosités tranchantes de Jon Robles lorsqu’il conclut l’album au soprano  (Millenium Park). La redondance du guitariste et du fender peut parfois donner une impression de ronde mollesse mais l’équilibre est néanmoins parfaitement trouvé avec les saxophonistes. Sympathique album en somme mais néanmoins un peu jeune ou prématuré pour sortir dans les bacs. Gageons pourtant que la notoriété de Roger Mas

Devrait rapidement franchir les pyrénées. Sa belle sensibilité devrait être légitimement reconnue.

Jean-Marc Gelin

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2008 4 10 /01 /janvier /2008 08:32

Discograph 2008

Mirabassi.jpgDernier opus en date du pianiste italien Giovanni Mirabassi, récompensé tour à tour par un django d’or ainsi qu’une victoire du Jazz, « Terra Furiosa » annonce un trio enflammé lorsqu’on découvre qui accompagne ce protagoniste. D’abord le contrebassiste romain encore trop méconnu Gianluca Renzi, auteur dans le passé de plusieurs arrangements autour des compositions de Charles Mingus et de Joe Henderson, faisant l’objet d’un merveilleux disque paru en 2005. Le troisième musicien de ce trio n’est autre que le fantastique percussionniste et coloriste américain Leon Parker, maintes et maintes fois reconnu pour son talent de sideman sur une multitude de disques, aussi bien sur cet album mythique réunissant Brad Meldhau, Mark Turner et Peter Bernstein, que sur les faces légendaires des disques du guitariste « extra-terrestre » Charlie Hunter. Les présentations faites, il ne nous reste plus qu’à plonger, nez bouché mais oreilles ouvertes, dans le monde méditatif de ce romantisme à l’italienne qui nous est offert. Dès les premières notes se révèle une poésie dont Giovanni Mirabassi use avec grâce et passion, au sein de chacune de ses compositions, de ses interprétations, de ses improvisations. Impossible de nier la filiation avec le grand Bill Evans, lorsque les voicings et les accords soigneusement choisis et distillés nous font penser à cette merveilleuse époque où Scott Lafaro et Paul Motian furent les premiers témoins de ce qui allait être LA référence. Impossible non plus de nier les grandes qualités de compositeur, réunissant sur cet album huit œuvres sous son nom, le pianiste offre une nouvelle fois un aperçu de ce qu’il a de plus profond dans le cœur. Parfois mélancolique, d’une tristesse légère et nostalgique, tout cela emballé dans un lyrisme à l’italienne, ici se révèle une nouvelle fois la rare capacité d’un pianiste à nous emporter sur son épaule, pour traverser ce grand désert de plénitude. Le soleil est là, la Musique rayonne à chaque mesure. Manquant peut être de fantaisie, ce trio avait besoin d’un batteur tenant son rôle dans la surprise. Il est bien évidemment impossible de passer à côté du dernier morceau du disque, « We Have The Blues Mr President », enregistré en Juin 2007, après cette période houleuse qu’était les élections. Une réponse ? Un appel ? Un clin d’œil, sûrement. Malheureusement, rien ne paraît bouleverser cette timidité dont on pourrait accuser notre pianiste. Un manque de prise de risque. Cet album est entièrement réalisé dans un cocon soigné et protégé de toute folies externes et incontrôlables. C’est ce qu’il manque peut-être à cet album, qui, du reste, est une référence poétiquement correcte. Ce trio commence une tournée en 2008 qui l’amènera jusqu’au Japon, invitant les fidèles mellow-men nippons à (re)découvrir cette Musique aux couleurs latines.                           Tristan Loriaut

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2008 3 09 /01 /janvier /2008 07:59

JJJJ Manuel Hermia : «  Rajazz »

Igloo 2007

rajazz.jpgPour son album « Rajazz », alliance du ragga et du jazz, le saxophoniste belge Manuel Hermia  célèbre ses inspirations sous couvert d'un jazz classique, vigoureux et subtil à la fois. Autour d'un coltranisme non clairement revendiqué mais réel, Manuel Hermia construit. Il construit sa musique  autour de structures musicales empruntés aux musiques traditionnelles d'Asie, allant de la Chine à l'Inde, sur les fondements du jazz modal fortement développé sous l'ère Coltrane.

Pour  autant il ne s'agit pas de tentatives de fusion plus ou moins adroites de sonorités traditionnelles avec du jazz. Non, l'assimilation des structures ragga et l'utilisation des gammes pentatoniques est entières dans la musique d’Hermia. Cette assimilation lui sert à enrichir un jazz modal sur les morceaux coltraniens et un jazz tonal, chronologiquement plus classique, qu'on rencontre chez Dolphy, Mingus et consorts. D'où le rajazz.

Tout ce travail est très réussi avec inspiration, cultures et intelligence artistique.

Cet album est muni d' « objets » hétérogènes qui vivent en osmose et qui sont liés par des vertigineuses montées en tension qui ne connaissent ni essoufflement ni verbiage. Enfin, à part une, toutes les compositions sont écrites par le saxophoniste, ce qui confère à l’œuvre un côté authentique.

Le premier morceau « It's Just Me » est un rajazz très coltranien où Hermia nous démontre sa grande maitrise du soprano. « Internal Sigh » est toujours d'obédience coltranienne mais est plus personnel que le précédent. Curieusement « Rajazz #1 » a des sonorités hendersoniennes et se constitue de trois parties dont la première, plus libre que les deux autres, est véritablement un enchantement. Si « Contemplations » par McCoy Tyner est moins convaincant, « Awakening » et « Always Smiling » sont des réussites dans le travail d’Hermia dans un contexte hardbop. « Indian Suite », qui met clairement en exergue l'Inde et ses traditions musicales, et « Little Sonate for el Mundo » sont des pièces intérieures, graves et méditatives et rappellent Coltrane et Dolphy par l’utilisation de la flûte. Ces deux pièces lyriques sont probablement les deux pièces les plus abouties de l'opus.

Une fois n’est pas coutume, nous émettons une opinion d’auditeur affable.

De nouveau, nous avons à faire avec une musique dont John Coltrane est source d’inspirations. Ce type d'approche musicale est usuelle et ne surprend pas. On ne reproche pas à des musiciens d’honorer leurs inspirations et de leur rendre hommage. Non, il ne s’agit pas de cela.

Ce qui est dommageable, pour la musique et pour certains musiciens eux-mêmes, est que beaucoup d’entre eux créent leur musique autour de leurs influences en tentant de reproduire ce qui est, toutefois aujourd'hui, du passé.

Certes le résultat est le plus souvent de bon goût, quand les exécutants ont du talent, mais si peu novateur que l’œuvre en devient rapidement ennuyeuse. Il est courant que ces inspirations, nécessaires il faut le rappeler, étouffent la création de certains artistes et les empêchent de faire « leur » musique. Las d'entendre des beautés sans surprise, il serait temps que ces musiciens sachent, à l’instar d’Hermia, faire un travail d’assimilation puis d’intégration de leurs propres ressources afin qu’il serve leur musique.

Citons ces quelques mots de Jean Louis Chautemps dans le bel ouvrage de Franck Médioni («John Coltrane – 80 musiciens de jazz témoignent » chez Actes Sud): « ... il est on ne peut plus nécessaire et de toute urgence de sortir d'un tel coltranisme. L'avenir du jazz est à ce prix ».                                                                                                Jérôme Gransac

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2008 3 09 /01 /janvier /2008 07:56

JJJ TOM HARELL & DADO MORONI : «  humanity »

Abeat 2007

 
Harrell-Moroni.jpg

C’est souvent une histoire qui marche. Les pianistes aiment les trompettistes. A moins que ce ne soit le contraire, je ne sais pas trop. Ceux qui ont écouté la belle réédition des sessions de Chet Baker à Paris n’ont pas pu manquer de relever combien les associations du trompettiste avec Dick Twardzik ou Urtreger étaient capitales. Il n’y a pas si longtemps nous nous éblouissions de cette rencontre mutine entre Solal et Dave Douglas.

La rencontre dont il s’agit ici ne déroge pas au principe. Même si les deux hommes se connaissent et jouent ensemble depuis près de 20 ans tout se passe comme si le plaisir de jouer tous les deux  était parfaitement intact. Car lorsqu’un immense trompettiste de la dimension de Tom Harrell joue avec l’un des plus grands pianistes italiens actuel, la rencontre ne peut manquer d’émouvoir. Le trompettiste qui a plus de 60 ans n’a jamais autant marché sur les traces de Chet Baker en arrive en effet à une sorte de mimétisme troublant avec son maître. On retrouve dans son jeu les mêmes fêlures, les mêmes fragilités et le même sens innoui de l’improvisation où, quelque soit le détour utilisé c’est toujours la mélodie qui en ressort sublimée. On ne peut pas jurer que Tom Harrell n’a pas quelques vibratos, ni même qu’il souffle comme à 20 ans. Mais il y a dans son jeu une chaleur intacte, une grande proximité avec celui qui reçoit ce qu’il dit. Une façon de mettre de l’intimité dans son jeu qui s’apparente à une forme de tendresse.

La présence à ses côtés de Dado Moroni est lumineuse. Car ce dernier n’y est pas un simple accompagnateur. Il est une sorte de complément indispensable, de guide. Comme celui qui tient le bras de l’aveugle pour l’aider à traverser, Dado Moroni apporte un soutien avec une énergie qui est à la musique du trompettiste son souffle et son battement de cœur tout à la fois. Il y a quelque chose qui relève moins de la complicité que de la fraternité dans la façon qu’à le pianiste d’épauler son compagnon tout au long de cette très courte escapade au milieu de ces 6 standards. Et chez le pianiste cet amour partagé des standards qu’il lit avec une certaine gourmandise. Cette gourmandise de ces pianistes qui ne peuvent pas s’empêcher de dévorer du Art Tatum ou du Erroll Garner.

Le thème d’ouverture, The nearness of you est une sorte d’uppercut pour l’auditeur rapidement versé au bord de l’émotion. Saisissant ! Cette façon aussi qu’il y a chez les deux hommes de tourner autour du thème avec une certaine pudeur qui es empêcherait de s’emparer à bras le corps de la mélodie. Ainsi dans Poinciana où les notes du thème n’apparaissent réellement qu’à la fin sans que celui-ci n’en soit pour autant dévoyé.

C’est qu’il y a chez les deux hommes cette façon de se livrer avec beaucoup de décence et de retenue. De ne jamais s’appesantir lourdement mais de frôler, de caresser toujours le sujet qui n’est pris qu’avec une extrême délicatesse. Il en est ainsi par exemple dans les citations très discrètes du pianiste qui effleurent au détour d’une phrase.

Ce n’est pas grand-chose et cet album pourra tout aussi bien s’oublier aussi vite. Il en restera quelque chose comme une trace en erre. Comme le prolongement d’un dernier accord qui nous poursuit puis lentement s’efface dans un nuit de douce rêverie. Comme une étoile filante à l’éphémère beauté.                                                                                                                        Jean-Marc Gelin

Partager cet article
Repost0
8 janvier 2008 2 08 /01 /janvier /2008 22:49

JJJJ(J) Non stop travels with Michel Petrucciani - Live in StuTggarT

De Roger Willemsen

 

petruciani-dvd.jpgC’est bien plus qu’un travail que livre là Roger Willemsen. Plus qu’un hommage bien sûr et plus encore qu’un témoignage, une sorte de déclaration d’amour fraternelle entre lui et son sujet Michel Petrucciani. Et il ne peut pas en être autrement pour parvenir à tant de complicité, tant de liberté dans l’échange et tant de sincérité aussi. Alors entre eux tout est dit, rien n’est éludé et naturellement tous les thèmes sont abordés tout au long de ce chemin que nous parcourons en 1995 avec Petrucciani de San Francisco, à Paris et enfin à New York. Et il faut rendre hommage à la simplicité, à l’humour et à l’immense force du pianiste avec qui il était possible de parler de tout, de la vie, de la maladie, de la souffrance, de la mort, de l’amour et de ses souvenirs d’enfance sans la moindre gêne.

 

Ce DVD n’est pas un inédit et il avait été diffusé il y a quelques années par la chaîne Arte. Beaucoup le connaissent donc déjà. Il est complété par un concert donné par le pianiste à Stuggart en février 1998 moins d’un an avant sa disparition en janvier 1999.

 

Michel Petrucciani dont jamais autant que dans ce DVD nous n’avions pu percevoir la force titanesque qui l’habitait. Et nous ne parlons même pas de son courage même si toujours il s’impose d’évidence. Nous parlons de ce regard pétillant et malicieux toujours porté sur le futur de lui-même. Cette gourmandise de la vie autant que cette volonté farouche de la mordre à pleine dent

Les rires succèdent aux moments d’émotion pure. On rit lorsque Petrucciani parle de la mort et de son agnotisme ( je veux bien croire qu’il y a quelque chose après la mort mais si je me suis trompé je demanderai à ce que l’on me renvoie sur terre !) et l’on pleure lorsque Charles Llyod, 20 ans après leur première et magnifique rencontre, reprend la même prose qu’une photo de l’époque et lui dit combien il est aujourd’hui un homme fier de lui. Petrucciani parle de tout très simplement. Il évoque son père, musicien pour qui il avait une admiration sans borne ( terrible souvenir de cette séance de répétition tant attendue et tournant au désastre),  il évoque le jazz et un peu son regard sur les autres pianistes. On rit encore lorsqu’il raconte ce thème qu’il avait composé pour Charles Llyod « She did it again » que d’aucuns croient dédiés à une femme et qui en fait raconte l’histoire de Josy, la chienne de Charles Llyod qu’il emmenait en voiture et qui ne cessait d’émettre des pets insupportables ! On frémit lorsque Roger Willemsen ave une infinie délicatesse pose à Petrucciani la question de la souffrance. Moment terrible.

Ce voyage réalisé en 1995 avec Petrucciani le mène en studio lorsque fut enregistré l’album Flamingo avec Stéphane Grappelli et Roy Haynes (ainsi que George Mraz). La rencontre de trois générations de jazzmen mythiques. Et l’on suit Petrucciani concentré et ému à l’écoute d’un chorus de Grappelli et s’en aller voir avec une grande humilité ce vieux monsieur pour lui dire combien il avait été touché par ce qu’il avait entendu. Le DVD s’achève sur un rêve, comme un défi lancé un jour à l’heure du thé dans le jardin de Charlotte Rampling : Willemsen lançait l’idée de filmer Petrucciani assis devant un piano posé sur le toit d’un building en plein cœur de Manhattan. Quelque mois plus tard un hélicoptère un peu kitsch tournait dans les airs autour de cet homme de génie posé sur le toit du monde et de nos rêves. L’image s’arrête, nous laissant le regret de ne pas avoir connu l’homme. Nous laissant aussi avec le souvenir d’un extraordinaire musicien dont on perçoit aujourd’hui l’empreinte qu’il laisse sur des générations entière de pianistes et qui, irrémédiablement ne cesse de nous manquer.                                                                            Jean-Marc Gelin

Partager cet article
Repost0
8 janvier 2008 2 08 /01 /janvier /2008 07:54
goldberg.jpg

JJJ Worlds – Aaron Goldberg

Sunnyside 2006

 

 Le 15 décembre dernier au Sunside, il y avait salle comble pour applaudir le trio trop rare sur les scènes d’Aaron Goldberg. Avec Reuben Rodgers, le bassiste à la fois si discret et si parfaitement  présent, et Eric Harland, l’inventif batteur, ce trio a un son bien à lui, un mix de hard-bop et de musique brésilienne. Bref, ça joue terrible ! Cela fait dix ans, que ces trois jeunes musiciens (Goldberg n’a que 33 ans) jouent ensemble tout en se nourrissant auprès de prestigieux aînés. Aaron Goldberg a passé 4 ans avec Joshua Redman, Reuben Rodgers travaille régulièrement avec Diana Reeves. Eric Harland, quant à lui joue avec Kurt Rosenwinkel (invité sur un morceau de cet album),  McCoy Tyner, et Joshua Redman. Des collaborations qui, sans aucun doute, enrichissent leur trio à l’énergie débordante. L’album « Worlds » est un tribut au brassage culturel. La musique brésilienne est au centre de l’album et de l’inspiration de Goldberg. Il a étudié la langue portugaise et la bossa nova et cette musique influence profondément son écriture musicale (Salvador) qui reste une écriture très jazz. Goldberg est un très grand pianiste avec beaucoup de style, un jeu délié très virtuose et très hargneux. L’album donne l’impression d’avoir été enregistré en « live », sur le vif, sans répétition. Cette spontanéité est le fruit de beaucoup d’écoute et de générosité de chacun des musiciens de ce trio. Ce plaisir d’être ensemble se retrouve sur scène comme sur le CD (Oam’s blues, jubilatoire course poursuite entre Harland et Goldberg). Goldberg rend hommage à trois compositeurs dans cet album : l’immense, l’incommensurable, l’indépassable Carlos Jobim, dont on ne dira jamais quel grand compositeur il est en reprenant deux de ses titres Modinha et le planant Inutil Paisagem ; le chanteur et compositeur Djavan rendu célèbre par son duo avec Stevie Wonder sur Samurai, dont il joue en introduction le Lambada de Serpente ; le saxophoniste Benny Golson en détournant Stablemates, le standard qu’il a écrit pour sa femme, en Unstablemates, pour dit-il rendre compte de sa situation personnelle. Goldberg puisent à différentes sources car comme il l’écrit dans les liner notes, là est la richesse du jazz né comme l’Amérique de parents mélangés. - Régine Coqueran

Partager cet article
Repost0
6 janvier 2008 7 06 /01 /janvier /2008 20:59

JJ EHA – « Fortune »

2007

Eha.jpg

EHA (prononcer é-a) est un collectif regroupant six musiciens et quelques invités d’origines européennes, africaines, sud et nord américaines. Tous sont réunis par le guitariste et compositeur Philippe Coignet, pour jouer une musique originale et actuelle, fusion du Jazz, du Funk et de la World Music, très représentative de la scène culturelle du Paris des années 2000. Un mariage particulièrement réussi des sons acoustiques et électriques.Après de nombreux concerts, EHA réalise un premier album à la fin des années 90. Distribué dans une vingtaine de pays, il est diffusé par des radios de nombreux pays, d'Amérique du Nord au Japon en passant par les Caraïbes, l'Europe, l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Océan Indien, l'Indonésie... Cet album est aujourd'hui épuisé. EHA revient aujourd’hui en 2007 sur le label Kwazil avec un nouvel enregistrement, « Fortune », fruit d'un travail de studio très abouti, mêlant maturité, énergie, écriture subtile et spontanéité, pour une musique oscillant entre World et Latin Jazz. Malgré ce coté très écrit de cette Musique au caractéristiques quand même très électriques, dans ce disque domine une étonnante poésie, qui n’est pas sans rappeler les célèbres opus des grands groupes d’hier comme Weather Report ou bien Mahavishnu Orchestra. Les passionnés de ce genre de projets magistraux ne resteront pas insensibles à la qualité de cet enregistrement, dédié au plus large des publics, au-delà de toute connotation jazzy. Malgré tout, si toutefois le kitch de ces œuvres n’est pas si dérangeant, il faut quand même relever un certain coté assez synthétique, qui désespère encore et toujours les amoureux de la Musique acoustique. Eternel débat. Chaque morceau du disque emploie une formule assez peu novatrice dans l’instrumentation, laissant peu de place à la nouveauté dans les arrangements tout comme dans les solos des instrumentistes. Il faut se rappeler du dangereux tournant qu’avait pris Georges Benson à l’époque de son album « Breezin’ », album qui a quand même cartonné et qui a fait passer Benson au stade de star internationale. Dans le cas d’EHA, cette fusion des styles révèle ses limites dans la maturité du jeu des instrumentistes, qui malgré cela nous offrent, après tout, un parfait aperçu de ce qui est faisable dans le style choisi. Il est regrettable aussi de ne pas retrouver une prise de risque dans l’innovation, dans la composition. Comme s’il était encore nécessaire de revenir indéfiniment sur ce style de fusion qui marqua les années 70 et 80. Un bémol aussi sur les qualités d’improvisateur du guitariste électrique, lors des solos de certains morceaux, dénudé de tout sens rythmique et harmonique, perdu dans un flot démonstratif et parfois peu ressemblant avec l’original, seule cible à atteindre. Dommage aussi de ne pas trouver non plus d’innovation dans le timbre de chaque instrument, donnant un point commun avec une quelconque Musique de Variétés. Il faut malgré tout quand même souligner l’incontournable hommage au folklorisme ethnique résidant dans ce disque. Un incomparable voyage au sein des cultures, toutes aussi vastes que diverses. Laissons nous bercer quand même par le côté festif de ce travail colossal réalisé en studio par des musiciens aux qualités, disons plus que redevables. - Tristan Loriaut

Partager cet article
Repost0
6 janvier 2008 7 06 /01 /janvier /2008 20:55

JJJ Fred Borey : «  Maria »

Fresh Sound New Talent

 

Frederic-Borey.jpg Fred Borey est un saxophoniste et compositeur Franc Comtois qui n'est connu ni d'Eve ni d'Adam aux dnjs. Pourtant, Fred Borey participe activement au développement du jazz dans sa région natale et a joué avec Charlier et Sourisse dans son propre trio. De plus, il est loué par ses pairs (Jérôme Sabbagh, Lionel Loueke) qui lui prédisent de beaux horizons artistiques et a signé chez Fresh Sound New Talent, le label de Jordi Pujol.

Fresh Sound est ce label qui finit par obtenir une image de débusqueurs de talents dans le milieu du jazz mainstream moderne bien propre sur lui. Tout d'abord représentatif de la mouvance new-yorkaise, son catalogue s'est enrichi de productions françaises, comme celle de David Prez et Romain Pilon. Et au final, derrière un packaging bien maîtrisé et un courant musical peut être un peu formaté, Fresh Sound prend des couleurs reconnaissables de l'extérieur. Une esthétique comme celles qu'on peut rencontrer chez ECM ou Criss Cross. Au terme formatage, on pourra préférer celui de mode. Nous avons là  encore une collaboration sax/guitare plus une section rythmique. Comme pour le cd de David Prez et Romain Pilon ou celui de Michael Felderbaum avec Pierre de Bethmann.

Pourtant on ne doute pas de l'authenticité de la musique proposée par Fred Borey. Celui-ci fait partie intégrante de ce mouvement mainstream moderne aux sonorités à a Rosenwinckel et aux développements mélodiques subtils, parfois abstraits et sous-jacents aux chorus. Et associé à Pierre Perchaud, la musique de Borey prend une dimension de sérénité et d'onctuosité. Pierre Perchaud est un guitariste à découvrir car son talent n'est plus à démontrer, mais à soutenir et encourager.

Les deux musiciens font respirer la musique encore et toujours; les notes défilent selon un canevas très structuré et se dégustent une à une sans étouffer le propos. Le saxophoniste et le guitariste se cherchent, se trouvent délicatement et soumettent posément chacun des idées expressives à exploiter, le tout forme un son! Tout en restant dans une esthétique veloutée et sans véritable escalade, le quartet de Borey crée une musique tendue mais souple où l'auditeur a le loisir d'apprécier le talent de musiciens qui prennent leur temps. Jerôme Gransac

Partager cet article
Repost0