JJJJ YVES ROUSSEAU : « Poète, vos papiers »
Harmonia Mundi 2007
Il est urgent de (re)découvrir le Verbe haut de Léo Ferré. Au-delà de ses succès populaires (Jolie Môme, C’est Extra ou Avec le temps), que connaissons-nous véritablement de l’œuvre de ce poète de combat ? (« Les plus beaux chants sont des chants de revendications. Le vers doit faire l’amour dans la tête des populations. A l’école de la poésie et de la musique on n’apprend pas, on se bat ! »1). Nous sommes-nous un instant risqués au-delà de ses coups de gueule d’anar révolté à goûter ses mots crûs. Il ne nous parle que de notre humanité étriquée (« N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale c’est que c’est toujours la morale des autres »1), ficelée, vide mais aussi de notre humanité aimante, miséreuse, souffrante et mourante. Ferré n’est pas un misanthrope, il aime trop la vie et la liberté pour cela. Ce sont ses mots libres, vindicatifs, emphatiques qu’Yves Rousseau nous donne à entendre car « la poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie. Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. »1 C’est cette chair sensuelle et généreuse que nous donne à goûter Jeanne Added et Claudia Solal, deux muses inventives et inspirées. Deux muses en liberté. Les chuintements de l’une et la verve de l’autre ; les mots qu’elles font leur : des mots cognés, jetés, hachés, tranchés, croqués, moqués et toujours respectés ; le swing dans chaque syllabe détachée ; la musicalité de la phrase superbement déclamée :
« Madame la misère écoutez le tumulte
Qui monte des bas-fonds comme un dernier convoi
Traînant des mots d'amour avalant les insultes
Et prenant par la main leurs colères adultes »2
Sur ces mots du recueil de Ferré paru en 1956, « Poètes, vos papiers » d’une saisissante modernité, les compositions et arrangements d’Yves Rousseau sont un travail d’orfèvre. Ils accentuent un tumulte (Préface), prolongent une émotion (Le plus beau concerto), accompagnent le cri de rage (Où va cet univers) ou portent la revendication (Tête à tête). Si bien que l’on ne sait plus reconnaître les chansons de Ferré de celles de Rousseau, ce dernier ayant su s’inspirer des créations du poète pour mieux libérer sa poésie du livre fermé. A ce titre l’arrangement de Signora Miseria (traduction en italien de la chanson de Ferré Madame la misère) ou du Testament (avec violons saturés) sont flamboyants. Tout le contraire de la tiédeur affectée que Ferré détestait tant. Yves Rousseau est de la même engeance que Ferré. Et puis il y a aussi Jeanne Added. Quelle personnalité ! Une jeune chanteuse au tempérament de feu : portez attention à Où va cet univers ou à A toi, elle ne fait pas dans la mesure ou la demi-mesure, elle brûle tout et ce tempérament convient parfaitement au libertaire Ferré. Quand on etend chanter Added, on comprend qu’il y a urgence et que c’est une question de vie et de vie. Il y a aussi Claudia Solal, improvisatrice fantasque, exigeante, barrée. Dans ce rôle d’interprète, elle garde la juste distance avec les textes, sans pathos et avec ce grain de voix à nous damner. Écoutez sa ferveur mystique sur Signora Misera ou sa souriante hauteur sur Mannequin. Voici un projet né de la rencontre magique d’artistes rares qu’il est urgent de découvrir pour sa brûlante radicalité. - Régine Coqueran
1 Léo Ferré – éditions La Mémoire et la Mer
2 Léo Ferré – Madame la Misère