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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 10:05

Black and Blue  2007

 cbcfd-album-voice-messengers.jpg

 

 

 Cela faisait près de 10 ans que l’on attendait un nouvel album du groupe de jazz vocal animé et conduit par Thierry Lalo. Plusieurs années durant lesquelles la formation s’est largement renouvelée avec l’arrivée de nouveaux talents comme Vincent Puech ( un ex de Octovoice) ou le chanteur canadien Sylvain Bellegarde ou encore le trompettiste américain Larry Browne, bien connu des aficionados du feu Studio des Islettes. Le premier disque datait en effet de 1998 et l’on se souvient encore d’une tournée mémorable où le groupe avait tenu l’affiche plusieurs soirs de suite à l’auditorium Saint Germain, se permettant même le luxe d’inviter Steve Lacy a leur donner la réplique. Rien que ça. Souvenirs…..
Presque 10 ans donc d’attente pour arriver en à cet album dont on aura bien du  mal à  faire la chronique tant le moins que l’on puisse dire est que le bon (mais alors là le très très bon) côtoie parfois le plus incertain.

C’est avec pas mal de malice que Thierry Lalo, le grand manitou et pianiste de ce groupe a choisit de ne pas choisir et alterne comme i l’avait déjà fait les parties a capella avec les parties accompagnées d’une bien belle rythmique  ( Gilles Naturel, François Laizeau ou Philipe Soirat), invite des guests stars aussi exceptionnelles que David Neerman (le merveilleux vibraphoniste de Youn Sun Nah), Jérôme Barde (et son bardophone), Papa Dieye (perc), Jean Lou Longnon ( le trompettiste que l’on ne présente plus, était déjà là il y a 10 ans et l’on a plaisir à l’entendre autour notamment d’une sympathique Danielhuckerie sur Mademoiselle) et last but not least un Glenn Ferris dont le chorus au trombone, mama mia, nous laisse encore la chair de poule rien que d’y penser je meurs sur la carpette du salon et je sais pas si je vais me relever tellement que c’est bon  (When the night turns into day)

Du côté des réussites de cet album, il est bon d’entendre combien le groupe a gagné en énergie, capable avec un sacré sens du swing de réellement intéresser l’auditeur du tout début jusqu’à l’extrême fin. Tout cela avec une belle homogénéité des voix. Les arrangements qui (et c’est la grande différence par rapport à l’ancienne version des Voice) gagnent en simplicité tout en restant efficaces en diable, en misant presque toujours sur la percussivité du propos. L’album commence magistralement avec un superbe Stolen Moment qui débute l’album et vous laisse sur un solo de Amélie Payen, véritable tuerie genre réincarnation de M’dame Mimi. Je meurs une première fois ! Mais si on fait pas gaffe, on pourrait bien mourir aussi sur les deux versions (a capella ou non) de Chanson d’Automne écrite par Lalo et qui pourrait bien devenir comme une sorte de tube pour un grand nombre de groupe de jazz vocal. Superbe arrangement sur un beau texte Vladislas Milosz. Tout le chant a capella dans ce morceau : homogénéité, pulse, unissons, intentions, crescendo. Admirable ! On retiendra aussi un Have you meet miss Jones ou un It’s Only a Paper moon bouillonnants d’énergie. On aime la belle voix de Vincent Puech dépouillée de tout le superflus sur Que reste t-il alors que les autres garçons du groupe qui ont tous un fort bel organe ont une tendance excessivement virile à en rajouter 10.000 tonnes dans le genre crooner. Bien sûr on aime la venue de Patricia Ouvrard, la chanteuse des 6 ½ (mais diantre pourquoi faire venir de l’extérieur une chanteuse à scatter…). On est moins séduits en revanche par quelques versions un peu datées comme That’s the way  ou comme cette fâcheuse tendance dans les groupes de jazz vocal à rajouter des Doo Wha, Da et Whee en voicing univoques comme dans In a sentimental mood dont le thème est déjà assez beau en rajouter. On regrettera aussi cet arrangement pas très heureux des Cloches dont le texte de Apollinaire passe ici difficilement l’épreuve du chant. 

Mais attention, les Voice Messengers sont de retour ! Enfin ! Après 10 ans d’absence. Les Voice reviennent gorgés d’énergie et de swing. Courrez les voir en concert car il y a peu de chances que cette nouvelle formule vous laisse indifférente. La précédente version vous faisait mourir d’ennui. Avec celle-ci nul doute que votre dernier soupir sera un soupir de plaisir.

Jean-Marc Gelin

 

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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 10:04

ECM 2007

John-Surman.jpg


Il y a dans cet album de John  Surman avec un  quatuor à cordes un formatage marketing à l’esthétique ECM si poussé qu’il en prend presque des allures de « trop attendu ».  Jouant du saxophone baryton avec un son d’une incroyable pureté (sur lequel il excelle absolument) autant que du soprano et de la clarinette basse, le saxophoniste anglais se laisse aller, quatuor oblige à des compositions aux  références classiques explicites qui peinent à surprendre. Ces compositions justement, tournent en effet autour d’une forme d’académisme basé sur l’influence d’une certaine école musicale qui va de Satie à Britten. John Surman s’empare alors de cet univers pour nous inviter à un voyage intérieur auquel on reprochera peut être un manque d’énergie – quoique -. Les pièces s’enchaînent aussi belles les unes que les autres. On est loin du jazz mais plutôt dans une sorte de ballade fantomatique (très «  ECM ») dans un siècle qui n’est pas le notre et qui amène jusqu’à nous les réminiscences de quelques dramaturgies disparues. On assiste alors à quelques moments magnifiques comme ce « Now and again » à la poésie filante où Surman réussit l’alchimie rare de dialoguer tant avec la contrebasse qu’avec la quatuor. Chacun dans le sillage de l’autre. Il crée alors un univers triste et sombre, des couleurs automnales ou sépulcrales frôlant des ténèbres saisissantes qui semblent relever de quelques terreurs shakespeariennes. C’est parfois absolument splendide – quoique. A l’heure de la disparition de Bergman on pense à des univers que le génial réalisateur auraient pu filmer. Mais cet album où tout est affaire de couleurs pastelles et sombres à la fois peut aussi émouvoir que laisser indifférent face à une froideur glaçante. Il exigera donc de l’auditeur une écoute très attentive pour en percevoir les mystères. Il en est de cet album comme de la promenade dans un univers qui nous serait très (trop) connu. Le risque est de passer alors à côté de sa beauté familière et finalement si singulière.

Jean-Marc Gelin

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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 10:01

one-hope.jpg

Kind of blue 2007

 

 Pour beaucoup ici le pianiste Marc Soskin est un inconnu. Malgré ses 54 ans peu en effet le connaissent de ce côté ci de l’Atlantique. Il faut dire que Marc Soskin ne compte pas parmi les supers stars américaines. A la limite quelques aficionados de la série TV « Sex and the City » savent qu’il en a signé la BO. Mais pour le reste bien peu savent que Marc Soskin fut un compagnon de route de Sheila Jordan et surtout qu’il a accompagné près de 14 années durant, Sonny Rollins dans pas mal d’aventures (écoutez l’album «  falling in Love with Love » ou «  Don’t stop the Carnival » par exemple). Rien d’étonnant alors à ce que ce pianiste New Yorkais s’adjoigne ici les services d’un saxophoniste ténor comme Chris Potter, le ténor le plus Rollinsien de la scène actuelle après Rollins lui-même. S’appuyant au passage sur une rythmique de très haut vol où Pattituci (b) donne la réplique à Bill Stewart (au drumming d’ailleurs toujours incroyable de luminosité), Marc Soskin propose un album composé de reprises de standards, dans la droite ligne de ce que propose ce nouveau label qui creuse une fois encore le vieux sillon post-revival ici modernisé à fines touches (nous avions d’ailleurs chroniqué  le mois dernier un album très classique et assez moyen du Los Angeles Jazz Ensemble). Ici le résultat est tout autant convaincant qu’il est énergique. Tout repose en grande partie sur Chris Potter, dans le feu d’un son en fusion (sauf malheureusement quand il s’exprime au soprano), toujours imaginatif dans le flot lyrique d’un discours parfaitement maîtrisé. Avec Chris Potter on a toujours le sentiment que rien ne peut être tout à fait conventionnel et lorsqu’il s’empare d’un standard c’est toujours une redécouverte du thème alors débarrassé de tous ses oripeaux et auquel il donne un nouvel éclairage, un peu comme si ces thèmes avaient été écrit pour lui. On l’entend avec bonheur dans Bemsha swing (de Monk) ou dans un magistral Inner space (de Corea). Et du coup Marc Soskin n’est pas en reste, se plongeant là dedans comme dans un bain de jouvence, prenant un plaisir suprême à se jeter avec l’eau du bain et tout le saint Frusquin dans le plaisir de jouer. Mais porté par cette énergie il tend parfois à s’emballer et se retrouve quelques fois à la limite d’un dérapage toujours hyper bien contrôlé. Sur deux titres John Abercrombie tient sa guitare en embuscade pour une brève mais remarquable apparition (notamment sur Strive, une des compositions de Soskin). L’album se conclut finalement sur un très beau solo de Marc Soskin donnant à cet album un couleur un peu détonante où l’on entend alors combien Soskin est aussi à l’aise dans le latin jazz que l’on sait, il affectionne particulièrement. Dans cet exercice remarquablement bien exécuté on n’a toutefois pas le sentiment d’assister à la naissance d’un groupe mais à l’heureuse association d’immenses talents de la scène américaine. Marc Soskin avec un jeu très directif parvient à insuffler à cet ensemble, un surcroît d’énergie.

Jean-Marc Gelin

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:27

Drôle d’été et drôle de rentrée ! Ce n’est pas vraiment que les vacances aient été moroses mais pour tout dire on aurait rêvé mieux. Déjà qu’on a eu du mal à passer entre les gouttes, fallait il encore que notre ciel de jazzeux en goguette s’assombrisse de quelques mauvaises nouvelles qui eurent le don de nous mettre les nerfs en pelote et de nous rendre bien amers, songeant, rêveurs, aux temps d’antan que les moins de 20 ans etc etc….. C’est vrai qu’il faisait beau à peu près nulle part mais il paraît que le ciel d’Uzeste charriait quelques nuages un peu lourds. Voilà l’un des plus sympathiques festival de « jazzcogne » en rupture de ban avec la mairie qui l‘abritait depuis si longtemps. Et ce n’est pas en Bourgogne que le ciel était plus clément. Là, point de nuage mais juste un ciel d’été vidé de ses nuits étoilées depuis qu’une obscure querelle de chapelle venait clore (très) bêtement l’histoire de Jazz à Cluny. Et de deux ! Autre temps, autres mœurs. Et pour ceux qui, comme nous erraient sur les pavés mouillés de la capitale, il y avait de quoi s’attraper un gros coup de blues rien qu’en lisant la rubrique nécrologique de nos journaux, en page culture. Songez en ce triste été : Ingmar Bergman, Antonioni et dans le domaine du jazz, en cette 40ème année après JC, la disparition de l’un de ses célèbres bassistes, Art Davis. Et puis bien sûr, la perte de l’immense Max Roach. Moi j’essaie de me consoler avec l’écoute des albums avec Clifford Brown qui me renverseront toujours.

Mais l’été sut parfois être clément et nous avons encore en tête un soir d’août à Marciac où comme cela devient l’habitude maintenant, John Zorn moins putschiste qu’à son habitude venait avec son Bar Khoba illuminer cette nuit gersoise. Ou encore ce tremplin d’Avignon qui a su consoler notre consoeur Sophie Chambon des morosités estivales. Ou encore paraît il ce beau festival de Ramatuelle qui connut quelques belles heures.

On se disait qu’avec la rentrée, avec ce beau festival de la Villette qui s’annonçait, le ciel s’éclaircirait un peu. Mais c’est bien connu, le mois de septembre réserve toujours des mauvaises surprises qui arrivent en même temps que le percepteur. C’est ainsi que l’on découvre avec toujours un peu d’appréhension… les nouvelles grilles du PAF. Pas de quoi se réjouir et pas de quoi pleurer non plus. On est heureux de voir Anne Montaron poursuivre ses rencontres en terre d’improvisation. On l’est moins en voyant certains de nos animateurs d’émission de jazz relégués à des heures indues, à l’heure où les notes bleues enveloppent la nuit et les ombres mouvantes. Alors que tout est aujourd’hui podcastable et que presque toutes les chaînes de Radio France présentent effectivement un grand nombre d’émission téléchargeables, on s’étonne que seule France Musique reste à la traîne de ce qui, il faut bien le dire représente l’un des progrès les plus importants de l’humanité après le poste à Galène.

Alors s’il fallait fixer à nos édiles quelques bonnes résolutions de rentrée, à l’heure où nos ministres nous annoncent plus de culture dans les écoles, rêvons qu’un jour très prochain nous puissions emmener dans nos voyages matutinaux et dans nos oreilles Ipodisées de prolétaires urbanisés, un peu d’Alex Dutilh, de Claude Carrière ou de Xavier Prevost. Bien sûr demander  cela c’est pas grand-chose mais par le sale temps qui courre en ce moment, ce serait déjà beaucoup. Mettre aujourd’hui plus de culture dans nos vies et plus de jazz dans la politique culturelle de notre pays est notre souhait de rentrée. Comme d’autres le disait jadis, We Insist !

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:25

JJJJJ MARIA SCHNEIDER : «  Skye Blue »

http://www.mariaschneider.com/

2007

mariaschneider.jpg On a tous encore à l’esprit le sublime « Concert in the Garden » qui avait littéralement soufflé la critique américaine en son temps. A l’époque la chef d’orchestre avait rompu avec son label pour prendre son autonomie sur son propre site web avec l’aide de la plate forme Artisthare. Le Sky Blue qu’elle livre aujourd’hui atteint un nouveau sommet dans le travail de la compositrice. Une étape de plus franchie là. Car il est vrai que rarement comme ici une musique écrite pour un big band n’aura réussi à porter la musique à ce niveau d’exaltation. Chaque morceau écrit par Maria Schneider pour ce Sky Blue  est très explicite en ce qu’il raconte une histoire très personnelle de la compositrice. Elle exprime avec autant de pudeur que de grâce subtile des souvenirs qui touchent au plus intime d’elle même. Mais ce qui est absolument magique c’est qu’elle semble parvenir avec un génie communicatif à insuffler à ses propres solistes, tous exceptionnels sa propre histoire qui se transforme au gré de leurs propres chorus en véritable ode à la vie.

Car Maria Schneider a encore franchi une nouvelle étape dans son travail. Rarement elle n’a avec autant de grâce réussie cette alchimie de l’expression avec un sens rare de l’arrangement et de l’orchestration ici portés à un modèle du genre. Jamais lourds, ses morceaux extrêmement construits sur la base d’une véritable dramaturgie sont empreints de finesse et de délicatesse et valorisent toujours ces solistes brillantissime qui s’emparent alors motif principal pour en insuffler l’intention et l’intensité désirée.

Dans Pretty road c’est la trompettiste Ingrid Jensen qui nous accompagne sur ce chemin qui mène à la petite maison d’enfance de Maria Schneider et à cette petite colline qui domine ce paysage chéri du haut de laquelle l’enfant qu’elle était alors contemplait ce paysage merveilleux.  Et l’on est alors littéralement submergés par cette exaltation de l’âme. Plus charnel, Aires de Lando est un thème à la structure harmonique et surtout rythmique très complexe issu de son travail au Pérou. Pour s’attaquer à cette forme de tango particulier, son soliste Scott Robinson livre un chorus absolument époustouflant, de ceux qui feront peut être date dans l’histoire de la clarinette. Rich’s pièce est une pièce écrite pour son saxophoniste Rich Perry. Une sorte de climat d’apesanteur, comme un lent glissement sur l’eau plane où l’on est frappés par la finesse de l’orchestration et la subtilité des arrangements harmoniques. Dans Cerulean skies, pièces qu’elle avait interprété lors de son concert à la Villette l’an dernier, Maria Schneider n’a pas peur de la paraphrase et utilise en début du morceau des sons d’oiseaux pour en évoquer leur long voyage migratoire. Ensuite c’est un voyage fabuleux auquel nous assistons, un voyage aussi tempétueux, aérien et nous regardons avec les yeux de ces oiseaux le monde minuscule sous leurs ailes. Encore une fois l’exaltation du beau, de la sérénité, de la souffrance et du courage aussi. Un formidable chant d’espoir et de rédemption vers la terre promise. L’album se termine sur Sky Blue. Requiem déchirant écrit pour la mort de sa meilleure amie. La pièce s’ouvre comme une symphonie et se poursuit par l’ultime et poignant chant-cri d’amour exprimé au soprano par Steve Wilson pour son amie disparue.

Et c’est alors par une coupure  nette que l’album se termine. Presque brutalement, en nous laissant après le silence qui suit la mort les images fortes et inaltérable dans notre mémoire de cet album à l’exaltation merveilleuse et sublime.

Jean-Marc Gelin

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:22

STEPHANE OLIVA: « Ghosts of Bernard Hermann »

2007

 

 POCHETTE-20OLIVA-20.jpg

JJJJ Certains jugent très durement la musique de films, par trop illustrative, véritable aubaine commerciale auprès du public ado, cœur de cible des « blockbusters ». Mais certaines musiques deviennent partie intégrante du film au même titre que le cadrage, la lumière, le découpage.  Ce serait oublier que « Faire du cinéma, c’est faire de la musique. » Alain Corneau    Jazzman spécial jazz et cinéma  mai 1998 p.10

Si Miles a improvisé avec son quintet français la musique d’ «Ascenseur pour l’échafaud » en regardant les images de Louis Malle, que serait le cinéma de Fellini sans Nino Rota, les westerns spaghettis de Sergio Leone sans Ennio Morricone? Bernard Herrmann est célèbre pour avoir «accompagné», doublé, la plupart des films d’Hitchcock. On songe au thème simple et fort de‘Psychose’ qui place instantanément dans la juste perception du film ou à l’envoûtant Vertigo qui, dès le générique nous embarque, par la répétition de formules rythmiques, dans la spirale colorée de la névrose du personnage principal (James Stewart), fasciné par la double Kim (Novak) blonde et châtain. Mais beaucoup d’autres talentueux metteurs en scène comme Orson Welles («Citizen Kane», François Truffaut «Fahrenheit 451», De Palma «Sisters» et «Obsession» ont fait appel au compositeur, dont la musique participait activement au processus créatif soulignant les tensions de l’intrigue, les ressorts de l’action, identifiant au besoin les personnages à un thème comme dans l’opéra wagnérien.

Depuis très longtemps sa musique inspire Stephan Oliva, qui avait déjà abordé Vertigo dans «Jazz n’emotion», il y a une dizaine d’années. Avec l’aide des producteurs Philippe Ghielmetti (Illusions), graphiste de formation et dingue de cinéma, de Stephane Oskeritzian ( Bleu sur Seine) et de Gérard de Haro (studio La Buissonne), le pianiste a choisi douze films dont ils aimaient particulièrement la musique d’Herrmann ( avec quelques surprises comme les thèmes des films de SF « Journey to the center of the earth» et «The day the earth stood still»).  Lors d’un concert privé à la Buissonne (où nous étions) le disque fut enregistré, le 2 décembre 2006. Le travail que réalisa ensuite au montage et à la masterisation, Nicolas Baillard, est une véritable réussite : précision, cohérence, justesse du son sur un piano arrangé et préparé par Alain Massonneau (autre habitué de la Buissonne).

Le travail de Stephan Oliva a commencé par une analyse soignée de cette écriture musicale cinématographique si originale*. Mais, où il se révèle magistral, c’est dans le processus d’arrangement: laissant agir émotions,  mémoire des images, il réussit à faire remonter, à travers ses improvisations, ce qui subsistait en lui des mélodies.  Comme dans le délicieux « The Ghost and Mrs Muir de Joseph Mankiewicz », dont l’arrangement débute le CD,   où l’héroïne se crée un rêve de vie, inventant son capitaine Cregg, personnage fictif et pourtant réel,  Stephan Oliva parvient à faire revivre le complexe Bernard Herrmann, à travers son imaginaire et sa sensibilité. Les divers motifs de films s’enchaînent à leur tour, écrivant la B.O d’un autre film-miroir, synthèse du pianiste qui a désormais intégré l’univers de B. Herrmann à ses propres fantasmes et à sa «manière» propre. Le disque s’achève sur la dernière BO de Bernard Herrmann, mort la veille de Noel 75 après l’ultime séance d’enregistrement de la musique de Taxi Driver de Martin Scorcese **.

Ultime pirouette : c’est le seul  exemple d’introduction du jazz dans l‘univers très «classique» du compositeur, véritable mélodie, où s’illustrait, dans un style de jazz plutôt symphonique le solo du saxophoniste alto Ronnie Lang.

Sophie Chambon

 

*Lire à ce sujet le très intéressant travail d’analyse du pianiste dans l’article «Taxi Driver» : anatomie d’une mélodie  dans le numéro de Jazzman de juin 2007

 

**It doesn’t matter what language you speak, it affects you emotionnaly and psychologically,

because the music is universal.” Martin Scorcese about B.Herrmann’s music.

 

 

 

L Dieu sait que nous sommes les premiers à nous être enthousiasmé pour ce magnifique « Itinéraire Imaginaire » qu’il signa chez Sketch. Emballés par cette nouvelle esthétique à laquelle contribuait avec talent Philippe Ghielmetti, nous avons applaudi des deux mains à toutes ces belles œuvres que ce dernier poursuivait avec le label Minium qui n’était autre que la continuation de Sketch par d’autres moyens. Donc le projet  Lonely Woman nous avait transporté aussi. Mais l’on se demandait déjà si Stéphane Oliva pourrait un jour sortir de ce parti pris et de cette linéarité dont le relief ferait un peu penser à la vue d’un champ de patates sur une plaine briarde par un soir d’hiver. Aujourd’hui Stéphane Oliva part d’un nouveau concept, celui des musiques de film de Bernard Hermann qui compte à son palmarès des œuvres aussi marquantes dans l’histoire du 7ème art que Citizen Kane, Vertigo, Taxi Driver etc…  Mais dans sa dramaturgie Stéphane Oliva est bien trop univoque pour véhiculer la même inspiration. Chez Stéphane Oliva, toujours les mêmes clichés pianistiques : Comme si pour donner une couleur sombre il fallait obligatoirement jouer dans l’ultra grave du piano (écoutons donc plutôt Ibrahim Abdullah !). Comme si pour créer le suspens il fallait jouer avec les silences ici toujours stéréotypés (N’est pas Ahmad Jamal qui veut). Du coup tout est prétexte à l’exposé de la neurasthénie Olivienne qui met un art certain à s’écouter jouer beaucoup. Stéphane Oliva tourne en rond, se répète inlassablement d’album en album, de thème en thème. Le fantastique voyage en technicolor de Voyage au Centre de la terre est devenu gris foncé, la folie errante de Robert de Niro dans Taxi Driver se perd dans quelques méandres d’un ennui mortel, et Citizen Kane se transforme en loque traîne savate.

Prions pour que Ghielmetti ne confie pas à Stéphane Oliva un projet sur les musiques festives ! Parce que la Cucarracha pourrait bien alors nous tirer des larmes.

Jean-Marc Gelin

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:20

JJJ DAVID MURRAY: “Sacred Ground”

Justin Time 2007

 murray.jpgIl y a dans cet album de David Murray qui compte parmi les saxophonistes actuel les plus prolixes (parfois jusqu’à 12 albums /an), quelque chose de terriblement gênant. En effet loin de ses habitudes, il s’agit d’un de ses albums qui de prime abord pourrait paraître comme le plus impersonnel. Alors que d’habitude Murray se donne le temps d’élaborer de vrais projets dans lesquels son investissement intime est réel et dense on est ici en face d’un album fourre-tout dans lequel Murray jette pèle mêle du post free aylérien, de la rumba, quelques morceaux faciles voire funky à deux balles et, histoire de ne fâcher personne, du bon gros blues qui tâche sur une grille simplissime. Pas de quoi se faire du mal. On est donc bien loin de ses projets les plus personnels, loin du World Saxophone Quartet, loin de son travail sur Pouchkine, très loin de ce qu’il fait sur la musique Gwo Ka et il y a pour tout dire dans cet album quelque chose de très commercial qui ne serait pas loin de nous fâcher tout rouge. Cerise sur le gâteau, la galette nous est présentée avec en featuring, Cassandra Wilson herself, ce qui bien sûr ne manque pas d’appâter les chalands curieux que nous sommes. Tout cela pour se rendre compte qu’en réalité la divine chanteuse n’apparaît que sur deux titres (en début et en fin d’album), juste un passage éclair (mais dense néanmoins) histoire de préciser tout de même qu’elle reste effectivement l’une des plus grandes chanteuses de jazz actuelle (impressionnante Cassandra).

Mais à la réflexion on est en droit de se demander finalement s’il n’y a pas dans la travail qu’il livre ici quelque chose de beaucoup plus intime qu’à l’accoutumée. Un peu comme s’il jouait pour le plaisir et sans arrière pensée, un simple set,  Murray semble ici débarrassé de toutes ses exubérances caricaturales pour revenir aux racines du jazz. Et c’est avec une très grande force de conviction que l’on entend dans son jeu l’histoire du saxophone jazz avec une lignée qui va de Coleman Hawkins (Believe in love) à Albert Ayler (Pierce city)  dont il est assurément l’un des émules émérite. Rollins aussi qui comme d’habitude chez lui ne traîne pas bien loin. Il y a toujours chez Murray ce vibrato superbe et cette propension à riper dans le cri rauque. Comme le continuum de cette déchirure Aylérienne toujours prégnante. Et l’album devient alors une sorte de leçon de saxophone hissant quasiment chaque morceau au rang de modèle. Lorsqu’il s’empare de la clarinette basse pour un morceau (Banished) c’est aussi l’occasion de montrer alors la profondeur incroyable de son jeu sur cet instrument, profondeur doublée ici par la ligne d’archet. Quand le blues arrive, comme la conclusion d’un set, il est là encore un modèle du genre dans la pure tradition, Murray et Cassandra s’entendant à merveille pour faire tourner  la grille avec classe. Même dans les moments les plus simples, David Murray reste encore et toujours le digne héritier de ce jazz éternel. Une sorte de collossal géant.

Jean-Marc Gelin

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:19

JJJJJ ABBEY LINCOLN  « Abbey sings Abbey »

Universal 2007

 Ne boudons pas notre plaisir. Les occasions étant désormais rares de la voir sur scène, profitons de ce dernier opus pour prendre le temps d’écouter Abbey Lincoln. Ce disque regroupe l’essentiel : onze titres composés et écrits par Madame Lincoln - nom de scène qu’on lui a choisi en 1955 en l’honneur d’Abraham Lincoln, vain libérateur des esclaves dit-on – et un titre composé par Thelonious Monk sur lequel elle a écrit des paroles. Comme une tragédienne, elle proclame et transmet la mémoire de ses ancêtres plus qu’elle ne chante. Des ballades et des folks songs qui sont des histoires fortes, sur sa vie, sur l’amour perdu, sur la solitude, sur le chant d’un oiseau, qu’elle chante avec classe et dignité, sans doute transcendée par la foi. On entend une immense lassitude dans sa voix, ou plutôt un total abandon : aucune affèterie ou minauderie, aucun ornement pour ne conserver que l’essentiel, le sens profond des mots. Elle met d’elle-même dans chaque mot qu’elle prononce, à la manière d’un prêcheur ou d’un griot. Et c’est poignant ! Dans son chant, on entend Billie Holliday, dont elle se sent si proche, mais aussi toutes les grandes chanteuses de blues, au premier rang desquelles, Dinah Washington. Elle nous transmet ce précieux héritage de la culture noire avec une immense générosité et un engagement radical. Et bien sûr, elle nous tend le miroir. Cette femme fut une des icônes de la révolte noire, son portrait peut encore se reconnaître sur certains murs de Harlem. « En 1960, lors d'un concert, j'ai présenté, avec Max [Roach], un manifeste musical intitulé Freedom Now Suite. Sur un des morceaux - voix, batterie - je hurlais, pleurais, chantais, gémissais... J'exprimais émotionnellement tous les sentiments d'une population meurtrie. Une heure après le concert, Max se fit tabasser dans un commissariat de police. Aucune chanteuse n'avait crié jusqu'à ce moment! Elles miaulaient, faisaient dans l'ironie, mais de cris, jamais! », rappelle Abbey Lincoln à Paola Genone dans une interview parue dans l’Express en juin 2007. Aujourd’hui le cri a disparu, restent l’émotion et l’âme meurtrie. L’âge n’a pas apaisé sa quête personnelle et identitaire. Being me (Être moi) conclut cet album splendide avec ses mots, « Being me, I laugh seeing now and then, So many things have changed and yet somehow, There will always be a stage, a song for me, Hold the curtain open, it's time to take a bow ». (Être moi, je ris de voir çà et là, que tant de choses ont changé mais d’une manière ou d’une autre il y aura toujours une scène ou une chanson pour moi, tenez le rideau ouvert, il est temps pour moi de tirer ma révérence).

Régine Coqueran

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:16

JJJJ STEPHANE KERECKI : «  Focus danse »

Zig Zag 2007

Kerecki.jpg A quoi tient un album de jazz réussi ? On ne sait pas trop mais il y a là quelque chose qui relève d’une sorte d’alchimie que l’on explique pas toujours mais qui, lorsqu’elle se produit est capable de vous remuer tout entier. Et dans cette alchimie, dans cet alliage magique il est bien souvent question d’ENERGIE. C’est en tous cas la brillante démonstration qu’en apporte ici le contrebassiste Stéphane Kerecki qui, dans ce trio pianoless signe l’intégralité des compositions avec à ses côtés Mathieu Donarier au ténor et soprano et Thomas Grimonprez à la batterie. Et ça tourne bien entre ces trois là ! ça  tourne autour du plaisir de jouer ensemble avec verve et puissance. L’art de la fougue en quelque sorte pour un album sauvagement vivant.

Une puissance intense de l’expression. Le plus souvent up tempo (la bête noire, Electron libre), ils ménagent aussi sur des morceaux plus lents, de sublimes moments de pure poésie (la ville songe, Day Dream) où, avec forcent ils concilient paradoxalement des moments plus calmes avec la même puissance de jeu. Mathieu Donarier que l’on savait depuis longtemps un très grand saxophoniste depuis qu’on l’avait entendu avec Caratini ou Codjia, confirme ici combien son jeu maîtrise tout un pan de l’histoire du jazz. Souvent avec des accents Rollinsien, Donarier s’est forgé un jeu à la fois classique et personnel avec autant de force brute au ténor qu’au soprano. A tel point que les deux instruments se situent dans une sorte de continuité de son expression. Et surtout, Mathieu Donarier a le son ! Un son terrible que l’on serait bien en peine de prendre en défaut. Un son duquel émerge une force brute. Une passion rauque. Quand à Kerecki, il n’ y a pas mieux que les liner notes de notre ami Bergerot : Kerecki c’est la contrebasse qui danse. Celle qui rebondit et qui danse. Sa danse à lui n’est pas main dans la main avec le batteur mais ici autour du soliste. En osmose avec lui il tourne autour et virevolte. Alors en électron libre, à ses côtés, Thomas Grimonprez frémit, caresse toutes les parties du corps de sa batterie, roule, s’enroule et relance sans cesse.

Au gré des compositions et selon que Donarier prend le ténor ou la soprano, on est plongé dans une couleur différente, toujours liée par cette fameuse énergie et cette puissance de jeu. Kerecki toujours livre sa vision d’un jazz classique sans jamais oublier ce qu’il doit au groove. Et dans ce double jeu l’on retrouve toujours nos repères. Il est de ces duplicités dont nous sommes les victimes heureuses.

Jean-Marc Gelin

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:14

JJJ CHARLIE MARIANO : «  Silver Blue »

Enja 2007

0063757950721.gifUn jour que la baronne de Koenigswarter lui demandait quel serait son vœu le plus cher, Mariano dit «  je voudrais avoir le cœur et  la technique de Parker… Mais la technique de Parker, on s’en fiche, non ? Si j’avais le cœur de Bird ça suffirait ! ». Et l’on sait que pendant longtemps Charlie Mariano courut avec son sax alto sur les traces de Bird. On se souvient encore de ses envolées d’oiseau chez Kenton ou dans l’orchestre de Shelly Manne. On se souvient aussi du temps où avec sa femme, la remarquable pianiste et émule de Bud Powell, Toshiko Akioshi, ils pouvaient enflammer les scènes du post-bop. Pourtant Mariano au fil des ans a fait bien d’autres choses et finalement était un peu tombé dans l’oubli ces dernières années. On doit aujourd’hui au trio du pianiste Suisse, Jean Christophe Cholet cette belle idée d’offrir à Charlie Mariano cette occasion de refaire surface dans un très beau moment de pure nostalgie qui s’offre alors à nous. Avec l’âge, Mariano s’est approché de cette vérité qui n’existe finalement qu’en étant parfaitement soi même. Longtemps adepte de la musique indienne et de la pratique du nagasvaram, instrument sur lequel il savait délivrer un message mystique, Mariano parvient en peu de mots musicaux à insuffler un supplément d’âme aux thèmes les plus simples. Et c’est justement avec cette part d’âme en plus que Mariano revisite les standards. Avec ces phrases un peu traînantes et malheureusement pas toujours juste mais si belles, Mariano livre un moment magnifique de nostalgie douce. L’homme ne court plus après le temps et encore moins après le tempo. N’enchaîne plus en virtuose les triples croches lancées à toute allure. Non Mariano est juste parvenu à cette part de sincérité intime et même s’il lui arrive parfois de jouer un peu « en dehors », il y a chez lui cette façon de faire chanter, de faire pleurer la note lancinante qui n’appartient qu’aux grands. Qui n’appartient qu’à ceux pour qui, jouer des thèmes aussi connus que Prelude to a kiss, My Funny Valentine ou Black orpheus est une façon de dire bien plus que les seules notes qu’ils jouent. Les puristes feront la moue. Ils n’entendront pas ici un grand saxophoniste. Ils entendront juste un sage enfin débarrassé de tout le superflu. Charlie Mariano a peut être trouvé le cœur de Charlie Parker, peut être pas. Mais c’est avec une beauté fragile qu’ici, il nous livre le sien.

Jean-Marc Gelin

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