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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 23:19

JJJ Damien Prud’Homme Quartet – « Reflets »

Cristal 2007

Damien Prud’homme est saxophoniste de Jazz. C’est à l’âge de 35 ans qu’il signe un second album de compositions intitulé « Reflets », entouré d’un trio de mouvance Hard-Bop avec Sergio Cruz au Piano, Gautier Laurent à la Contrebasse et Christian Mariotto à la Batterie. Toujours dans une recherche d’un son acoustique et singulier, le leader au ténor détient une remarquable technique de son instrument. La patte de velours et la solidité rythmique du contrebassiste offre l’assise à une énergie de groupe, ainsi que le batteur coloriste et ses univers multiples. Sous le label Cristal Records, cet album est enregistré les 21 et 22 Novembre 2006 au Studio Bop City, dans les faubourgs enfumés de Paris. La Musique est fraîche d’inventivité interactive. Un quartet machine de guerre ou de paix, comme on veut. En témoigne ce magnifique duo question-réponse entre le sax et la batterie sur le titre « Duo (interlude 1) », suivi d’une magnifique intro d’un pianiste au touché raffiné à l’extrême. Malheureusement, il est possible de trouver le mixage et la prise de son assez limités en qualité. Les studios Bop City proposent, c’est bien connu, une offre de services d’enregistrement de disques aux musiciens, à des prix défiants toutes concurrence. Il est donc imaginable d’y retrouver là bas une certaine inexpérience dans l’enregistrement de ce genre de Musique. On retrouve aussi dans le répertoire, en plus des compositions de Sergio Cruz et de Damien Prud’Homme , le tube interplanétaire qu’est Here’s That Rainy Day, magnifiquement déstructuré avec plaisir par ces derniers. Se dégage de l’ensemble une remarquable énergie, bouillonnante d’interactivité, de surprise, de magie. On sent une certaine affiliation aux grands saxophonistes comme Chris Potter avec des projets comme « Gratitude » par exemple. Mais toujours dans un souci de respect d’une tradition Jazz éternelle, qui se transforme, de jour en jour. La preuve nous est donnée à chaque instant dans ce disque : une partie du Jazz et son histoire vont enfin passer au rayon de l’archéologie comme l’est devenu la Musique Baroque par exemple, avec des musiciens comme Jordi Savall pour n’en citer qu’un. Peut être que le métier de Jazzman sera enfin mieux considéré. Dans ce nouvel opus, Damien Prud’Homme , attaché à son œuvre et à l’époque dont il s’est inspiré, examine chaque reflet de la beauté de Musique, par le biais des mélodies du cœur. Un disque fort en émotion. Tristan Loriaut

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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 23:17

JJJJ aLeXIS tCHOLAKIAN – « Search for peace »

www.tcholakian.fr

 DSC-00629.jpg

   Passons sur le titre un peu maladroit de cet album ( too much !) pour ne rester que sur l’essentiel, la musique. Celle que joue Alexis Tcholakian et qui est faite de ces standards qu’il s’approprie au point de réellement les sublimer. Alexis Tcholakian est inconnu des amateurs de jazz. Il ne fait partie ni du moule ni de la bande et c’est là une bien grande injustice que nombre de programmateurs, d‘éditeurs ou de labels feraient bien de prendre en considération. Car dans l’exercice du piano solo si souvent nombriliste et introspectif, Tcholakian dit tout autre chose. Il y a avec ce garçon qui s’est définitivement choisi pour maître Bill Evans et Keith Jarrett l’expression d’une passion secrète et romantique pour ces mélodies qu’il sait si bien nous rendre bleues à l’âme. Lorsqu’au bout des touches du clavier il y a les doigts du pianiste et qu’au bout de ses doigts se trouvent les bras qui remontent aux épaules et finalement au cœur du pianiste, alors la musique devient l’expression directe de l’âme, le prolongement d’une respiration intérieure et l’inspiration de la respiration même.

L’entrée en matière de cet album sur For all we Know est un choc total. Presque trop pour une entrée en matière. Mais la suite ne décoit pas. Tcholakian rend les choses simples. Jusqu’à ce Luiza de Jobim réputé pourtant impraticable et dont il s’affranchit de toutes les difficultés pour l’habiter totalement comme l’amour que l’on dit à une femme avant de lui faire. Mais Tcholakian se révèle aussi un compositeur particulièrement intéressant qui mêle à ses références classiques (de jazz) une modernité apprivoisée. Ecoutez bien la conclusion poignante de cet album. Certains vous diront certainement « mais, le jazz modal, tout le monde sait le jouer comme ça ! ». Repondez leur que c’est faux, que peu de musiciens n’osent aujourd’hui jouer ce jazz avec ces sentiments qu’il semble à quelques crétins prétentieux urgent de cacher. Et surtout dites leur de ne pas essayer. Car il y en a fort peu qui seraient capables de jouer cette musique comme Tcholakian, avec autant de vérité et de profondeur légère. Mais je suis sûr qu’il y a quelque part dans les nuages quelqu’un qui comprendra bien ce que je veux dire et qui verra en Tcholakian comme la poursuite de son propre rêve, c’est Michel Grailler auquel ce jeune pianiste me fait irrésistiblement penser. Avec tendresse et mélancolie -  Jean Marc Gelin
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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 23:15

WILLIAM PARKER : « Who owns music ? »

William Parker

Buddy’s knife 2007


parker-who-owns-music.jpg

William Parker est l’une des figures majeures depuis 30 ans de l’avant garde New Yorkaise. L’une de ces figures tutélaires qui règne dans ce paysage post free. Un colosse à la dimension d’Ellington ou de Mingus, véritable figure de proue pour toute une génération de musiciens noirs de Harlem.

 

A cette question volontairement polémique et engagée ( à qui apprtient la musique ?) William Parker répond pêle mêle dans ce petit opuscule en faisant à la fois un retour sur lui même, en livrant une suite de pensées et d’analyses libres et personnelle du paysage musical. C’est à l’image de ce qu’est William Parker, totalement anarchique, volontairement déstructuré, drôle et parfois même carrément ésotérique.

William Parker théorise tout dans une sorte de vision philosophique et cosmogonique de l’univers.

Sur l’improvisation par exemple : « there is also a theory of non repetition, which means if we play a note, say, a Bb, at 12 p.m, and play the same Bb at 12 :01, it sounds different, because time is moving around us every second the earth is rotating”….. Comprenne qui pourra.

Parfois aussi W.P s’engage politiquement et parfois avec beaucoup d’humour. Des bribes de réflexion décousues apparaissent comme ces 16 « entries » posées sur un carnet entre 1967 et 2006. Entry 6: “What is free jazz = Is this a movement to liberate jazz from its schakles, its name and standing ? Does it mean the audience gets in free? The musicians play for free?”

 

Au delà de l’intérêt évident à suivre William Parker dans le flot de ses pensées pas si  désordonnées que cela, il y a de toute évidence autre chose qui en émerge. C’est notamment cet esprit de la scène undergound New Yorkaise qui transparaît à chaque page.

Malheureusement,comme l’ouvrage de Henry Grimes (ci-après) ces opuscules ne sont disponibles que chez un petit éditeur allemand de Cologne difficilement trouvable, Buddy’s Knife. Un jeu de piste pour les amoureux de l’esprit de cette musique irrésistiblement libre. Il reste simplement à espérer qu’il fasse un jour l’objet d’une traduction chez nous                                                                       - Jean-Marc Gelin

 

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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 23:13

HENRY GRIMES: « Signs along the road - poems »

Henry Grimes

Buddy’s knife 2007 
grimes-sings-along-road.jpg

Henry Grimes est un drôle de personnage. Une de ces légendes du jazz qui en ont écrit les plus belles pages lorsqu’il traîna sa contrebasse avec les plus grands musiciens de jazz New Yorkais des années 60 : Cecil Taylor, Sonny Rollins, Don Cherry, Pharoah Sanders et bien d’autres.

Mais Henry Grimes disparut un beau jour sans laisser de trace et il devint quasiment impossible de savoir où il était. Nulle part peut être. Beaucoup pensaient qu’il était mort. En réalité Henry Grimes, parce que les temps étaient terriblement durs pour les musiciens dans cette Amérique là, avait dû se résoudre à vendre sa contrebasse pour résoudre ses problèmes d’argent. Mais dans l’incapacité totale de racheter ensuite son instrument, Grimes se vit contraint de disparaître totalement de la scène, faute de moyens de jouer. Il disparut alors plus de 30 ans jusqu’à ce qu’un jeune cadre américain, par ailleurs grand amateur de jazz reconnut stupéfait en son gardien de parking celui qui n’était autre que son contrebassiste idolâtré. Alors lorsque la nouvelle se répandit que Henry Grimes etait bien là, en 2003 le réseau des musiciens se mit en marche et l’on raconte que l’on doit à William Parker de lui avoir racheté son instrument, de l’avoir remis en selle sur toutes les scènes de jazz du monde entier où l’on peut à nouveau l’entendre dans une sorte de renaissance à la musique et à lui même.

Durant toutes ces années d’errance Henry Grimes écrivait. Des poèmes essentiellement. Une 50aine de poèmes essentiellement mystiques et quasiment ésotériques que l’éditeur Allemand Buddy’s Knife se propose de publier aujourd’hui dans un petit opuscule préfacé par le guitariste Marc Ribot. Il y est question des forces obscures et des énergies telluriques qui régissent notre univers dans une espèce de labyrinthe dans lequel on peut se perdre et ne pas se retrouver. Juste berçés par les mots enchaînés les uns aux autres dans une sorte de musicalité poétique.

 

Comme pour le livre de William Parker on remarquera dans ces petits ouvrages l’extrême élégance de ces éditions particulièrement soignées dans le parti éditorial et la qualité des clichés superbes en noir et blanc qui émaillent ces ouvrages. Assurément du beau travail dont on attend avec impatience une version traduite en français                                                                  - Jean-Marc Gelin

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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 23:10

manu-codjia.jpg

DNJ : Tu as sorti récemment ton premier album chez Bee jazz. Cet album a été quasi unanimement encensé par la critique à l’exception de quelques uns qui se sont demandés si tu ne t’etais pas fait un peu forcé la main. Ils se demandaient alors si tu avais eu vraiment envie de faire cet album là à ce moment là.

 

Manu Codjia : En aucun je ne me suis fait forcé la main. Cela faisait longtemps que les gens me disaient que je devais faire un disque et j’ai pris le temps avant d’accéder à leur demande. Moi j’etais très content de le réaliser. Par contre c’est vrai que je n’en suis pas totalement à l’initiative et ce n’est pas moi qui ait eu l’idée de ce beau casting ( avec Humair et aussi Moutin que je ne connaissais pas) même si c’est une formation avec laquelle j’ai adoré jouer. J’avais très envie de réaliser un album et c’est juste que l’occasion s’est présentée à moi avec Bee Jazz. Mais bon ce n’est effectivement pas l’aboutissement d’une longue démarche. Mohamed Gastli de Bee Jazz connaissait Daniel Humair (pour s’être occupé du trio avec Célea et Couturier). Daniel était emballé par l’idée et nous avons donc cherché un bassiste. L’idée est venu de lui d’aller chercher Moutin et c’était vraiment un super choix. C’est après que le casting a été déterminé que je me suis plongé à fond dans la musique que je pouvais écrire pour cette formation. A la base je ne voulais pas que l’on fasse des choses très ouvertes et je voulais vraiment qu’il y ait une grande part d’écriture dans ce projet. Je voulais créer de vrais climats. Pas seulement un thème qui laisserait la porte ouverte à toutes les impros. Maintenant si certain n’ont pas aimé, c’est le cours naturel des choses et je l’accepte bien volontiers. En revanche j’ai entendu des critiques me dire « on aurait aimé que tu fasse un autre disque comme –ci ou comme ça avec untel ou untel» et là je ne  suis plus du tout d’accord. Ce que j’ai fait est mon propre projet artistique et un journaliste n’a pas à me dicter mes choix, ni me dire quelle musique je dois jouer et avec qui.

 

 

DNJ : Justement, on s’attendait à ce que pour ce premier disque, tu y associes quelqu’un comme Mathieu (Donarier) avec lequel tu joues beaucoup

 

MC : Comme je tourne déjà beaucoup avec lui je voulais faire quelque chose d’un peu plus nouveau. Et puis je voulais surtout un trio qui me permettrait d’avoir plus de place et de m’exprimer plus. De jouer plus devant que je ne le fais d’habitude.

 

DNJ : Ce qui frappe dans ton premier album c’est que ton écriture semble privilégier la recherche du son. Est ce que c’est quelque chose qui se travaille à la table ou qui vient lorsque l’on est en studio ?

 

MC : Non il y a un vrai travail préalable au niveau de l’écriture. On a enregistré au mois de septembre (2006) et cela faisait déjà 6 mois que le projet avait été décidé. Et je dois dire que j’ai passé ces 6 mois là à beaucoup penser au son que je voudrais développer. Et je savais aussi qu’au delà des climats et au delà du son il était indispensable de garder une certaine fraîcheur à la musique. Je crois que c’est ce que nous avons réussi à faire.

 

DNJ : Même si c’est quelque chose d’évident dans tout le jazz cette recherche d’un son «à soi » est la préoccupation première des guitaristes aujourd’hui. Quels sont tes modèles en la matière ?

 

MC : Au risque de te décevoir ils sont très classiques : Scofield, Metheny et Frisell. Et bien sûr Ducret même si sa musique nest pas mon univers. Et puis forcément il y a Wes Montgomery et bien sûr Jimmy Hendricks.

 

DNJ : Hendricks c’est effectivement quelqu’un qui s’entend de plus en plus dans ton jeu

 

MC : Oui c’est vrai mais curieusement c’est quelqu’un que j’ai découvert assez tard finalement.

 

DNJ : Il est vrai que ton parcours a surtout été très vite orienté «  jazz », à la différence de certains guitaristes de ta génération chez qui on entend plus de références rock. Comment es tu venu à la musique ?

 

MC : En fait ma famille n’est pas spécialement musicienne à part mon père qui a tapé un peu le djembé au pays ( NDLR : le Benin). Mais c’est surtout ma grand mère qui a été déterminante. Elle jouait un peu de piano. Mon école se trouvait à côté de chez mes grands parents du coup je déjeunais chez eux et juste avant d’y retourner, après manger ma grand mère nous faisait faire ½ heure de piano. Elle nous apprenait la méthode rose. Ce qui m’a apprit à lire et d’avoir  un rapport à la partition beaucoup plus spontané que ce que l’on enseigne dans les écoles de musique. Un rapport concret à la musique. Après cela comme il n’y avait pas de piano chez ma mère j’ai joué de la guitare un peu par défaut. Parce que c’était plus facile d’en avoir une. Ensuite je suis allé dans une école de musique. Cela m’a assez vite plu. J’ai d’abord fait de la musique classique mais assez rapidement j’ai eu envie de faire autre chose. Je trouvais que c’était un peu austère. Au bout de 3 ans j’ai appris qu’il y avait une classe de jazz qui s’était ouverte et j’ai eu un prof qui s’appelle François Arnold et qui nous faisait surtout improviser sur des trucs des Beatles, des trucs un peu rock. Mais rapidement il a commencé à nous faire écouter des disques, à nous initier un peu à la culture jazz. Et très vite alors j’ai su que je voulais jouer cette musique. Ensuite j’ai beaucoup écouté et traversé toutes les périodes en m’arrêtant bien sûr sur Miles puis sur le jazz rock (Mike Stern surtout). J’ai même eu ma période guitare héro du genre Van Halen et autres.  Et puis Pat Metheny a été l’unes des grandes claques pour moi. Je me souviens d’un album de lui, « Letter from home ». J’étais totalement halluciné, je ne comprenais pas ce qu’il jouait. Après vers 16 ans je n’écoutais plus que du jazz : Wes, Miles, Trane. Mais je décrochais aussi du jazz rock qui commençait un peu à me lasser. Lorsque j’écoutais des groupes comme Uzeb, j’etais toujours très impressionné par la côté technique mais en revanche le discours musical ne m’intéressait pas vraiment. N

 

 

 

 

 

 

DNJ : A quel moment es tu monté à Paris ?

 

MC : Juste après mon bac. J’ai décidé de quitter Chaumont et de monter m’inscrire au CIM (vers 1993). C’était la dernière année avant la mort d’Alain Guerini. C’est là que pas mal de connexions se sont faites. J’ai eu des profs comme Olivier Ker Ourio notamment ou Pierre Culaz. Mais ensuite j’ai intégré le conservatoire où j’ai découvert encore un nouvel environnement musical. D’abord parce que nous étions moins nombreux et ensuite parce que le niveau musical y était encore supérieur. C’était le CNSM de François Jeanneau. C’est là que j’ai rencontré des gens comme Benjamin Moussay, Jean-Charles Richard, Thomas Savy, Thomas Grimonprez. A l’époque j’avais encore une conception assez classique du jazz, dans le sens pas très avant gardiste. C’est à ce moment là que Christophe Monio est arrivé, en même temps que des gens comme Donarier,G. Kornazov, Geoffroy Tamisier…… Et tous ces gens là (notamment Monio) m’ont fait découvrir une forme de jazz que je ne connaissais pas vraiment. La musique d’improvisation totale depuis Ornette jusqu’à des trucs totalement barrés comme Zorn par exemple. Avant je ne voulais jouer que des trucs très clean genre guitare dans l’ampli, super phrasés, recherche harmoniques et tout et tout. Mais après avoir écouté ces nouveaux trucs j’ai modifié ma façon de jouer en mettant du son, de la reverb pour modifier mon univers. Et c’est à ce moment là que l’on a commencé à monter des groupes avec Mathieu (Donarier) ou Christophe (Monio). Des trucs comme les Spice Bones qui fonctionnaient pas mal, avec 4 trombones, rien que ça ! Puis avec Monio Mania etc…

 

DNJ : Ensuite il y a le fameux tremplin de la Défense en 1999. Une étape importante j’imagine

 

MC : Cette année là j’ai un peu trusté La Défense parce que j’ai joué avec 4 groupes. J’ai eu le 1er prix de soliste et aussi le 1er prix de groupe. Après te dire que cela a été déclencheur, je n’en suis pas vraiment conscient mais j’imagine que les journalistes ont commencé à entendre mon nom et que les choses sont donc allé plus vite. C’est vrai que ma rencontre juste après avec Eric Truffaz s’est faite un peu grâce cela. Et comme il avait entendu parler de moi et qu’il était en train de monter son nouveau de groupe il m’a appelé. Cela coïncidait aussi avec le moment de la fin de mes études et mon entrée réelle dans la vie professionnelle de la musique. Notamment aussi mon passage très bref après le fameux ONJ de Damiani qui a fait couler tant d’encre.

 

DNJ : Avec Truffaz il y a là encore l’apprentissage du travail sur le son ?

 

MC : Oui, complètement. Ce sont des musiques que je n’avais jamais vraiment jouées. Et puis cela nous donné l’occasion de faire plein de tournées dans le monde entier, dans des salles remplies de milliers de personnes enthousiastes. Vraiment une belle expérience.

 

DNJ : Comment s’est faite ta rencontre avec Texier ?

 

MC : Après Truffaz les choses se sont naturellement accélérées. La rencontre s’est faite par l’intermédiaire de son fils Sébastien avec qui j’ai eu l’occasion de jouer plusieurs fois. Et puis Henri est quelqu’un qui est resté très curieux, qui va voir les concerts et qui reste très à l’écoute de ce qui se joue. Et donc il m’a appelé et on s’est vus.

 

DNJ : Tu as eu le trac de le rencontrer ?

 

MC : Non pas du tout

 

DNJ : Parce que tu es totalement sûr de toi

 

MC : Non pas du tout mais c’est que je ne suis pas quelqu’un de très extraverti mais je me dis que je joue comme je dois jouer, que je fais le maximum et puis voilà. Maintenant j’aime les choses qui me stimulent. Et puis avec Henri c’est vraiment quelqu’un qui est à la fois très exigeant, qui sait exactement ce qu’il veut mais qui en même temps est très accessible. C’est quelqu’un vraiment de très généreux et qui a une vision très précise de ce qu’il a envie d’entendre de nous. Il est très précis et il entend vraiment sa musique dans sa tête.

 

DNJ : En ce qui concerne ton jeu, on a parfois le sentiment que tu rechignes beaucoup à te mettre en avant. Il y a comme une sorte d’abnégation

 

MC : C’est vrai on m’a beaucoup dit cela et c’est vrai aussi que je suis quelqu’un d’assez introverti. Du coup cela peut laisser croire à de l’abnégation. Mais en fait c’est autre chose. C’est surtout que quelque soit le contexte, en trio, avec une chanteuse ou avec un big band je cherche avant tout à rester connecté avec l’environnement musical qui se crée et à m’y fondre. De me mettre au service de la musique quelque soit celui qui la joue. Mais par exemple dans mon trio je ne prends aucun plaisir à me mettre en avant. Mais ce n’est pas que je rechigne à passer devant, c’est autre chose.

 

DNJ : Mais entre ce rôle que l’on sent plus en retrait lorsque tu joues avec les autres et cette mise en avant plus exposée lorsque tu es en trio, as tu pensé à jouer dans des quartet du genre de ceux que l’on entend dans la mouvance de Rosenwinkell ?

 

MC : Non pas du tout. Je ne me sens pas d’affinités avec toute cette scène des jeunes quadras New Yorkais. Je n’ai pas envie de jouer cette musique qui ne m’intéresse pas vraiment.

 

DNJ : Et avec un piano ?

 

MC : Je crois que c’est vraiment difficile pour un guitariste de jouer avec un pianiste. Il y a peu de pianiste qui soient à l’écoute du son que l’on peut créer ensemble. Sauf peut être quelqu’un comme Laurent Coq qui est vraiment pour le coup quelqu’un qui est très attentif à cela. Sinon il y a bien sûr de superbes pianistes mais j’ai du mal à entendre derrière mes propres accords ceux du clavier.

 

DNJ : Aujourd’hui quelle direction musicale prends tu?

 

MC : Avec le trio Humair et Moutin cela risque de ne pas tourner beaucoup. En revanche j’ai très envie aujourd’hui de faire tourner mon nouveau trio avec Philippe Garcia et Jérôme Regard  et de constituer un noyau sur la base de ce trio. Qui plus est j’ai un contrat d’artiste avec Bee Jazz et j’ai donc encore 2 disques à faire (au total 3 en 5 ans).

 

DNJ : Tu as dû être pas mal sollicité par les labels

 

MC : Oui c’est vrai mais le truc c’est que peu de labels produisent. C’est tout l’intérêt de Bee Jazz.

 

DNJ : En side man tu joues avec qui en ce moment ?

 

MC : Je viens de participer à l’album de Leïla Olivesi qui est sorti chez Nocturne. Par ailleurs j’ai fait un enregistrement avec Francesca Stradivarius ainsi qu’un duo avec Michel Benita.                   Sinon je viens de finir l’enregistrement du quintet de G. Kornazov avec Emile Parisien, Marc Buronfosse et Karl Jannuska. J’ai aussi enregistré un album avec Geoffroy Tamisier. Donc pas mal de projets en cours.

 

DNJ : Qu’écoutes tu en ce moment

 

MC : En fait je suis assez conventionnel. Du coup je réécoute toujours les mêmes, Miles, Coltrane, Jarrett, Frisell etc…. Mais je ne suis pas un acheteur de disques compulsif.

 

DNJ : Sur l’île déserte tu emporterais quoi

 

MC : My Funny Valentine de Miles bien que je n’ai pas besoin de l’emporter puisque je le connais par cœur. C’est pour moi la quintessence de ce que représente le jazz.

 

DNJ : Le free, c’est important pour toi

 

MC : Je crois qu’avec le free on touche à la quintessence de l’improvisation même si je n’aime pas beaucoup tout ceux qui se refusent absolument à jouer le moindre accord

 

DNJ : Marc Ducret ?

 

MC : D’abord c’est un maître de l’instrument. Parfois sa musique me perd un peu mais je trouve que sa musique est absolument incroyable. Au delà de la maîtrise de son instrument c’est la précision de son discours musical que je trouve bluffante. Il a des idées très complexes qu’il domine totalement. Je suis hyper impressionné par Ducret ! C’est vraiment impressionnant dans l’aboutissement de l’idée musicale.

 

DNJ : Peux tu citer le nom d’un artiste que tu détestes?

 

MC : Le truc c’est que j’aime les artistes, tous les artistes. Le problème c’est que c’est un mot galvaudé. Il y a beaucoup de gens qui se prétendent artistes et qui ne le sont pas. Ceux là je ne les aime pas beaucoup. Quand à savoir qui ils sont, tu as l’embarras du choix, je te laisse deviner…..

 

 

 

 

Propos recueillis par Jean-Marc Gelin

 

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27 octobre 2007 6 27 /10 /octobre /2007 07:35

JJJJ lEiLA OLIVESI : « L’étrange fleur »

Nocturne 2007

Leïla Olivesi (p), Boris Pokora (ts), Manu Codjia (g), Elisabeth Kontomanou (vc), Chris Jennings (cb), Donald Kontomanou (dm)

NTCD430-RECTO.jpg


Cette fois c’est sûr Leïla Olivesi a trouvé la bonne formule autour de laquelle elle semblait tourner depuis un bon moment. Depuis l’époque en fait de son premier groupe, le Brahma Sextet. On entendait à l’époque Leïla Olivesi dans les clubs parisiens comme à la recherche de sa formation idéale, essayant un tel ou une telle. Chaque fois des musiciens de grand talent (Jeanne Added, Magic Malik pour ne citer qu’eux) mais chaque fois aussi des musiciens qui s’envolaient vers d’autres sphères. Leïla Olivesi semblait alors peiner à trouver ceux et celles avec lesquelles elles s’engagerait dans le projet qui lui tenait le plus à cœur. Ce projet auquel son rapport très intime exigeait de la compositrice qu’elle en bâtisse l’ossature idéale.

La part de l’intime

Mais cette fois, avec cet album là, c’est sûr, Leïla Olivesi a trouvé sa pierre philosophale. Il y a déjà quelques années, elle nous confiait son désir de composer une sorte de suite dont le fil conducteur seraient les poèmes écrit par sa mère. Ces textes à l’étrange force d’envoûtement qui racontent l’histoire de Aïcha Kandicha, ce personnage mythique qui, au-delà de l’image de la sorcière telle qu’on la raconte aux enfants, se révèle au fil de ces poèmes comme la représentation de la femme universelle. Un divinité faite femme, à la sensualité farouche, libre et donc insaisissable. Une femme détentrice des secrets de l’univers qui pourrait libérer ses forces de vie si seulement les hommes atteignaient à cette sagesse à laquelle seul le vieillard rencontré au cours de ces pages semble avoir accédé. Par les temps inquiétants qui se révèlent aujourd’hui, et qui en Orient comme en Occident semblent plus que jamais emprisonner la femme derrière toute forme de prisons, du voile lourd jusqu’aux pages glacées de quelque magazine glamour, ces beaux poèmes pourraient alors avoir valeur de message fort. Et qui d’autre mieux que Elisabteh Kontomanou pour chanter ainsi libre sagesse de Aïcha Kandicha !

Il y a donc dans le travail de Leïla Olivesi, fille et femme à la fois quelque chose de très intime. Il y a cette sincérité émouvante dans l’hommage qu’elle rend à sa mère qui rend elle-même hommage aux femmes. Mais plus qu’un hommage c’est la continuation du travail de la mère par la fille qui lui donne une force certaine.

Mais à partir de là, Leïla Olivesi fait preuve d’une très grande maturité dans ses compositions. Par rapport à ce que nous avions entendu dans le Brahma Sextet, la pianiste a en effet fait un chemin impressionnant jusqu’à se hisser au rang d’une compositrice de très grand talent. Des  compositions qui évoquent parfois Wayne Shorter ou parfois Pat Metheny si on état obligé de se raccrocher  quelques sublimes références.

Formule gagnante

Leïla Olivesi a trouvé la formule gagnante en associant le saxophoniste Boris Pokora (primé l’an dernier aux trophées du Sunside) au guitariste Manu Codjia toujours aussi impressionnant dans cette puissance tout en détachement qui émane de son jeu. Derrière rien à dire. Chris Jennings et Donald Kontomanou se connaissent bien et tournent admirablement. Le jeune batteur que l’on a l’habitude d’entendre, toujours très réservé lorsqu’il joue derrière sa chanteuse de mère, se libère littéralement lorsqu’il se met au service du quintet. On l’a déjà dit ailleurs, ce batteur c’est sûr deviendra assurément un très grand.

En réussissant dans cet album à conjuguer la mise en voix des poèmes de sa mère, en alternant ceux-ci avec des compositions instrumentales très riches au groove sous jacent, Leïla Olivesi réalise une réelle performance dont on imagine bien tout le travail préalable que cela a dû lui demander. Et l’on reste alors totalement acquis à la cause de cet album dans lequel les résonances réverbérées de la guitare de Manu Codjia répondent aux sinuosités puissantes et assurées du saxophoniste et contribuent ainsi à la mise en espace d’un univers mouvant à la poésie étrangement fantomatique et aux contours sensuellement mystérieux. Jean-Marc Gelin

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27 octobre 2007 6 27 /10 /octobre /2007 07:35

Cristal 2007

Eric Plandé (ts), Joachim Kühn (p, as), Jacques Mahieux (dm), François Verly (perc)

plande-between2.jpg  De ses deux derniers opus « Abyss »  et « Jails of Innocence »,  nous avions retenu le son et l’énergie passionnée d’un artiste étonnant et engagé, dont on ne parle guère, même dans les « chapelles » les plus extrémistes. Et pourtant voilà un musicien qui a  traversé de façon exemplaire toutes les modalités du jazz, du début des années quatre vingt  à nos jours, sans exclusive aucune, et sans jamais d'autre recherche que celle exigeante qui découle du désir de musique. On en revient toujours là.  Eric Plandé  impose sa vision grave et épurée d’une musique à vif. Il continue visiblement à réaliser avec rigueur et précision, des albums aussi tranchants qu’euphorisants. A peine plus apaisé mais toujours très déterminé, ce nouvel album  indique une direction potentielle plus  « écrite », littérale, qui puise sa source dans les pages âpres et efficaces d’écrivains comme Eric-Maria Remark, Guy de Maupassant (le Horla) ou de Stephan Zweig (Amok).

Between the lines est le titre bien choisi de ce cri d’amour d’Eric Plandé pour ces mots brûlants d’auteurs qui ont souvent payé de leur personne leur engagement dans l’écriture. Des mélodies fortes, sensibles, et terriblement prenantes, intemporelles comme la souffrance dont elles témoignent, puisque ce sont les textes de ces écrivains « maudits » qui sont le conducteur de cet album étrange que l’on écoute recueilli, en songeant à la lecture. On retrouve la même intransigeance pour faire entendre un jazz vif sans frontières et repères, libre en un mot, avec des musiciens dans le feu de l’improvisation, toujours  au rendez vous quand il s’agit de jouer  avec lyrisme, tout en assurant la rigueur de l'échange.  Le saxophoniste au seul ténor est entouré d’une  rythmique efficace, d’autant plus complice qu’il retrouve le frémissant Jacques Mahieux à la batterie, que rejoint le brillant François Verly aux percussions. Une rythmique splendide donc, qui se moque des genres et des contraintes de style et laisse chanter la pulsation, ternaire ou binaire dans les compositions personnelles du saxophoniste. Pas de contrebasse mais  le formidable Joachim Kühn qui, au piano et sur deux plages à l’alto, donne la mesure une fois encore de tout son talent. La sonorité toujours aventureuse du saxophoniste  ténor est rejointe par le piano tourmenté et rebelle de Kuhn. C’est en effet le partenaire rêvé pour une entreprise de ce type, une aventure du corps et de l’âme.  Il se laisse traverser par la musique violemment et ardemment aussi, son phrasé plus harmonique que mélodique, se combine aux  emportements  tout de même très mélodiques du saxophoniste

Cette musique encore austère résonnera immédiatement aux oreilles de ceux qui partagent le même territoire  dans lequel on peut s’immerger, en confiance si ce n’est en toute sérénité.

Une musique vivante qui s’écoute de l’intérieur, sans concession aucune à la mode, exprime une colère non rentrée, l’audace étant une constante, comme  cette exacerbation lyrique, très coltranienne. Sophie Chambon

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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 10:10

LE JAZZ

Philippe Hucher

Ed. Librio

75 pages – 2 €


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On serait presque tenté de dire qu’à ce prix là, l’ambition de raconter le jazz en 75 pages et pour la modique somme de 2 € seulement relève d’une gageure impossible à tenir. C’est pourtant ce que propose la collection Librio au travers de sa collection « Musique ». Elle nous avait pourtant notamment gratifié en son temps d’un très efficace et sommaire ouvrage sur Coltrane écrit par Pascal Bussy ( n° 267), mais là il faut bien avouer que l’auteur, Philippe Bucher qui pourtant ne manque pas d’offrir quelques réflexions intéressante sur le sujet s’est trouvé confronté à un sujet bien trop grand pour lui.

Refusant une vision qui aurait été chronologique de bout en bout il consacre la première partie à l’énoncé des grands courants du jazz préférant s’attaquer dans un deuxième temps à une vision plus sociologique du jazz et de ses interconnexions culturelles. Mais force est de constater qu’à vouloir hésiter entre un pur ouvrage didactique (ce qui est la vocation première de ce type d’ouvrage) et une approche plus personnelle, l’auteur dans les deux cas ne fait que survoler largement le sujet. Ce qui se comprend aisément compte tenu de la contrainte formelle. Dès lors une exercice ultra difficile comme donner une discographie que toute personne désireuse de découvrir le jazz est en droit d’attendre, se traduit par une sorte de non choix du type : voilà ce que moi, Philippe Hucher j’ai écouté durant l’année 2006 ! Ce qui, il faut bien le dire n’est ni un critère de découverte du jazz, ni obligatoirement un critère absolu de bon goût. On trouve alors dans cette 50aine d’entrées, du Bach par Glenn Gould comme du Franck Zappa, du Robert Wyatt ou encore du Suzan Abuelh. Mais de Lester Young ou de Duke Ellington, rien. Comme dirait l’autre : «  choisir c’est renoncer…. »

Quand au choix des supports de presse, si à côté de la presse nationale, quelques sites internet sont cités dont celui des Allumés du Jazz (no comment), on constatera la cruelle absence de celui (désormais incontournable) de Citizen Jazz et encore, plus impardonnable, celui bien sûr des Dernières Nouvelles du Jazz. C’est pas grave on est pas rancunier.

Mais quitte à aborder la question du jazz avec un grand « J » on ne saurait trop que vous recommander d’investir 25 euros de plus et de lire « Jazz dans tous ses état » de notre confrère Franck Bergerot aux Éditions Larousse. Vous en sortirez à la fois bien plus érudit et bien plus intelligents

Jean-Marc Gelin

 

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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 10:08

JJJJ La preuve par neuf 

Trois trios (Teddy Wilson Duke Ellington Ahmad Jamal)

Alain Pailler

Birdland, Rouge profond

2007

 

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Avoir à choisir trois trios pour illustrer l’intérêt de cette formule en jazz était une mission impossible dont Alain Pailler se sort avec aisance et savoir-faire dans l’ouvrage intitulé La preuve par neuf. Trois trios : Teddy Wilson, Duke Ellington, Ahmad Jamal, paru dans la collection Birdland, aux Editions Rouge Profond, dirigées avec talent par Christian Tarting.

 

Alain Pailler malgré son érudition dans ce domaine, ne se pose jamais en historien ni en chercheur musicologue. Il nous raconte ses souvenirs, ses émois en jazz. Ce n’est donc pas l’histoire des trios dans cette musique mais plutôt sa vision personnelle de cette musique au travers d’une formule intemporelle, qu’il affectionne particulièrement, peut-être parce qu’elle rappelle « la pulsation du jazz, d’essence ternaire.». Ce format est «la combinaison la plus exigeante…où chacun des membres affirme sans réserve et sans relâche sa personnalité propre».

Alain Pailler se risque à faire des choix précis, émet des avis parfois tranchés et peut-être discutables, mais il livre son appréciation sensuelle et sensorielle en amateur éclairé.

Dans le premier trio choisi, celui de Teddy Wilson, hommage est rendu au grand classicisme de ces gentlemen musiciens qui maîtrisaient parfaitement la langue jazz. « Nul n’attendait qu’ils réinventent le jazz à la façon d’un Martial Solal ou d’un Daniel Humair ». Mais dans ce trio sans contrebasse, Jo Jones sideman est un batteur sur lequel on peut drôlement compter. Plus que cela même puisqu’il a, selon Pailler, une rare qualité d’empathie, quasi-gémellaire avec le pianiste Teddy Wilson, d’où le titre de ce chapitre « Hommage aux Dioscures ».

Extrêmement prévisibles, les interventions en 1955 de Jo Jones, Teddy Wilson et Milt Hinton n’en sont pas moins admirables de précision d’élégance et de swing. Certes, ce jazz n’aborde pas des terra incognita comme le feront Bill Evans et Ahmad Jamal, mais « il ne manque pas pour autant de flamme ».

 

L’auteur ne pouvait pas faire l’impasse de Duke Ellington, objet de ses précédents ouvrages chez Actes Sud, mais dans la partie intitulée, « Duke et le pianorchestre », il reprend à son compte la déclaration du fidèle Billy Strayhorn : « Ellington jouait du piano mais son véritable instrument était l’orchestre».

Si, dans «Duke Plays Ellington» (1er mars 1961), on retrouve sa fascination pour l’Afrique, véritable «scène primitive», avec Mingus et Roach, il s’agit désormais d’une conception polémique du trio que propose « Money Jungle » (17 septembre 1962), refusant toute séduction, « formidable machine à broyer de la couleur… annonçant Randy Weston, ou Cecil Taylor ».

Ahmad Jamal, enfin, a l’originalité de ne pas suivre l’esthétique bop de son temps. Epris de mélodie, il est la synthèse parfaite du piano mainstream. Ni pur soliste de l’instrument, ni sideman, il a besoin de bien s’entourer pour élaborer son propre discours. Après la réussite d’une première formation avec le guitariste Ray Crawford, Alain Pailler souligne la véritable originalité du trio légendaire de 1958 au Pershing Lounge, avec Vernell Fournier et Israel Crosby, qui arrivait à faire entendre ce qui est là mais se dérobe sans cesse », de se refuser en quelque sorte à la déclaration, avec « le secret de la mise en espace »

 

Aux choix revendiqués, assumés, qu’il nous fait partager, sans omettre de précieuses indications discographiques, Alain Pailler inclut, dans sa Coda, en feintant quelque peu la contrainte imposée, Bill Evans dans son album posthume de 1977, l’admirable « You must believe in spring ». Ainsi, il a le mérite d’évoquer deux compagnons inattendus Peter Erskine, et Zigmund Eliot, jolie pirouette à la tradition critique qui ne manque jamais de citer le premier trio (Scott Lafaro et Paul Motian) et le dernier (Marc Johnson et Joe La Barbera).

 

Ainsi, avec des descriptions imagées et une sensibilité de romancier, ce livre entraîne à réécouter ces formations mythiques, ces associations parfois éphémères qui firent merveille et l’un des mérites -et non des moindres- de cette «Preuve par neuf» est d’inciter le lecteur à se précipiter, une fois l’ouvrage fini, sur les enregistrements cités pour se faire sa propre idée et se constituer sa petite histoire du trio jazz.

Sophie Chambon

 

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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 10:07

JJJ L’âme de Billie Holiday

MARC EDOUARD NABE

Ed. La petite Vermillon

Edition originale

270 pages – 8,50 €

 

 

Marc Edouard Nabe n’était pas encore né lorsqu’il découvrit Lady Day. Il était alors dans le ventre de sa mère qui était elle-même à un concert de Billie. Il est vrai qu’il était là dans un cocon favorable puisque l’écrivain Marc Édouard Nabe, de son vrai nom Alain Zanini n’est autre que le fils du célèbre clarinettiste, Marcel Zanini. Et c’est naturellement que durant son enfance, Marc Edouard Nabe fut amené à côtoyer les plus grands musiciens de jazz. Dans les années 50 son père jouait d’ailleurs dans les meilleurs clubs de New York. Un cliché pris en 1955 au sortir de l’Apollo hantera certainement l’imaginaire de l’écrivain durant son enfance. On y voit ainsi son père aux côtes de Clifford Brown, James Moody, King Pleasure et, au centre la photo, Lady Day (pas la femme au Gardénia mais juste la spectatrice de passage ce soir là avec l’un de ses salopards de mari). Dès lors son amour pour la chanteuse n’a jamais quitté l’écrivain. Un amour sans limite.

Dans cette réédition d’une version originale publiée en 1997, ne vous attendez pas à une biographie de la chanteuse. L’affaire est bien  plus grave puisqu’il s’agit d’une profession de foi. Mais Nabe ne se contente pas de dire qu’il aime Billie Holiday. Sa foi n’est pas aveugle. Au contraire, il sait bien pourquoi il aime. Un amour lyrique mais un amour savant aussi, capable d’analyser l’irrationnel. Car l’affaire est entendue pour Nabe, il n’y a pas et il n’y aura pas plus grande chanteuse de jazz que Lady Day. Et comme pour tout croyant cette vérité là ne souffre pas de contradictions. C’est un fait ! Et pour preuve il sait tout d’elle. Il a tout écouté, tout lu, tout entendu. Et il nous restitue tout. Et ce qu’il dit relève de toutes les passions amoureuses. Donc forcément il y a de l’érotisme. Celui que l’on voit, celui que l’on entend, celui de la voix de Billie qui fait l’amour aux mots qu’elle chante et celui qui laisse notre écrivain fou transi lorsqu’il entend Lester prendre un chorus derrière la chanteuse comme s’il lui murmurait une caresse dans le cou.

L’amour de celui qui n’a jamais pu se défaire de cette voix envoûtante. L’amour de la chanteuse mais aussi l’amour de l’âme de la chanteuse. La fascination pour cette façon de vivre et mourir sur scène. Pour cette façon de donner vie et mort aux phrases et aux mots. Marc Edouard Nabe le dit bien : «  le chant de Billie Holiday est l’oubli et la mémoire simultanés de ce qu’elle a souffert ».

L’écrivain Marc Edouard Nabe, de son vrai nom, Alain Zanini  est un génial manipulateur des mots. Chez lui se retrouvent toute une tradition des écrivains français des années 40 qui va de Vian à Céline. Un style à la fois direct mais aussi magnifiquement emphatique. Pas question de sentiments mous dans ce livre mais un dithyrambe d’érudit.  Bâti comme des chansons sur la base de petits chapitres très courts, suivant un ordre chronologique mais bousculant l‘ordre logique, passant du « elle » à «  je», se perdant dans les méandres de sa pensée lyrique, Marc Edouard Nabe donne rythme à son texte. Il y a dans ce voyage au pays de Billie Holiday comme des airs de voyages Céliniens à New York. L’écrivain journaliste qui jadis faisait les beaux jours de Charlie Hebdo aux côtés du professeur Chorron nous emporte dans une ivresse locutive, une suite des mots d’amour hallucinés et lucides :

Extraits :

Werner Schroeter disait que le son de la voix de Maria Callas le faisait saigner du nez. Les morceaux de Billie Holiday m’ont arraché plusieurs dents.

Ni grave ni aiguë, ni sucrée ni salée, ni aigre douce ni douce-amère, la voix de Billie n’a pas de tessiture : elle serpente dans les spectres sans se laisser classer. Elle fore les basses fréquences, déhanches celle des anches qui lui ressemblent : c’est un cygne aux harmoniques inférieur qui joue au basson, puis vibre en vol en laissant dans la mare les ondes suffisantes à troubler la verdeur du ciel reflété. Elle n’a pas de limite : son timbre n’est pas collé d’un tour de langue sur un registre quelconque. La glotte s’ouvre comme la caverne d’Ali- Baba, par Sésames résonateurs. On arrive jamais à imaginer que Billie Holiday possède des cordes vocales.

Il faudrait écrire un gros ouvrage cette fois sur sa voix même, des pages et des pages de listes d’images auxquelles sa voix nous attache, un genre de journal intime du timbre de la grande Dame Diurne.

Ce que son vocal évoque :

Vieilles gazes trempées lentement dans du jus de citron

Tigre pleurant dans un piège

Chat de gouttière qui se roule dans le sucre glace

Lac des Cygnes dans la  cendre

Chewing-gum ombilical

Dents qui tombent

Ski céleste

Fourrure qui brûle

Moteur d’aspirateur qui expire

Toboggans sous-marins

Bulles de savon crevées par coup de griffes

Tièdes douches de miel

Zig-Zag d’un lézard dans la nuit

Oraison d’un boxeur blessé

Luge sur de la fourrure

Confidence d’une descente de lit. »

 

A lire donc et déguster comme un verre de Château Latour après l’amour en écoutant de préférence les enregistrements de Lady Day en 1939 en compagne de Lester Young et de Teddy Wilson

Jean-Marc Gelin

 

NB : à lire de Marc Édouard Nabe son article sur Jaco Pastorius dans Jazzman de septembre

 

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