DNJ : Tu as sorti récemment ton premier album chez Bee jazz. Cet album a été quasi unanimement encensé par la critique à l’exception de quelques uns qui se sont demandés si tu ne t’etais pas fait un peu forcé la main. Ils se demandaient alors si tu avais eu vraiment envie de faire cet album là à ce moment là.
Manu Codjia : En aucun je ne me suis fait forcé la main. Cela faisait longtemps que les gens me disaient que je devais faire un disque et j’ai pris le temps avant d’accéder à leur demande. Moi j’etais très content de le réaliser. Par contre c’est vrai que je n’en suis pas totalement à l’initiative et ce n’est pas moi qui ait eu l’idée de ce beau casting ( avec Humair et aussi Moutin que je ne connaissais pas) même si c’est une formation avec laquelle j’ai adoré jouer. J’avais très envie de réaliser un album et c’est juste que l’occasion s’est présentée à moi avec Bee Jazz. Mais bon ce n’est effectivement pas l’aboutissement d’une longue démarche. Mohamed Gastli de Bee Jazz connaissait Daniel Humair (pour s’être occupé du trio avec Célea et Couturier). Daniel était emballé par l’idée et nous avons donc cherché un bassiste. L’idée est venu de lui d’aller chercher Moutin et c’était vraiment un super choix. C’est après que le casting a été déterminé que je me suis plongé à fond dans la musique que je pouvais écrire pour cette formation. A la base je ne voulais pas que l’on fasse des choses très ouvertes et je voulais vraiment qu’il y ait une grande part d’écriture dans ce projet. Je voulais créer de vrais climats. Pas seulement un thème qui laisserait la porte ouverte à toutes les impros. Maintenant si certain n’ont pas aimé, c’est le cours naturel des choses et je l’accepte bien volontiers. En revanche j’ai entendu des critiques me dire « on aurait aimé que tu fasse un autre disque comme –ci ou comme ça avec untel ou untel» et là je ne suis plus du tout d’accord. Ce que j’ai fait est mon propre projet artistique et un journaliste n’a pas à me dicter mes choix, ni me dire quelle musique je dois jouer et avec qui.
DNJ : Justement, on s’attendait à ce que pour ce premier disque, tu y associes quelqu’un comme Mathieu (Donarier) avec lequel tu joues beaucoup
MC : Comme je tourne déjà beaucoup avec lui je voulais faire quelque chose d’un peu plus nouveau. Et puis je voulais surtout un trio qui me permettrait d’avoir plus de place et de m’exprimer plus. De jouer plus devant que je ne le fais d’habitude.
DNJ : Ce qui frappe dans ton premier album c’est que ton écriture semble privilégier la recherche du son. Est ce que c’est quelque chose qui se travaille à la table ou qui vient lorsque l’on est en studio ?
MC : Non il y a un vrai travail préalable au niveau de l’écriture. On a enregistré au mois de septembre (2006) et cela faisait déjà 6 mois que le projet avait été décidé. Et je dois dire que j’ai passé ces 6 mois là à beaucoup penser au son que je voudrais développer. Et je savais aussi qu’au delà des climats et au delà du son il était indispensable de garder une certaine fraîcheur à la musique. Je crois que c’est ce que nous avons réussi à faire.
DNJ : Même si c’est quelque chose d’évident dans tout le jazz cette recherche d’un son «à soi » est la préoccupation première des guitaristes aujourd’hui. Quels sont tes modèles en la matière ?
MC : Au risque de te décevoir ils sont très classiques : Scofield, Metheny et Frisell. Et bien sûr Ducret même si sa musique nest pas mon univers. Et puis forcément il y a Wes Montgomery et bien sûr Jimmy Hendricks.
DNJ : Hendricks c’est effectivement quelqu’un qui s’entend de plus en plus dans ton jeu
MC : Oui c’est vrai mais curieusement c’est quelqu’un que j’ai découvert assez tard finalement.
DNJ : Il est vrai que ton parcours a surtout été très vite orienté « jazz », à la différence de certains guitaristes de ta génération chez qui on entend plus de références rock. Comment es tu venu à la musique ?
MC : En fait ma famille n’est pas spécialement musicienne à part mon père qui a tapé un peu le djembé au pays ( NDLR : le Benin). Mais c’est surtout ma grand mère qui a été déterminante. Elle jouait un peu de piano. Mon école se trouvait à côté de chez mes grands parents du coup je déjeunais chez eux et juste avant d’y retourner, après manger ma grand mère nous faisait faire ½ heure de piano. Elle nous apprenait la méthode rose. Ce qui m’a apprit à lire et d’avoir un rapport à la partition beaucoup plus spontané que ce que l’on enseigne dans les écoles de musique. Un rapport concret à la musique. Après cela comme il n’y avait pas de piano chez ma mère j’ai joué de la guitare un peu par défaut. Parce que c’était plus facile d’en avoir une. Ensuite je suis allé dans une école de musique. Cela m’a assez vite plu. J’ai d’abord fait de la musique classique mais assez rapidement j’ai eu envie de faire autre chose. Je trouvais que c’était un peu austère. Au bout de 3 ans j’ai appris qu’il y avait une classe de jazz qui s’était ouverte et j’ai eu un prof qui s’appelle François Arnold et qui nous faisait surtout improviser sur des trucs des Beatles, des trucs un peu rock. Mais rapidement il a commencé à nous faire écouter des disques, à nous initier un peu à la culture jazz. Et très vite alors j’ai su que je voulais jouer cette musique. Ensuite j’ai beaucoup écouté et traversé toutes les périodes en m’arrêtant bien sûr sur Miles puis sur le jazz rock (Mike Stern surtout). J’ai même eu ma période guitare héro du genre Van Halen et autres. Et puis Pat Metheny a été l’unes des grandes claques pour moi. Je me souviens d’un album de lui, « Letter from home ». J’étais totalement halluciné, je ne comprenais pas ce qu’il jouait. Après vers 16 ans je n’écoutais plus que du jazz : Wes, Miles, Trane. Mais je décrochais aussi du jazz rock qui commençait un peu à me lasser. Lorsque j’écoutais des groupes comme Uzeb, j’etais toujours très impressionné par la côté technique mais en revanche le discours musical ne m’intéressait pas vraiment. N
DNJ : A quel moment es tu monté à Paris ?
MC : Juste après mon bac. J’ai décidé de quitter Chaumont et de monter m’inscrire au CIM (vers 1993). C’était la dernière année avant la mort d’Alain Guerini. C’est là que pas mal de connexions se sont faites. J’ai eu des profs comme Olivier Ker Ourio notamment ou Pierre Culaz. Mais ensuite j’ai intégré le conservatoire où j’ai découvert encore un nouvel environnement musical. D’abord parce que nous étions moins nombreux et ensuite parce que le niveau musical y était encore supérieur. C’était le CNSM de François Jeanneau. C’est là que j’ai rencontré des gens comme Benjamin Moussay, Jean-Charles Richard, Thomas Savy, Thomas Grimonprez. A l’époque j’avais encore une conception assez classique du jazz, dans le sens pas très avant gardiste. C’est à ce moment là que Christophe Monio est arrivé, en même temps que des gens comme Donarier,G. Kornazov, Geoffroy Tamisier…… Et tous ces gens là (notamment Monio) m’ont fait découvrir une forme de jazz que je ne connaissais pas vraiment. La musique d’improvisation totale depuis Ornette jusqu’à des trucs totalement barrés comme Zorn par exemple. Avant je ne voulais jouer que des trucs très clean genre guitare dans l’ampli, super phrasés, recherche harmoniques et tout et tout. Mais après avoir écouté ces nouveaux trucs j’ai modifié ma façon de jouer en mettant du son, de la reverb pour modifier mon univers. Et c’est à ce moment là que l’on a commencé à monter des groupes avec Mathieu (Donarier) ou Christophe (Monio). Des trucs comme les Spice Bones qui fonctionnaient pas mal, avec 4 trombones, rien que ça ! Puis avec Monio Mania etc…
DNJ : Ensuite il y a le fameux tremplin de la Défense en 1999. Une étape importante j’imagine
MC : Cette année là j’ai un peu trusté La Défense parce que j’ai joué avec 4 groupes. J’ai eu le 1er prix de soliste et aussi le 1er prix de groupe. Après te dire que cela a été déclencheur, je n’en suis pas vraiment conscient mais j’imagine que les journalistes ont commencé à entendre mon nom et que les choses sont donc allé plus vite. C’est vrai que ma rencontre juste après avec Eric Truffaz s’est faite un peu grâce cela. Et comme il avait entendu parler de moi et qu’il était en train de monter son nouveau de groupe il m’a appelé. Cela coïncidait aussi avec le moment de la fin de mes études et mon entrée réelle dans la vie professionnelle de la musique. Notamment aussi mon passage très bref après le fameux ONJ de Damiani qui a fait couler tant d’encre.
DNJ : Avec Truffaz il y a là encore l’apprentissage du travail sur le son ?
MC : Oui, complètement. Ce sont des musiques que je n’avais jamais vraiment jouées. Et puis cela nous donné l’occasion de faire plein de tournées dans le monde entier, dans des salles remplies de milliers de personnes enthousiastes. Vraiment une belle expérience.
DNJ : Comment s’est faite ta rencontre avec Texier ?
MC : Après Truffaz les choses se sont naturellement accélérées. La rencontre s’est faite par l’intermédiaire de son fils Sébastien avec qui j’ai eu l’occasion de jouer plusieurs fois. Et puis Henri est quelqu’un qui est resté très curieux, qui va voir les concerts et qui reste très à l’écoute de ce qui se joue. Et donc il m’a appelé et on s’est vus.
DNJ : Tu as eu le trac de le rencontrer ?
MC : Non pas du tout
DNJ : Parce que tu es totalement sûr de toi
MC : Non pas du tout mais c’est que je ne suis pas quelqu’un de très extraverti mais je me dis que je joue comme je dois jouer, que je fais le maximum et puis voilà. Maintenant j’aime les choses qui me stimulent. Et puis avec Henri c’est vraiment quelqu’un qui est à la fois très exigeant, qui sait exactement ce qu’il veut mais qui en même temps est très accessible. C’est quelqu’un vraiment de très généreux et qui a une vision très précise de ce qu’il a envie d’entendre de nous. Il est très précis et il entend vraiment sa musique dans sa tête.
DNJ : En ce qui concerne ton jeu, on a parfois le sentiment que tu rechignes beaucoup à te mettre en avant. Il y a comme une sorte d’abnégation
MC : C’est vrai on m’a beaucoup dit cela et c’est vrai aussi que je suis quelqu’un d’assez introverti. Du coup cela peut laisser croire à de l’abnégation. Mais en fait c’est autre chose. C’est surtout que quelque soit le contexte, en trio, avec une chanteuse ou avec un big band je cherche avant tout à rester connecté avec l’environnement musical qui se crée et à m’y fondre. De me mettre au service de la musique quelque soit celui qui la joue. Mais par exemple dans mon trio je ne prends aucun plaisir à me mettre en avant. Mais ce n’est pas que je rechigne à passer devant, c’est autre chose.
DNJ : Mais entre ce rôle que l’on sent plus en retrait lorsque tu joues avec les autres et cette mise en avant plus exposée lorsque tu es en trio, as tu pensé à jouer dans des quartet du genre de ceux que l’on entend dans la mouvance de Rosenwinkell ?
MC : Non pas du tout. Je ne me sens pas d’affinités avec toute cette scène des jeunes quadras New Yorkais. Je n’ai pas envie de jouer cette musique qui ne m’intéresse pas vraiment.
DNJ : Et avec un piano ?
MC : Je crois que c’est vraiment difficile pour un guitariste de jouer avec un pianiste. Il y a peu de pianiste qui soient à l’écoute du son que l’on peut créer ensemble. Sauf peut être quelqu’un comme Laurent Coq qui est vraiment pour le coup quelqu’un qui est très attentif à cela. Sinon il y a bien sûr de superbes pianistes mais j’ai du mal à entendre derrière mes propres accords ceux du clavier.
DNJ : Aujourd’hui quelle direction musicale prends tu?
MC : Avec le trio Humair et Moutin cela risque de ne pas tourner beaucoup. En revanche j’ai très envie aujourd’hui de faire tourner mon nouveau trio avec Philippe Garcia et Jérôme Regard et de constituer un noyau sur la base de ce trio. Qui plus est j’ai un contrat d’artiste avec Bee Jazz et j’ai donc encore 2 disques à faire (au total 3 en 5 ans).
DNJ : Tu as dû être pas mal sollicité par les labels
MC : Oui c’est vrai mais le truc c’est que peu de labels produisent. C’est tout l’intérêt de Bee Jazz.
DNJ : En side man tu joues avec qui en ce moment ?
MC : Je viens de participer à l’album de Leïla Olivesi qui est sorti chez Nocturne. Par ailleurs j’ai fait un enregistrement avec Francesca Stradivarius ainsi qu’un duo avec Michel Benita. Sinon je viens de finir l’enregistrement du quintet de G. Kornazov avec Emile Parisien, Marc Buronfosse et Karl Jannuska. J’ai aussi enregistré un album avec Geoffroy Tamisier. Donc pas mal de projets en cours.
DNJ : Qu’écoutes tu en ce moment
MC : En fait je suis assez conventionnel. Du coup je réécoute toujours les mêmes, Miles, Coltrane, Jarrett, Frisell etc…. Mais je ne suis pas un acheteur de disques compulsif.
DNJ : Sur l’île déserte tu emporterais quoi
MC : My Funny Valentine de Miles bien que je n’ai pas besoin de l’emporter puisque je le connais par cœur. C’est pour moi la quintessence de ce que représente le jazz.
DNJ : Le free, c’est important pour toi
MC : Je crois qu’avec le free on touche à la quintessence de l’improvisation même si je n’aime pas beaucoup tout ceux qui se refusent absolument à jouer le moindre accord
DNJ : Marc Ducret ?
MC : D’abord c’est un maître de l’instrument. Parfois sa musique me perd un peu mais je trouve que sa musique est absolument incroyable. Au delà de la maîtrise de son instrument c’est la précision de son discours musical que je trouve bluffante. Il a des idées très complexes qu’il domine totalement. Je suis hyper impressionné par Ducret ! C’est vraiment impressionnant dans l’aboutissement de l’idée musicale.
DNJ : Peux tu citer le nom d’un artiste que tu détestes?
MC : Le truc c’est que j’aime les artistes, tous les artistes. Le problème c’est que c’est un mot galvaudé. Il y a beaucoup de gens qui se prétendent artistes et qui ne le sont pas. Ceux là je ne les aime pas beaucoup. Quand à savoir qui ils sont, tu as l’embarras du choix, je te laisse deviner…..
Propos recueillis par Jean-Marc Gelin